Echappée vélocipédique sur une route dégagée qui s’éloigne du centre de la petite ville de Kinosaki. Nous voulions rejoindre le centre depuis notre ryokan mais nous avons pris un chemin qui nous dévie insensiblement vers un ailleurs champêtre, des rizières d’un vert éclatant au soleil déclinant, une eau qui miroite et des maisons basses aux tuiles d’émail qui s’alignent vers le lointain : une vallée, un col à franchir avant d’atteindre la mer de Chine, là-bas, qui entre dans la terre à l’estuaire du fleuve Maruyama. Nous nous sentons légers sur nos vélos malgré la chaleur du soir.
Kinosaki… la ville des onsen – bains publics – On entre dans un vestiaire, on se déshabille complètement, on garde avec soi une petite serviette, puis on passe à la salle qui renferme le bassin – mais parfois il en est un aussi à l’air libre – on se lave méticuleusement, assis sur un petit tabouret, avant de se mettre à l’eau, très chaude (plus de 40°C). Pas question de nager ni même de risquer le moindre geste : on se mue en statue, au milieu d’autres. Etrangeté des corps qui luisent dans la pénombre ou bien au contraire dans la clarté du jour, on apprend là que tout corps est beau, qu’il soit celui d’un vieillard ou celui d’un jeune éphèbe.
Notre premier ryokan à Kinosaki était une maison-foutoir au débouché d’un pont enjambant le canal, l’Oyado Asagoya, tenue par un homme un peu atypique dans la société japonaise : le cheveu frisé, l’air rieur. D’une affabilité extrême. Il nous sert le café à notre arrivée que nous buvons pendant qu’il finit de préparer notre chambre. Celle-ci est un magnifique espace, avec un coin literie (futons étalés sur les tatamis) et un coin salon, dossiers où l’on peut s’appuyer face à une table basse, fenêtres coulissantes qui donnent sur la rue principale. Nos yukatas sont posés sur les lits, en attente de notre sortie, vers 17h, heure à laquelle les autres visiteurs sortent aussi pour aller aux bains. Bruit de claquettes des socques de bois sur le macadam. Petits restaurants délicieux, poisson cru, sashimis…
Il est un coin d’Hiroshima, en bordure de la rivière Kyobashi-gawa, au niveau du pont qui prolonge Aioi-dori où se trouvent plusieurs cafés avec terrasse. L’un d’eux est tenu par une charmante dame qui fait tout son possible pour échanger quelques mots en anglais. Elle a cinquante-cinq ans, elle a toujours vécu à Hiroshima où elle est née. Ses parents sont nés à Hiroshima. Ils étaient donc nés lors du largage de la bombe, mais, nous dit-elle, ils étaient heureusement en pension à une dizaine de kilomètres du centre. Nous aimerions parler avec elle plus longtemps. Elle est l’une des personnes que j’aimerais revoir si je retourne au Japon, avec le gérant rigolo de la ryokan Oyado Asagoya (qui, entre parenthèses, a retrouvé mes lunettes, que j’avais perdues et sur lesquelles je m’apprêtais à tirer un trait définitif. Il nous les rapportées, triomphant, dans la ryokan où nous étions hébergés le deuxième jour, une ryokan plus luxueuse, mais beaucoup moins drôle).
Le récent (et très beau) film de Jean-Gabriel Périot (« Lumières d’été ») le confirme : Hiroshima est connu, non seulement pour ce qui s’y est passé d’apocalyptique, mais aussi, plus modestement, pour sa spécialité culinaire : les okonomiyaki. On mange souvent les okonomiyaki en étage, dans les immeubles du centre, vers Ebisu-dori. Hiroshima (mais aussi peut-être d’autres villes japonaises) a la particularité que les stands de nourriture qui sont ailleurs (par exemple en Chine) dans la rue se trouvent dans les étages… Une dame en rouge fait de la retape dans la rue, ventant son menu. On se laisse tenter. On monte en ascenseur vers un paradis gastronomique. La dame nous conduit à son cuisinier de mari, jovial. Nous lui commandons aussi des huîtres chaudes. Le chef balance les petites boules de chair salée sur la plaque chauffante devant nous. Nous les dégustons avec du chou. Puis vient la préparation des okonomiyaki proprement dits. Un peu de pâte à crêpe, un tas de choux découpés par-dessus. On mélange avec des bouts de lard. On retourne, on dispose sur la crêpe toutes sortes de garnitures, oignons verts, crevettes, tranches de porc, on arrose de sauce brune, et on découpe en petites languettes. Un petit verre de saké par là-dessus…
Quelques jours plus tard, nous connaîtrons la version portative, roulée pour être mieux tenue dans la main, dans la petite ville de Miyajima. Mais là, nous devrons défendre notre nourriture… contre les daims qui errent en toute liberté au bord des canaux et rivières…
Le film de Jean-Gabriel Périot montre également cette vitrine d’uniformes de lycéens et lycéennes, dans la galerie Hon-dori.
