Mouette d’aujourd’hui

mouette blanche, entre trois murs blancs, avec au fond un dessin noir et blanc qui se révèle au fur et à mesure que la peintre recouvre le mur de ses coups de balai brosse…

LA MOUETTE Mise en scène: Thomas Ostermeier Traduction et adaptation: Olivier Cadiot, Thomas Ostermeier Musique: Nils Ostendorf Scénographie: Jan Pappelbaum Dramaturgie: Peter Kleinert Costumes: Nina Wetzel Lumière: Marie-Christine Soma Peinture: Katharina Ziemke Assistanat mise en scène: Elisa Leroy, Christèle Ortu Construction du décor: Atelier du Théâtre de Vidy Avec: Bénédicte Cerutti Valérie Dréville Cédric Eeckhout Jean-Pierre Gos François Loriquet Sébastien Pouderoux de la Comédie-Française Mélodie Richard Matthieu Sampeur Et Marine Dillard (peinture) Copyright by Arno Declair Birkenstr. 13 b, 10559 Berlin Telefon +49 (0) 30 695 287 62 mobil +49 (0)172 400 85 84 arno@iworld.de Konto 600065 208 Blz 20010020 Postbank Hamburg IBAN/BIC : DE70 2001 0020 0600 0652 08 / PBNKDEFF Veröffentlichung honorarpflichtig! Mehrwertsteuerpflichtig 7% USt-ID Nr. DE 273950403 St.Nr. 34/257/00024 FA Berlin Mitte/Tiergarten

LA MOUETTE

Les comédiens sont déjà là, assis, quand nous, les spectateurs, entrons dans la salle de l’Odéon. Nous en connaissons personnellement un, que nous retrouverons après le spectacle, c’est Jean-Pierre Gos – que nous avons connu dans un coin du Valais – qui joue ici le rôle de Sorine, un rôle qui fut tenu autrefois par des acteurs illustres (Michel Simon, Harry Max). La mise en scène est de Thomas Ostermaier. La distribution est presque la même que dans cet autre spectacle qui fut mis en scène par le même Ostermaier : « Les revenants » de Henryk Ibsen, vu à la MC2 de Grenoble.

639cdd9731267019e35559b0359f6ecfLe théâtre d’Ostermaier se distingue par son refus des éclats de voix : la parole doit sortir librement, sans excès, de la bouche des comédiens, fluide, naturelle. Dans son essai, « le théâtre et la peur », l’homme de théâtre allemand répond à la critique de Godard qui disait ne pas aimer le théâtre « parce que les acteurs y parlent trop fort ». Tchékhov aurait été probablement d’accord avec cette critique et avec la réponse que lui donne Ostermaier (« c’est la même chose pour moi, je n’aime pas la déclamation. Je n’aime pas les fausses mélodies qui se veulent poétiques »). « La Mouette » n’est-elle pas justement une charge contre une certaine forme de théâtre ? On a souvent dit qu’Irina Arkadina – l’actrice vieillissante – avait été inspirée par Sarah Bernhardt sur la fin de sa vie : un monstre de déclamation, l’exact opposé du naturel.

