Après, il va sans dire, on se comporte en parfait touriste, on va visiter ce qu’il y a à voir et dont tous les guides parlent jusqu’à en faire leurs couvertures, la Cité Interdite et le Palais d’Eté, deux espaces majeurs que l’on ne peut bien voir qu’en y passant du temps. L’usage des audio-guides se généralise, c’est commode, il n’y a aucune manipulation à faire (contrairement à ceux que l’on nous donne dans nos musées, qui nous obligent sans arrêt à taper des numéros pour accéder aux commentaires), dès qu’on arrive à proximité du monument ou de la salle à voir, une petite lumière rouge s’allume sur le plan et une voix descend du ciel dans votre petite oreillette qui vous dit tout, seulement attention, elle ne vous le dit qu’une fois, pas question de revenir en arrière si juste à ce moment là vous étiez distrait, ça vous apprendra à ne pas être distrait. Quand on visite la Chine, on doit être attentif à chaque instant, non mais. L’entrée de la Cité Interdite se passe sur la place Tian-an-men, c’est bien connu, juste à côté du grand portrait du Timonier, les cars arrivent là, le plus souvent de touristes chinois, venus de toutes les provinces, ainsi des membres de « minorités » se laissent photographier, la mine réjouie, face au grand mur rouge, d’où viennent-ils ? De l’ouest souvent, donc Tibet, Xinjiang… ils ont leurs coiffes particulières, comme autrefois les Bretonnes qui montaient à Paris. C’est la promenade de leur vie. Ils la raconteront à leurs petits-enfants sûrement, plus tard.
Après le hall des tickets, la visite commence. Théâtralité de l’enfilade de palais depuis la première cour monumentale, monumentalité des plaques de pierre blanche entre les escaliers, faites d’une seule dalle et soigneusement sculptées de scènes mythiques. La voix descendue du ciel me dit que ces plaques de pierre provenaient de montagnes avoisinantes et avaient été transportées en un seul morceau, devant peser probablement plusieurs tonnes (là, je n’ai pas du être assez attentif). Pour les acheminer, 20 000 paysans avec 2000 chevaux poussaient tiraient ces blocs sur de la glace, car cela se faisait en hiver et on perçait des puits tous les 500 mètres pour faire couler de l’eau, et on attendait qu’elle gèle. Vous voyez, j’ai bien appris ma leçon. Passée la Porte de l’Harmonie Suprême, on va vers le Palais de la Pureté Céleste… Là trônait l’Empereur recevant ses illutres visiteurs, puis plus loin l’Harmonie du milieu, où il se préparait à recevoir ses illustres visiteurs, puis la salle de l’Harmonie préservée, où se tenaient les examens pour devenir empereur… euh… je dois me tromper, non, pour devenir « docteur ». Après cette première partie, viennent enfin les palais d’habitation, plus modestes, où il est toujours question d’harmonie, de pureté, de ciel et même de paix. Il y a dans un coin une porte par où seul l’empereur pouvait passer pour aller se distraire dans un verger ou un bord de canal. Pour empêcher à toute autre personne de la franchir, comme l’empereur de l’époque était très vieux (il avait dépassé les 70 ans), on l’avait interdite aux plus de 70 ans… et on attestait du fait que l’arbre qui gardait l’entrée avait déjà laissé tomber une branche sur la tête d’un jeunot qui voulait passer par là… On en apprend des choses… mais devant le Palais de la Pureté céleste, il y a des objets intéressants, cuves, grues et tortues en bronze, cadrans solaires… et puis aussi, on a la grâce de découvrir le palais qui servait de chambre à coucher de l’impératrice. On voit son lit au travers des vitres (sales). Et puis en dernier lieu un charmant jardin, plein de petits palais rococos, la nourriture de l’esprit, les élégances cumulées, l’abstinence, la longévité, la tranquillité… avec en écho les rumeurs de complots, les bagarres sanguinaires autour d’une succession (au début, le statut de fils de l’empereur était assez incertain… ce n’est qu’à partir d’un certain de ces empereurs que l’on s’en remit à celui-ci pour désigner lui-même avant sa mort l’identité de son successeur, évidemment gardée dans un endroit secret…). Complots, vengeances, assassinats, les palais que l’on voit ne sont pas ceux que firent construire les premiers Ming autour de mille quatre cent, mais, après incendie provoqué par les nouveaux dominateurs, les Qing de Mandchourie, leur reconstruction par ces derniers, aux alentours de la fin du XVIIème siècle. Encore heureux que les suivants (le dernier empereur, Puyi, dut quitter les lieux en 1924) n’eurent pas la malencontreuse idée de faire passer tout ça dans la série des pertes dûes aux révolutions. Révolution, vous avez dit ? Ou changement de dynastie ?
