Deux de mes amis FB (l’un s’appelle Serge Pauthe – il est comédien – l’autre Alain Nouvel – il est écrivain) (mais qui sont aussi des amis dans la réalité non virtuelle) ont dit déjà tout le charme et la justesse du dernier film de Robert Guédiguian. Le premier l’a fait en disant : « Quand la famille Guédiguian s’installe dans cette villa pour veiller leur père immobilisé par une attaque cérébrale, nous prenons place avec eux dans l’ombre dans la salle. Ils nous sont si sympathiques que nous prenons en compte leurs tourments, les blessures de l’âme, les rêves de jeunesse piétinés par une société frileuse… Oui, nous sommes comme chez nous dans cette histoire qui bâtit le présent avec des morceaux brisés du passé …mais avec une belle salve d’avenir ». Et le second en se rappelant le temps où « on construisait ou faisait construire sa « villa », dans les environs de Marseille, au temps où le terrain des collines ou du littoral ne valait rien et où on faisait ça « à l’arrache », sans permis ni architecte, juste avec un maçon payé « à la gâche » et à la petite semaine ». Il en a déduit que le film de Guédiguian parlait « d’une utopie très marseillaise, à la fois communiste et petite bourgeoise, chaque « villa » (et ce mot était à lui seul une hyperbole, ces « villas » étant le plus souvent des cabanons montés en graine), étant cette île où se retrouve toute une tribu, autour d’un chef de clan, le plus souvent chef de famille ».
A. Nouvel dit aussi : « Le puissant de ce film, c’est de mêler l’intime et le mondial, du Tchekhov de la Cerisaie et du Victor Hugo des Pauvres gens ». C’est beau et bien dit. Le rapprochement avec Tchékhov est juste car dans les deux cas, c’est un territoire qui disparaît, avec les effets qui s’en suivent sur ceux et celles qui y ont habité, qui l’ont aimé, qui s’y sont aimés (ou bien détestés…).
J’ai beaucoup aimé ce film moi aussi, un film qui attire une immense sympathie, et se conclut sur de belles séquences de générosité motivées par l’irruption dans cette famille en plein bouleversement de trois enfants kurdes rescapés d’un naufrage. Armand, le fils aîné (Gérard Meylan), qui parcourt la garrigue pour la nettoyer de sa végétation morte, puisque désormais personne ne s’en charge, tout le monde ayant déserté les lieux, délaissant les cabanons du littoral pour des sommes d’argent parfois rondelettes, rencontre une petite fille d’une dizaine d’années avec ses deux frères plus jeunes, qu’elle protège comme elle peut du froid qui vient et des affres de la faim : c’est elle qui a pris les pots de confiture qu’on avait laissé négligemment traîner sur la terrasse. Il la rattrape et réussit à vaincre sa peur. Les enfants s’abritaient sous des branchages, ils avaient encore gardé leurs gilets de sauvetage humides. A la maison, on a toutes les peines du monde à les faire se déshabiller afin de revêtir des vêtements secs tellement ils se tiennent fort par la main et il faut que Joseph, l’autre fils (Jean-Pierre Darroussin) trouve la solution de leur faire changer la main par laquelle chacun se tient à l’autre pour parvenir à leur enfiler un nouveau pull. C’est la plus belle séquence de ce film. Selon moi bien sûr, qui suis, en général, assez peu sensible au folklore marseillais.
Comme dit Alain Nouvel, ce film nous montre tout ce que pouvait contenir d’idéal petit-bourgeois une culture se présentant comme communiste. Il en reste bien sûr une grande nostalgie. Autrefois, à Noël, le sapin était collectif et le Père Noël arrivait en tracteur remorque et distribuait à tous les enfants les mêmes cadeaux bien emballés. Que s’est-il donc passé pour que tout change ? Pour que désormais les cabanons et villas aient les volets fermés la plupart du temps et que les petits vieux se meurent littéralement (par suicide causé par absorption de médicaments soigneusement conservés dans le but d’une prise brutale de la totalité des gélules). Bien sûr le capitalisme, bien sûr le « néo »-libéralisme, bien sûr l’argent, toujours l’argent… mais au-delà de ces rappels peu productifs sur le rôle d’un système économique (mais en connaîtra-t-on un jour un autre?), ne faut-il pas voir une somme de comportements individuels, de choix délibérés qui montraient déjà, sous-jacentes aux prises de position politiques, des tendances à l’égoïsme ? Chacun voulait pour lui seul son cabanon et son coin de mer. Angèle, la soeur (Ariane Ascaride) était partie jouer la comédie à Paris et avait laissé sa petite fille à la garde du grand père. Celui-ci s’en était-il beaucoup occupé ? Un soir de grands débats sur la terrasse, la petite est partie et s’est noyée. Cela fait vingt ans. Angèle s’est brouillée à vie avec son père. Il faut l’AVC soudain de celui-ci pour qu’elle revienne partager avec ses frères la charge de gérer ce qui doit l’être. Une comédienne. Belle occasion de faire des digressions sur le théâtre. Et même sur Claudel. Que le jeune marin pêcheur d’à côté a appris par coeur dans l’espoir de séduire un jour peut-être la voisine tant admirée…
Joseph a débarqué avec sa jeune amante : une étudiante séduite par ses discours nostalgiques de leader de mai 68… mais elle est jeune et lui vieillissant. Il lui fait quelques rappels à l’ordre moral. Elle est gentille de les supporter et de se soucier encore de lui. Au tout début du film, cette remarque acerbe de lui à elle adressée : « je vois, la tête à droite et le coeur à gauche… comme tout le monde ». Et oui comme tout le monde… Est-ce notre faute si les rêves de la gauche se sont dissout à l’épreuve du pouvoir ? Il eût été plus juste à mon avis de dire : « économiquement à droite, sociétalement à gauche … comme tout le monde »… sauf que cela eût été trop long, moins facile à dire.