A Miyajima, notre hôtel (qui s’affiche comme une « ryokan » mais il est trop grand pour cela) est juste au bas du Mont Misen, haut-lieu de la randonnée et de l’exploration de la forêt primaire. Sur ses pentes : le Daishô-in qui est un temple de la secte Shingon, un temple qui s’est spécialisé dans la repoduction à l’infini de statuettes de saints (les « bosatsu »). Parmi ces bosatsu, beaucoup sont des effigies de Jizô, la divinité qui se préoccupe des enfants morts, particulièrement populaire au Japon, où si l’enfant, objet de toutes les attentions, venait à mourir, il faudrait lui garantir la possibilité de franchir le fleuve Sanzu.
Tout ferme à 17h. En allant à Tomo-no-ura, petit port de pêche près de la ville de Fukuyama (toujours dans la préfecture de Hiroshima), nous nous promettions de passer une belle soirée sur les quais et peut-être de manger un beau poisson grillé… C’est pourquoi, après notre petite sieste pratiquée dans notre hôtel somptueux (le Richmond) de Fukuyama, vers 16h, nous nous précipitions pour atteindre par le bus le port en question (bus n°5 depuis la gare, ceci dit en passant pour d’éventuels lecteurs intéressés par la balade). Beauté d’un port que les siècles ont laissé intact, face aux nombreuses îles qui parsèment la mer du Japon, maisons en bois, toits de tuiles recouvertes d’émail, temples disséminés dans les collines environnantes et en bordure de mer. Nous marchons beaucoup, longtemps pour faire le tour de tous ces bâtiments qui offrent autant de points de vue sublimes sur la baie. Mais au retour… surprise de trouver tous les bistrots que nous avions repérés… fermés ! C’est avant 18h qu’il fallait manger… sinon rien ! Plus qu’à reprendre le bus n°5 direction Fukuyama Station. Ce qui nous paraît étrange : alors que vers 19h, tout le monde est censé être rentré chez soi et que le soleil a décliné déjà depuis longtemps, nous nous attendons à trouver de la lumière dans les maisons mais visiblement tous les stores sont baissés, il ne passe aucune lumière par les fenêtres obstrués. On oppose souvent en Europe le sud catholique au nord protestant par la présence ou l’absence de rideaux aux fenêtres, les pays du Nord comme la Hollande laissant toujours voir ce qui se passe à l’intérieur des maisons, ainsi jamais closes contrairement aux maisons du sud. Le Japon surpasse les pays catholiques.
Echaudés, nous revenons le lendemain dès 10h. Quand tout est ouvert. La vieille maison de négociant et le musée moderne qui domine la ville, le bistrot du bout de la jetée et la maison traditionnelle qui abrite un musée à la gloire du héros local(*). Beauté de la maison des négociants, dite aussi résidence Ôta, qui abrite un atelier de fabrication d’une liqueur réputée pour ses vertus médicinales (hômêshu). Amusement : la dame très sérieuse qui est censée nous servir de guide en anglais pour visiter la maison… ne connaît pas un mot d’anglais, mais elle lit consciencieusement sa feuille, qu’à la fin, nous lui demandons de nous tendre… Au musée, en haut, sur la colline, c’est pareil, incompréhension. Mais de là-haut, on voit le village s’étaler et on devine le clapotis des vagues…
Prolongement : dernier soir, à Osaka. Dans un restaurant qui semble très prisé si l’on en croit la queue qui se forme à l’entrée, le cuisinier-chef découpe le thon entier sur son étal, face aux consommateurs.
(*) Sakamoto Ryoma, un « samouraï-marchand » qui osa affronter le shôgun Tokugawa après une histoire de naufrage dans la baie, où fut perdu le bateau Iroha-Maru, événement prélude à la restauration des Meiji (1868)
Un très beau voyage (avec images à la hauteur), décidément.
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oui je le recommande vivement en espérant que le Japon reste tel qu’il est, qu’il évite de nouveaux ravages du nucléaire (quand nous y étions, le missile nord-coréen n’avait pas encore survolé une partie du Japon où nous étions justement, la Préfecture d’Osaka, mais le ciel retentissait de beaucoup de vols de chasseurs ou bombardiers à l’entraînement).
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Bonjour Alain , descriptif alléchant, un récit sensoriel et intuitif qui donne envie de se laisser « voyager » à la découverte de cette région du monde.
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