Art/Eté 2018

L’été n’est pas encore fini et pourtant on sent comme un essoufflement de sa part, laisserait-il place bientôt à la rentrée ? Voire pire encore… à l’automne. Cela paraît probable. Alors s’il nous faut tirer un bilan artistique de cet été en état de terminaison… je parlerai (un peu) de tous ces noms que j’ai rencontrés au cours de mes pérégrinations avignonnaises, arlésiennes et valaisannes. Je les mettrai par ordre alphabétique comme dans un dictionnaire qui serait un dictionnaire de rencontres.

Arles – depuis l’église Sainte-Anne

Bendiksen, Jonas, photographe, né en 1977 à Toensberg (Norvège), expose en ce moment aux Rencontres d’Arles, à l’église Sainte-Anne : Le dernier Testament. S’est livré à une enquête sur les « nouveaux messies » dans le monde. Eh bien, il y en a plus que ce que l’on croit. Des givrés sans doute, mais aussi des rêveurs qui se sont abonnés aux idées fixes. Par exemple, dans les steppes sibériennes, un certain Vissarion (Sergei Anatolyevitch Torop), autrefois agent de la circulation, a créé une secte (« Eglise du Dernier Testament ») qui compterait, paraît-il, 10 000 disciples de par le monde, il rejoue la Cène et toutes les étapes de la vie du Christ. Que dis-je ? Il est le Christ réincarné. Ou au Japon, un certain Jesus Matayoshi, qui prêche sur le toit d’un petit camion Suzuki face à une foule indifférente (et vise un siège au Parlement) : il y croit aussi. Photos réalistes de grand format assez saisissantes… mais un peu inquiétantes aussi.

La Cène avec Vissarion (gros plan)

Depardon, Raymond, photographe, né en 1942 à Villefranche-sur-Saône, expose en ce moment aux Rencontres d’Arles, à l’espace Van Gogh : Depardon USA 1968-1999. Un « grand » de la photographie, bien sûr (21 longs métrages, 60 livres publiés, agence Magnum, Prix Louis Delluc en 2008, expos au Grand Palais et au MUCEM). Photos noir et blanc sublimes qui nous rappellent la vraie Amérique, celle qui nous fascine encore : grandes étendues désertiques, structures d’enfermement des gratte-ciels new-yorkais, vendeurs de journaux, hamburgers, hot-dogs, motels incertains au bord des routes, petite bourgeoisie dans grosse Lincoln, mises en plies impeccables. Au Nouveau-Mexique : White Sands, en plein dans le désert un abri métallique pour une table de pique-nique avec une famille du dernier chic descendue de sa somptueuse voiture.

White Sands

Frank, Robert, photographe, né en 1924 à Zürich, expose en ce moment aux Rencontres d’Arles, à l’espace Van Gogh : Sidelines. Un autre géant, plus encore peut-être que le précédent si c’est possible : en tout cas un père pour toute une génération. A commencé de bosser en Suisse pendant la seconde guerre mondiale, puis est allé à Paris, New-York dans les années d’après-guerre. A participé à la grande aventure des Kerouac et compagnie, d’où il résulte un livre magnifique, révolutionnaire en son temps, édité par Robert Delpire en 1958 : Les Américains. Préface de Kerouac. (on en a refait un tirage) : « Cette impression démente en Amérique quand le soleil brûle les rues et que la musique sort du juke-box ou d’un enterrement tout proche, voilà ce que Robert Frank a saisi dans de formidables photographies prises alors qu’il voyageait sur la route à travers presque quarante-huit Etats dans une vieille bagnole pourrie (grâce à une bourse Guggenheim) avec l’agilité, le mystère, le génie, la tristesse et l’étrange secret d’une ombre photographiant des scènes qui jusque-là n’avaient jamais été enregistrées sur la pellicule ».

Accident, sur la route 66

Graham, Paul, photographe, né en 1956 au Royaume-Uni, expose en ce moment aux Rencontres d’Arles, à l’église des Frères-Prêcheurs : La blancheur de la baleine. Nous restons aux Etats-Unis. Cette exposition réunit trois séries de travaux réalisés entre 1998 et 2011 : American Night, a shimmer of possibility et The Present. Photos grand format, en couleurs. Paul Graham veut nous rendre sensibles à l’invisibilité, aux failles de notre système de perception visuelle. Le trop évident, par exemple, nous ne le voyons pas. La misère quotidienne, nous ne la voyons plus. Les papiers qui traînent, les mégots, les seringues, nous ne les voyons pas (enfin, ça dépend…). Alors pour cela, il fait voisiner de grandes photos très nettes où tout est explicite avec de grandes photos quasi-blanches où tout n’est vu qu’avec difficulté. Dans a shimmer of…, il fait des séries de photographies prises à quelques secondes d’intervalles. On reconnaît aisément de l’une à l’autre les mêmes personnages, mais ils ont changé de position, de place, d’allure. On s’attarde donc sur eux. Nous ne les aurions pas remarqués dans la rue, ils ont une deuxième vie sur ces vastes photographies qui sont comme des tableaux.

a shimmer of possibility

Guo, Yingguang, photographe née en 1983 à Beijing, expose en ce moment aux Rencontres d’Arles, à la maison des Lices: La joie de la conformité. Photos et videos sur cet aspect terrifiant de la Chine contemporaine : les mariages arrangés. Un véritable marché auquel nos traditionnels vide-greniers ne peuvent rien envier. Yinguang Guo se place en caméra cachée et fait semblant d’être à vendre. Elle ne donne que son parcours universitaire : Master of Arts. Les vieilles viennent lui renifler sous le nez : « ça ne nous dit pas l’âge que vous avez », « je suis née en 1983 », la femme s’en va en tordant le nez.