Angèle se laisse finalement séduire par le jeune pêcheur qui dit du Claudel (comme quoi, la poésie ça sert quand même bien à quelque chose…). Par moment, la fresque de Guédiguian frôlerait le feuilleton « Plus belle la vie »… que l’on ne voit pas là une critique méchante, après tout, « Plus belle la vie » (que je regarde rarement) n’est peut-être pas si mal, comme feuilleton.
Une grande part de l’émotion dans ce film vient du contraste générationnel. Deux générations principalement : celle des baby-boomers (ou approchant) et celle de ceux qui ont l’âge de leurs enfants ou petits-enfants. Les derniers sont dans l’actuel, l’inachevé, la nécessité d’être en mouvement, d’un pays à l’autre (le fils du couple âgé, qui veut les aider à payer leur loyer, ouvre des laboratoires pharmaceutiques aussi bien à Londres qu’à Paris) d’un amour à l’autre. Les premiers sont au contraire dans l’accompli, le regret, les douleurs ressassées, les fautes non avouées (Angèle avait menti à son mari quand elle avait déposé sa fille chez son père) mais c’est un peu comme si la vertu était de leur côté… alors qu’il n’y a guère de raison pour qu’il en soit ainsi, si l’on y réfléchit. Si ce n’est, comme toujours, l’embellissement du passé vu au spectre de la mémoire.
Ainsi ce film est-il un film de la transition, du passage d’une génération à l’autre mais qui ne parvient pas à se départir d’une nostalgie, laquelle voudrait nous faire croire encore en la justesse d’une vision « marxiste » de l’histoire, qui n’était, somme toute, qu’une vision liée aux « Trente Glorieuses ». Marseille aurait-elle pu être le communisme plus les calanques ?
Beau compte rendu. Vous me donnez envie de voir le film, alors que je boude le cinéma depuis pas mal de temps maintenant.
Je me souviens du dernier Guégédian, qui était déjà une grande interrogation sur les bonnes intentions, me semble-t-il. Le film où le héros et sa femme se font voler par braquage un billet d’avion.
Sauf que… je ne vois pas pourquoi vous évoquez l’utopie marxiste…
Je sais que même au sein de la famille de mon mari, on a conjugué l’utopie au marxiste, mais… pour moi il n’en est rien.
Cette utopie était déjà celle de la proto Eglise, vous savez… cette structure qui nous a légué l’utopie marxiste.
Tout compte fait, je n’aime pas vraiment ni l’une, ni l’autre, même si elles continuent à mettre des étoiles dans les yeux de beaucoup.
Là où je vibre avec ce que vous racontez, c’est dans la présentation d’un monde où l’on n’avait pas besoin d’un permis de construire en 10 exemplaires, où on n’était pas obligé d’appeler 10 fois un artisan jamais chez lui pour faire faire des travaux parce que souvent, on savait encore faire quelque chose et bricoler avec ses dix doigts. Un monde où il pouvait y avoir encore de la surprise, et de l’aventure sans partir en Australie.
La perte de ce monde est une tragédie qui jette encore une ombre dévastatrice sur mon existence.
Pour la jeunesse qui ne s’ancre en rien, et bien, j’ai déjà donné là aussi, car il s’agit bel et bien d’un certain modèle américain d’après guerre qui cultive l’errance comme liberté. J’ai payé cela de ma personne. J’espère que mes enfants ne commettront pas mes erreurs, mais c’est peut-être peine perdue.
Oui pour la poésie. Elle… sauve. Un certain nombre dans les camps de concentration avaient déjà compris combien elle sauvait dans les camps, et maintenant.. elle continue à sauver… dans le camp…
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Un film à voir.
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La Villa est un film qui ne m’a pas vraiment touché excepté la deuxiéme partie du film avec les enfants qui sont les seuls acteurs saississant ( tant le jeu de la famille provençale nous est connu)
J’ai aimé presque toute la filmographie de Guédiguian mais celui la ne me pas apporté le nouveau souffle que j’escomptais à l’instar de » Faute d’amour » ou de » Au Revoir la Haut ».
Il y a plusieurs sujets traités, me semble t-il et aucun n’émerge suffisamment, à mon avis, pour en laisser une trace puissante.Il manque de la créativité dans le traitement.
Je suis allé voir Guédiguian pour me ressourcer et pour le cautionner. j’en suis ressorti globalement neutre, comme cette habitude d’acheter chaque mercredi le canard enchainé que je soutiens mais qui souvent (et c’est incontournable) fait du canard.
Mais à voir comme acheter le canard.
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Salut Albert! je te trouve un peu sévère sur ce film, moi, je l’ai trouvé plutôt bien, et même un des meilleurs de Guédiguian. Pour moi le pire, c’était celui sur l’Arménie… C’est bien qu’il y ait beaucoup d’implicites dans un film, ça laisse le soin au spectateur de broder et d’imaginer. mais c’est vrai qu’en sortant je me suis dit c’est « Plus belle la vie » façon marxiste » 😉 !!
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