La fin de Santorin – 2

Deuxième épisode: où Björk s’envole dans les airs

Björk revint le lendemain, il avait du mal à s’arracher à la vision de cette petite mer intérieure, entre îles et paquebots de croisière, qui semblait abriter dans sa masse liquide des secrets venus des millénaires engloutis. Il était de nouveau à la terrasse du café où, la veille, il avait découvert le paysage et il regardait défiler la foule des touristes au sein desquels parfois il reconnaissait quelques silhouettes qu’il avait aperçues sur le ferry, lors de la traversée, comme cette fille élancée à qui il avait tout de suite trouvé des airs de danseuse, qui attendait, la nuit, à ses côtés, que le bateau accoste, et qui portait une légère jupette se retroussant au gré du vent, dévoilant alors le doux galbe de ses fesses dorées. Il voyait aussi des groupes débarqués de leur navire de croisière, un de ces « Costa – quelque chose », dont chaque membre arborait un insigne afin qu’il reconnaisse ses semblables, au cas où ils se perdraient, ce qui demeurait fort improbable étant donné l’ardeur qu’ils mettaient à se maintenir ensemble. Et au milieu de tout ça, des marcheurs, sac sur le dos, emboitant le pas de leur guide et qui discutaient entre eux matériel de haute technologie, chaussures et ampoules aux pieds. Drôle de petit monde se disait Björk, juste au moment où une bizarre secousse se fit ressentir et où comme un frisson d’angoisse se mit à parcourir les gens. Oui, on avait bien entendu une explosion. Et tous les regards inquiets de se tourner dans tous les sens. D’où provenait-elle. En se penchant un peu, et en regardant vers le sud de l’île, vers Akrotiri et l’endroit où des plages multicolores se succèdent, Björk vit un panache de fumée noire qui s’élevait dans le ciel paisible. Un entrepôt aurait explosé ? mais un entrepôt de quoi, au juste, pouvait-on s’enquérir dans une île manquant si manifestement d’industrie ? C’est alors qu’un nouveau tremblement se fit ressentir, plus fort que le précédent, comme une nouvelle explosion, mais bien plus proche, immédiatement suivie d’un nouveau panache de fumée noire.