Henno, Laura, photographe, née en 1976 à Croix (France), lauréate du prix Découverte des Rencontres d’Arles 2007, expose en ce moment aux Rencontres d’Arles, à la commanderie Sainte-Luce : Rédemption. Toujours les Etats-Unis. Ici, Slab City au coeur du désert de Californie. Une vieille base de l’armée américaine abandonnée et dont il reste des semelles de béton (slabs) où peuvent venir s’amarrer toutes les jeunesses en détresse qui viennent là chercher une liberté illusoire dans un confort des plus précaires, refaisant des intérieurs de salon dans des camions et des bus rouillés, avec des enfants qui ont encore la possibilité d’aller à l’école comme seuls espoirs. Petites videos prises sur le vif qui nous font entendre des histoires presque aussi étonnantes que celle de la Turtle du livre de Gabriel Tallent.

Slab city

Kelly, Ellsworth, peintre né en 1923 à Newburgh (USA), décédé en 2015 à Spencertown (USA), est exposé en ce moment à la Collection Lambert, à Avignon sous le titre Lignes, Formes, Couleurs. Le roi de la « géométrie chromatique », bandes de couleurs qui vibrent les unes à côté des autres, changeantes selon l’angle du regard. Il n’étudie pas seulement la couleur, mais aussi la ligne, tirant d’objets concrets qu’il recopie (fleurs, fruits ou branches) l’abstraction pure de la ligne, une ligne sans contenu autre que la toile blanche.

Collection Lambert

Ellsworth Kelly

Li, Feng, photographe né en 1971 à Chengdu, expose en ce moment aux Rencontres d’Arles, à la maison des Lices: Nuit blanche. Rencontres insolites dans les rues de Chengdu ou de Nanjing, l’envers du décor. De drôles de poupées mises en scène dans des paysages de tours modernes.

Li Feng

Loiseau, Christophe, photographe né en 1968 à Charleville-Mézières, expose en ce moment aux Rencontres d’Arles, à Croisière : Droit à l’image. Les prisonniers (même à perpète) sont humains aussi. Christophe Loiseau a bénéficié d’une initiative de la direction de la maison centrale d’Arles pour les faire participer à des prises de vues d’eux-mêmes. Corps noués, visages fermés dans la nuit du décor carcéral.

Sailer, Gregor, photographe né en 1980 à Schwaz (Autriche), expose en ce moment aux Rencontres d’Arles, au cloître Saint-Trophime : Le village Potemkine. Comme au bon vieux temps de l’impératrice Catherine quand son ministre Potemkine érigeait des façades en carton-pâte pour cacher la misère… mais ici ce sont de faux villages pour entraînement militaire, des cités arabes en plein désert pour simuler la guerre contre Daech ou de fausses villes allemandes en Chine pour montrer aux touristes… visions d’angoisse car aucune humanité n’est présente pour mettre un peu de vie. Le faux y est généralisé.

Soulages, Pierre, grand peintre français né en 1919 à Rodez, qu’il est inutile de présenter. A une rétrospective en ce moment à la Fondation Gianadda de Martigny (Valais, Suisse). Il a fait les vitraux de l’abbatiale de Conques. C’est le maître du noir absolu, qu’il a même baptisé « l’outrenoir ». Il y a des gens qui haussent les épaules, mais en général ils n’ont rien vu, ils ne se sont jamais plantés devant une de ses toiles immenses afin de ressentir en soi la complexité énorme que peut avoir un trait de brosse trempée dans la matière sombre, qui laisse sur la toile des stries, des reliefs et finalement une lumière sourde qui rugit comme un diamant sorti de l’ombre.

Soulages, peinture 260×202, 1963

Tabouret, Claire, peintre née en 1981 à Pertuis, est exposée en ce moment à la collection Lambert d’Avignon sous le titre : Les Veilleurs. J’aime beaucoup les tableaux de Claire Tabouret. Elle est experte en visages, des visages avec des couleurs mates, à plat, avec des teintes claires qui naviguent autour des formes et aussi parfois de drôles de taches qui maculent l’entour de la bouche ou des yeux, brouillant le regard, elle réunit aussi des visages dans de grandes compositions qui ressemblent à des photos d’école ou de choeur. L’une de ces compositions a été retenue comme affiche du festival In, les regards des enfants se posent sur nous comme des papillons envolés tout à coup d’un massif de fleurs.

affiche du festival d’Avignon

Wegman, William, photographe né en 1943 à Holyoke (USA), expose en ce moment aux Rencontres d’Arles, au palais de l’Archevêché : Etre humain. L’exposition la plus drôle, et pourtant ce chien, mille fois répété dans des décors toujours renouvelés est plein de mélancolie. Un braque de Weimar baptisé Man Ray… excellent dans tous les rôles d’humain, de chirurgien à blonde, de promeneur de chien à George Washington, parfois déguisé en cube ou en éléphant, vierge Marie ou Tamino…

Promeneur de chiens

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