Mais le couple Ostermaier-Tchékhov ne s’en prend pas seulement aux formes « classiques » et dépassées du théâtre, il s’en prend aussi aux formes dites nouvelles. Dans la pièce, on se souvient du petit spectacle d’inspiration symboliste monté par Konstantin et joué par Nina, la jeune actrice, et qui est tourné en ridicule. Ostermaier en rajoute une couche, si on ose dire : sa version de la pièce de Tchékhov (traduite excellemment par Olivier Cadiot, qui est justement un expert dans l’art de restituer une prose comme on la parle, ce qui, nous dira Jean-Pierre, est particulièrement agréable pour les comédiens, qui voient ainsi facilité l’apprentissage de leur rôle) commence par un dialogue entre Macha et Medvedenko (l’instit) qui ne figure évidemment pas dans l’original car il est très actuel, portant une critique virulente des mises en scène « modernes » qui ne nous épargnent jamais ni les corps nus ni « l’homme au slip », ni les vidéos projetées sur le mur du fond, ni les micros dans lesquels viennent cracher les acteurs. Auto-ironie ? Auto-dérision ? C’est pourtant bien ce que cette mise en scène fait puisque les deux comédiens parlent au micro ! Pénétration inévitable (et souhaitable) des modes d’expression contemporains : Bénédicte Cerutti (qui joue Macha) et Cédric Eeckhout (qui joue Medvedenko) parlent comme les gens que nous entendons à longueur de journée, interviewés à la radio, avec leurs hésitations et leur manque de sûreté de soi, surtout Bénédicte Cerutti qui joue remarquablement cette pauvre Macha, mal dans sa peau et qui ne trouvera jamais de quoi s’épanouir (et ce ne seront ni le mariage avec l’instituteur ni l’enfantement qui l’y aideront!). Pour tenter de mettre cette « Mouette » dans l’actualité, Ostermaier leur fait tenir des propos faisant allusion à notre situation actuelle : les migrants, la Syrie (Medvedenko a rencontré un chauffeur de taxi syrien, un homme qui s’est endetté pour faire venir ses vieux parents en Europe et doit rajouter à son travail de la journée – il est enseignant – un travail du soir pour rembourser ses dettes). On peut craindre en ce début de premier acte une dérive un peu trop à l’écart du texte, qu’est-ce que la Syrie vient faire dans cette galère, se dit-on par devers soi, d’autant que l’acteur se permet de demander à la salle si elle y comprend quelque chose… mais crainte non justifiée, heureusement, puisque finalement nous aurons bien tous les dialogues et toutes les répliques prévues par le texte d’origine (enfin pas vraiment toutes puisque certains personnages ont disparu, dont les parents de Macha). Les incises pointant vers la réalité actuelle resteront finalement marginales… (Irina critiquant le jeu de son fils dans sa pièce symboliste : « on dirait la voix de Jeanne Moreau », Trigorine – remarquablement joué par François Loriquet – photographiant la mouette avec son smartphone, ou un selfie pris je ne sais plus à quel moment de la pièce…). Pour l’essentiel, la pièce reste ce qu’elle est, à la fois tragique (elle se termine quand même sur un suicide…) et drôle (il faut ici saluer la performance de Valérie Dréville qui, dans le rôle d’Irina, nous fait bien rire notamment lorsqu’elle entre dans ses colères hystériques). L’éclairage contemporain que lui donne Ostermaier se justifie par ce qui semble avoir été le projet de Tchékhov, lequel situait « La Mouette » (et « Ivanov ») dans la suite du voyage qu’il entreprit à l’île Sakhaline. Ceci est nettement mis en exergue de la représentation : après un tel voyage, disait le dramaturge, on ne peut plus jamais voir les êtres de la même façon (« Qui est allé en enfer voit le monde et les hommes avec un autre regard »). J’imagine qu’on les voit en effet soit comme des personnes qui perdent leur temps en s’enfermant dans des problématiques d’où ils ne peuvent jamais sortir, soit comme des individus qui souffrent et à qui on doit accorder de la compassion. Tchékhov était parti à Sakhaline pour améliorer le sort des bagnards : il leur apportait des livres et des soins puisqu’il était médecin, sorte de « médecin du monde » avant l’heure. Quoi de plus naturel alors que de resituer aujourd’hui cette pièce sous l’éclairage des drames qui ensanglantent notre monde ?

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Tous les comédiens sont magnifiques : on voit qu’ils ont acquis l’habitude de jouer ensemble, aucun n’essaie d’attirer la couverture à soi. Notre ami Jean-Pierre joue Sorine tel qu’il doit être : un vieillard nostalgique qui essaie d’apporter aux gens de son entourage ce qu’il peut pour les consoler de leurs écueils et faire régner l’entente sans toutefois y parvenir.

Les scènes finales sont intensément jouées, ce sont celle où Nina (Mélodie Richard), avoisinant la folie, se lamente sur ses échecs sentimentaux et sa carrière ratée en ne voyant pas qu’elle pousse lentement Konstantin (Matthieu Sampeur) vers le suicide et la toute dernière, autour d’une partie de loto mémorable (où, comme nous le dit Jean-Pierre après le spectacle, « c’est extraordinaire parce qu’il ne se passe rien ! Que des échanges de numéros ») et qui se ponctue par la fameuse détonation (le docteur, joué par Sébastien Pouderoux, veut essayer de faire diversion, « ce doit être une explosion », dit-il, ne se rendant pas compte visiblement de l’effet de comique suscité… qu’est-ce que cela pourrait être d’autre ?) qui annonce le suicide de Konstantin. C’est peut-être dans le dernier acte que cette mise en scène et les acteurs qui y contribuent confinent à la perfection théatrale, font ressentir la plus pure émotion. On est très loin alors des approximations de texte un peu vaseuses du début, quand Ostermaier visiblement règle ses comptes avec les tics du théâtre contemporain.

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2 commentaires pour Mouette d’aujourd’hui

  1. @alainlecomte : Je reste sceptique sur ces pièces de théâtre qui « modernisent » (donc soulignent avec de gros sabots la portée politique de telle ou telle situation « rapportée » à ce que nous vivons) et transforment, finalement, le texte original d’un auteur : comme s’il n’était pas compréhensible par rapport à sa propre époque et qu’il faille le mettre « au goût du jour ».

    On pourrait alors imaginer Tchekov (ou un de ses personnages) non plus avec un smartphone mais sous forme d’un robot télécommandé depuis les coulisses : un peu de SF dépasserait l’actualité contemporaine (avec les migrants… et, pourquoi pas, les pompes à essence à sec) !

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    • alainlecomte dit :

      oui, certes, cela a été ma première réaction aussi. cette partie là de la mise en scène est la moins bien réussie (il y a eu dans Médiapart un article très féroce sur ce sujet), pourquoi parler de la Syrie? et surtout faire tout ce discours du genre « on ne comprend rien à ce qui se passe là-bas »… Mais fort heureusement, le reste du spectacle s’éloigne de cela et restitue des moments de grande intensité, avec des acteurs qui sont tous excellents.

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