thera_eruption_1950-300x198Les gens se levèrent précipitamment de la terrasse, et sans prendre la précaution de régler leur consommations, ils étaient déjà dans la rue, ayant rejoint les autres, les groupes et les marcheurs, la danseuse aussi peut-être, dans une bousculade inquiète. Les femmes appelaient leur mari, les parents leurs enfants. Björk restait un peu en retrait, cherchant le recul mais inquiet tout de même, quand son téléphone mobile se mit à retentir. Le numéro qui s’affichait était bien connu de lui : c’était son lien au Département des Affaires Etrangères, le DAE suisse, analogue au ministère du même nom, en France. Nous n’avons pas pris le temps de présenter Björk, un citoyen helvète en déplacement pour le compte de son administration, entretenant des liens assez amicaux avec Rudolf Rohrer, le conseiller fédéral actuellement en charge de ce département. Rien d’étonnant à ce « qu’ ils » lui envoient un message. Björk n’était peut-être pas un innocent touriste comme on a pu le croire initialement. Après tout, s’il était là, c’était peut-être aussi pour autre chose, peut-être pour glaner quelques renseignements, ou plutôt des confirmations de ce que l’on savait déjà dans les chancelleries et sur quoi on échangeait à mi-mots : l’île de Santorin était devenue stratégique depuis quelques années déjà. On parlait d’un centre de commandement de l’OTAN installé dans le cratère, et d’autres installations sous-marines. Son contact au DAE lui avait laissé un message : il devait se méfier et partir très vite car, contre toute attente, après le récent bombardement de Donetsk par l’OTAN, la Russie avait décidé de se rebeller en s’en prenant au commandement de l’organisation transatlantique en mer Egée. A peine avait-il pris connaissance du message qu’effectivement, les vibrations et les sourdes explosions recommençaient. Il vit un obus, à moins que ce soit carrément un missile, emporter le clocher d’une chapelle byzantine. L’odeur commençait à devenir âcre et les gens commençaient à descendre par n’importe quels moyens vers la mer, se laissant glisser le long des falaises, souvent tombant et roulant jusqu’en bas sans plus se relever, essayant de prendre d’assaut le petit funiculaire qui permettait de rejoindre le port, lequel bien vite fut saturé, puis en panne. D’autres couraient vers Oia en pensant qu’ils seraient plus à l’abri, mais tous voyaient bien que des bombardiers sillonnaient le ciel et que des missiles étaient lancés dont certains s’abîmaient en mer soulevant des geysers incroyables qui retombaient ensuite sur les paquebots croisières qui commençaient à prendre du gite. Désespérément, Björk tentait de rappeler son correspondant (« Vas-tu répondre, oui ? »). Mais rien, comme si toute communication était désormais coupée. Le ciel s’obscurcissait, c’était comme si ces bombes, ces explosions avaient fait se lever le vent, qui soufflait maintenant en rafales, emportant avec lui des nuages de granules volcaniques de couleur noire, de ces granules qu’on qualifiait de grains de sable lorsque la paix régnait et que les gens n’avaient pour seul soucis que d’aller sur la plage, et qui maintenant révélaient tout leur pouvoir de nuisance abrasive. Björk eut peur pour l’île toute entière, qu’il imaginait bien tout à coup basculer vers l’abîme, avec son chargement de luxe, ses ivoires, ses ambres et ses lauriers d’or et de diamants. Il eut un dernier coup d’œil vers l’écran de son smartphone. Miracle ! on lui parlait ! « tenez-vous prêt devant l’église orthodoxe, un hélico va venir vous chercher ». Il poussa un énorme soupir de soulagement tout en se demandant comment ils allaient faire pour l’extraire, lui seul, au milieu de cette cohue… mais déjà il percevait le point rouge grossir dans le ciel et malgré la bourrasque et le bruit des bombes, il entendait celui des palmes qui s’amplifiait, une échelle de corde se déroulait dont il n’avait plus qu’à saisir l’extrémité. Un rétablissement et ça y était. A ce moment, il vit tout près de lui la danseuse affolée : hors de question de l’abandonner. Alors qu’il avait déjà franchi quelques degrés de l’échelle, il l’agrippa de toutes ses forces pendant que l’hélicoptère prenait déjà de l’altitude. Il était temps. Il comprit au grondement intense qui parcourait l’île que la catastrophe était imminente. « les cons, ils ont réussi à déclencher un tremblement de terre »… c’était bien le cas en effet. On voyait maintenant, de là-haut, l’île s’ouvrir en deux, parcourue en son centre par une gigantesque faille dans laquelle s’écroulaient les maisons, les temples et les palais. Les derniers habitants ne purent, en guise de consolation, que voir en leurs derniers instants, cette scène magique : une danseuse en tutu qui s’élevait dans les airs, brassant l’air de ses longues jambes, comme sautant dans les galaxies et faisant du trapèze avec les étoiles, suspendue au filin d’un gros bourdon rouge doté d’une croix blanche et qui allait en diminuant dans le dernier bout de ciel qui fût d’un bleu intense.

photo: éruption à Fira (ou Thera) vers 1950

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6 commentaires pour La fin de Santorin – 2

  1. flipperine dit :

    l’homme arrive à détruire peu à peu la planète

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  2. Si je comprends bien, sont juste sauvés les Suisses et les danseuses … 😉

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  3. Cette île est vraiment mystérieuse !

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  4. Debbie dit :

    Je vois bien pour la danseuse, mais l’espion suisse ?
    J’espère qu’il est grand, imposant du moins, et pourquoi pas… barbu ? …

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    • alainlecomte dit :

      il fallait bien un relai pour sauver la danseuse… et il n’y a que la Suisse, qui est neutre, qui peut mettre ainsi à disposition de ses ressortissants des moyens de s’échapper 🙂

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