Cinéma de voyage

« Le chemin » (de Jeanne Labrune, avec Agathe Bonitzer, Randal Douc et Somany Na), quel titre anodin pour un bien joli film, qui n’est en rien anodin, lui. Et qui s’ouvre avec les plus belles photos que l’on ait vues depuis longtemps au cinéma. La beauté encore. Les années passant, on finit par se dire qu’il y a peu de choses qui valent autant la peine de se concentrer sur elles. Beauté des paysages, d’une eau dorée qui s’étale ne faisant apparaître ci et là que quelques saillies comme des troncs d’arbre recouverts de mousse ou quelques branches cassées. Cela se passe au Cambodge – où je ne suis encore jamais allé – une jeune fille (Agathe Bonitzer) se trouve là on ne sait comment dans le but de devenir nonne. Elle a toute la fraîcheur de l’innocence. Elle parcourt un chemin à la lisière des temples d’Angkor afin d’aller soigner une femme dans sa hutte de village. Elle croise un homme d’une quarantaine d’années, beau, qui parle bien français car il a vécu en France pendant trente ans, et qui est revenu au pays. Cet homme est marié à une femme qui s’appelle Sorya, à laquelle il voue un bel amour. Cet amour hélas se meurt d’un cancer qui vient de récidiver. Camille – c’est le nom de la jeune fille – est en butte aux émotions de l’amour, de la quête de spiritualité et de la peur face à l’étrange. On comprend qu’au Cambodge, les pierres vivent. En ce pays, on croit voir une montagne mais non, il s’agit d’un temple, ou bien d’une énorme tête de Bouddha jaillissant d’une jungle épaisse. Camille chute. L’endroit où sa tête heurte le sol se met à bouger. La terre s’anime. Se relevant, elle voit des corps morts, calcinés accrochés aux pierres du temple et qui lentement s’animent. Fantômes. Dès le début du film, la mère supérieure a averti Camille de ne pas passer par là, ce à quoi elle a répondu : « mais la poussière de la terre n’est-elle pas toujours faite de la cendre des morts ? », et la Mère a rétorqué dans un sourire : « ici les morts sont vivants. Ils vivent au moins dans l’esprit de ceux qui les ont aimés ». L’homme de quarante ans va à la pêche – c’est fou ce que les rivières et les lacs grouillent de poissons – c’est pour rapporter de quoi manger le soir à la maison. Sorya apprend que son mal est reparti de plus belle, elle souffre mais veut le cacher à son mari. Elle se sait condamnée puisqu’elle n’a plus désormais l’argent qu’il faudrait pour se faire de nouveau soigner efficacement à l’hôpital de Bangkok. Elle ne surmonte sa douleur que grâce à des comprimés de morphine qu’elle achète une fortune à un trafiquant chinois.

Agathe Bonitzer

Certains critiques ont pu trouver ce film schématique, son héroïne inexpressive, le contrepoint à la vie près du temple sous la forme de la vie en ville de l’homme avec sa femme Sorya mal rendu. De fait l’agonie puis la mort de la jeune femme sont peu réalistes. Il est vrai aussi qu’à côté des paysages splendides, les meilleures scènes sont encore celles où Camille dialogue avec la Mère supérieure. On attend ces scènes avec impatience. Elles sont la touche mystique du film, son aura de transcendance. Camille est en état de demande constante car elle voit bien la beauté autour d’elle, mais aussi le mal, qui lui est adjoint, sans être capable de le distinguer. Si le mal est difficile à définir, alors sera-ce mieux avec le bien ? La mère lui répond que le bien, c’est ce qui ne nous fait pas mal, et qui ne fait pas mal non plus aux autres. Définition entièrement négative qui dit ce qu’est ce film : une énigme, comme l’est le pays qu’il prend pour cadre.

Je ne suis pas sorti du film « Gabriel et la montagne » (de Felipe Barbosa, avec Carol Abras et Joao Zappa) avec la même indulgence, mais plutôt en colère. Certes je n’avais pas perdu complètement mon temps : une part d’une triste réalité tranparaît dans ce film. Gabriel est un membre de la bourgeoisie éduquée brésilienne en rupture de banc mais qui a, malgré cela, gardé ses réflexes et ses comportements de petit homme blanc machiste et insupportable. Je ne crois pas que l’on puisse dire de ce film qu’il incarne une certaine recherche de spiritualité dans le parcours du monde (malgré ce que dit son réalisateur qui voudrait le hausser au niveau de « Sans toit ni loi » d’Agnès Varda). Nous sommes plutôt là devant une ode à l’aventure façon Lonely Planet, le guide autrefois sous-titré « travel survival kit ». Qui a déjà voyagé un peu dans cette région du monde reconnaîtra quelques « incontournables » comme on dit trop souvent… comme le cirque de Ngorongoro pour approcher les grands animaux sauvages, ou le grand pic du Kilimandjaro. On reconnaîtra aussi ces moments que tout voyageur (pourquoi ne pas dire « touriste » tout simplement?) rencontre inéluctablement, lorsqu’il craint de « se faire rouler » par l’autochtone notamment, ici jusqu’à le prendre au collet en le soupçonnant des pires escroqueries (incompréhension sur l’usage d’une carte bancaire, réticence à accepter quelqu’un qui se présente « généreusement » comme guide car on sait qu’à la fin, on aura toutes les peines du monde pour s’en défaire…). Ces petits anicroches, ces traductions de notre malaise inhérent à notre condition de touriste, surtout en Afrique où moins que nulle part ailleurs, le rapport entre l’autochtone et le touriste se réalise d’un coeur léger, valent-ils une séquence de film ou un passage de roman ? A mon avis non. Tout le monde sait cela ou devrait le savoir. On passera alors sur la conséquence inéluctable de ces tracas lorsqu’on voyage en couple : le malaise de l’un se rajoutant au malaise de l’autre, tout cela ne peut que se terminer en pleurs et chamailleries. Ce film, donc, plein de clichés sur les voyages touristiques, a juste le mérite de nous mettre le nez dans nos contradictions. A ce moment-là, vous entendez une petite voix derrière vous qui vous dit : « mais il ne faut pas y aller alors… ». La petite voix dit vrai. Elle dit aussi que l’Afrique n’est pas un terrain de jeu malgré ses immenses paysages et ses animaux sauvages et que le jeune garçon plein d’idéal mais qui tape du pied par terre dès qu’il perd un de ses colifichets… n’y a tout simplement pas sa place.

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