La Drôme est un grenier à poètes. Philippe Jacottet vit à Grignan. Une de ses amies tient la librairie « Ma main amie », au bas de la côte qui monte en spirale vers l’entrée du château de madame de Sévigné, vous y trouverez tous les livres du poète et tous ceux de ses auteurs préférés. A Montélimar, s’édite la belle revue Voix d’Encre sous la responsabilité du poète Alain Blanc. Et Laurence Nobécourt, qui habite à Dieulefit, a viré de plus en plus poétesse (*).
Elle explique que confidentialité pour confidentialité, autant opter pour la voie la plus radicale, qui est bien celle de la poésie. Car il faut bien le dire, les poètes ne produisent pas des best-sellers… Alors elle a écrit un long poème, « le Poème perdu », qu’elle avait lu en avril à Paris, à la Maison de la Poésie, et qu’elle est venue nous lire ce samedi, en la mairie du Poët, dans le cadre des activités de notre cercle. Elle nous est arrivée comme tombant de haut puisqu’elle s’était trompée de route et qu’elle avait pris le col surplombant le village au lieu de venir par la route du bas, beaucoup plus courte. Celle qui suit la vallée de l’Ennuye. On dira juste alors qu’elle avait voulu peut-être fuir l’Ennuye, justement. Les ami(e)s du village étaient là bien entendu, avec aussi des gens venus de plus loin et que nous ne connaissions pas. De Bésignan, de Buis, de Nyons. Nous avions aménagé la salle de la mairie en y rajoutant des bouquets de fleurs séchées. En y installant un éclairage intimiste, aussi. Avec juste un halo au-dessus de Laurence pour qu’elle puisse lire son texte. Après une courte présentation, il y eut un long silence. Quelques grattements de gorge. Des pieds qui frottent le sol. Des respirations qui se prennent. Et elle a commencé à lire dans le silence recueilli. Vous savez, c’est ce texte qui est scandé par ces phrases : « nous n’étions pas des comédiens, on ne nous avait prévenu de rien ». Oui, la vie ressemble à un théâtre, sauf que c’est un théâtre sans entractes et sans coulisses. Nulle part où nous puissions nous reposer. Et nous devons jouer la pièce jusqu’au bout.
« Le poème perdu » est un dialogue. On devine qu’une fille, réalisant l’échéance de sa mort appelle sa mère à l’aide. Et, ce faisant, toute une vie s’expose et avec elle un corps, qui part en lambeaux bien entendu, jusqu’au point où « la cage de nos côtes est la seule échelle qui nous reste pour monter jusqu’au ciel ». mais pourquoi, maman, les humains deviennent-ils mécaniques en vieillissant ?
Un long texte poétique comme celui-ci est comparable à une sonate ou à n’importe quelle forme de musique de chambre, c’est un peu du Schubert ou du Brahms, nous captons avec notre ouïe un morceau qui nous enchante et en y repensant, en nous le rejouant au-dedans de nous, nous oublions d’écouter le reste, notre attention devient flottante jusqu’au moment où un nouvel accord de cordes va éveiller en nous de nouvelles images, de nouvelles sonorités, un nouveau tableau. Il s’agit là aussi d’une image du temps, on a souvent dit que la musique sculptait la matière première du temps mais il en est aussi comme cela de la poésie.
Lorsque la voix s’est tue, tous les participants se sont demandés comment il pouvait être donné suite à la tension qui nous avait habité durant ces trois-quarts d’heure. On a décidé de boire quelques boissons à bulles, genre Clairette, puis comme certains avaient un peu trop tendance à accaparer la dame, nous nous sommes rassis pour tenter d’échanger autour de l’œuvre de Laurence. Ses premiers romans (« La démangeaison », « La conversation »), le tournant que fut son gros roman « Grâce leur soit rendue ». Puis l’évolution vers la poésie avec le passage par Hildegard von Bingen (« La clôture des merveilles »). L’évocation aussi de ses œuvres futures, de ce livre que l’on attend où il sera question d’un mystérieux poète japonais (existe-t-il vraiment ?). Laurence nous a parlé avec urgence de la poésie, de celle qu’il fallait réaliser en nous si nous voulions échapper au remugle du temps et de la politique. J’ai tenu à dire, même si maladroitement, que l’un des outils majeurs de la poésie (et en particulier de son écriture à elle) était les effets de réel qu’elle suscite: la force du verbe est aussi ce qui nous pousse à agir et n’est peut-être plus aujourd’hui que la seule chose qui nous pousse à agir, d’ailleurs, dans le sens d’un lien plus fraternel, plus solidaire.
Il y a chez elle, on le sait, une propension à croire que rien n’arrive par hasard, que tout est signe. Elle n’est pas en mauvaise compagnie pour penser cela, après tout Gérard de Nerval aussi le croyait (« à la matière même un verbe est attaché … ») et les surréalistes croyaient au « hasard objectif »…
Il semble, si j’en crois certains échos, que sa parole n’ait pas été vaine et soit parvenue à éveiller où maintenir éveillée selon les cas, le vrai et dur désir de durer. Ce n’était pas rien dans ce village minuscule habité d’une vingtaine d’âmes (qui ne sont pas toutes allés voter aux primaires de la droite…).
(*) J’ajoute aussi qu’une nouvelle maison d’édition vient de se créer, à Sainte-Jalle: les éditions des Lisières, qui viennent d’éditer trois magnifiques livres aussi agréables à lire qu’à contempler (tant les illustrations sont belles), et qui sont tournées principalement vers la poésie. L’éditrice et ses auteurs seront parmi nos futurs invités.
NB : il est difficile de commenter un poème dont on ne possède pas de version écrite et que donc on n’a pas sous les yeux (mais il est vrai qu’on peut le réécouter suite à l’enregitrement qu’en a fait France Culture). Personnellement il m’a fait penser à ces vers du doux Gérard :
Ô mon père ! Est-ce toi que je sens en moi-même ?
As-tu pouvoir de vivre et de vaincre la mort ?
Aurais-tu succombé sous un dernier effort
De cet ange des nuits que frappa l’anathème…
Car je me sens tout seul à pleurer et souffrir,
Hélas ! Et si je meurs, c’est que tout va mourir !
La poésie peut se passer des urnes électorales et survoler les mesquineries ou projets absurdes des tenants de la réaction. Merci pour la relation de cette belle rencontre !
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