Le Palais d’Eté, lui, est un immense domaine à l’extrémité Nord-Ouest de la ville. On ne visite en général que le Nouveau palais d’Eté, car l’Ancien… ce ne sont plus que quelques ruines depuis que les anglo-français sont passés par là et ont tout saccagé en 1860 (seconde guerre de l’opium), ce qui donna l’occasion à notre Victor Hugo national d’une belle envolée contre les deux voyous (le général anglais et le général français dont l’un saccagea et l’autre pilla les trésors de ce qui était le Versailles chinois si l’on en croit les voyageurs de l’époque). Ainsi Palmyre et Bamyan eurent des précurseurs européens, chrétiens même… qui entrent dans la catégorie très vaste des destructeurs de cultures, ceux qui non seulement veulent réduire à néant les forces de l’adversaire mais aussi leur symboles. On accède maintenant au Palais d’Eté par une ligne de métro qui dessert en même temps toutes les universités pékinoises. On entre par un curieux village reconstitué au bord d’une fausse rivière, « la rue de Suzhou », reconstitution d’un coin de Chine du Sud que l’empereur Qianlong offrit à sa belle, nostalgique du Sud… et on escalade les marches qui conduisent à un gigantesque temple bouddhiste que fit aussi construire le même empereur non pas semble-t-il par ferveur religieuse mais surtout pour complaire aux disciples de cette nouvelle « religion » qui s’était mise à ensemencer la Chine… Colline de la Longévité millénaire… descente au niveau du lac Kunming, long corridor aux stations ornées de peintures de paysages et de motifs floraux, palais divers, jusqu’à l’étonnant bateau de marbre, rivé au ponton et pour cause, et au-delà, balade qui peut durer des heures au travers de champs et de vergers reconstitués datant toujours du même empereur qui voulait ainsi rendre hommage aux paysans de son pays. Je me retrouve sur une petite embarcation, seul, gelé, pour rejoindre la petite île au milieu du lac, reliée à la rive par le si élégant Pont aux dix-sept arches qui vous a des allures de Venise perdue au bout de l’extrême-orient. Sur le pont, quelques vieilles personnes s’escriment à faire voler des cerf-volants. Au bout du pont des femmes encostumées dansent en faisant exécuter à leurs éventails et rubans des figures aériennes. Un palais a abrité l’avant dernier empereur, et l’a même retenu prisonnier à l’époque (1898) où l’impératrice douairière avait fait un pacte avec les Réformateurs au terme duquel l’empereur devait être privé de ses mouvements. Il vivait là, donc, sans sortir, avec une femme qu’il abhorrait, elle était moche et bête, mais on la lui avait imposée, c’était sa cousine, meilleure manière pensait la douairière de l’espionner. Malgré son aversion pour elle, il eut avec elle deux enfants, dont le célèbre dernier empereur, immortalisé par Bertolucci, lequel n’eut pas un destin plus heureux. A deux doigts de ce palais, celui des eunuques dont l’un avait tellement su se rendre indispensable auprès de l’impératrice qu’il était monté très haut en grade et qu’il lui servait de confident, à elle, dans les longs soirs d’été quand il apportait un bout de soie jaune aux confins du palais, près de la porte, à l’endroit où Cixi pouvait le rejoindre… mais c’était en tout bien tout honneur puisque, le pauvre, il avait perdu depuis longtemps sa virilité. Triste histoire, tristes histoires des princes et des princesses, de tout temps et sous tous les cieux. Amen.
Très bien, les photos.
Finalement, c’est « Tian Amen » !
J’aimeJ’aime