Une île colline

???????????????????????????????(depuis mon hôtel)

Haïti, une île colline, c’est ce que j’ai lu quelque part, et qui est vrai. On est loin de penser en arrivant ici et en tombant dans cette végétation, ces fleurs de flamboyants, les enfants qui dévalent la rue en sortant de l’école, cette abondance apparente de fruits, goyaves et papayes et tous ces gens qui s’attroupent sur le Champ de Mars, et discutent paraît-il de tout, au point que le magazine « Jeune Afrique » a baptisé cet endroit « l’université du Champ de Mars », comme s’il en fallait une autre pour compléter celles qui existent déjà, l’université d’Etat et les autres universités, libres, universités reconstruites ou à reconstruire au moyen de dons, l’une, université de « Limonade »(*) offerte par la République Dominicaine mais financée à 70% par l’UE, loin de penser donc qu’il faudrait, comme dit le site de l’ambassade, être vigilant, se méfier des attroupements et ne pas trop marcher seul dans la rue, surtout le soir. Pourtant… l’un de mes hôtes me confirme que lui-même, le soir, ne ressort de chez lui que s’il y est obligé, dans la journée ça va, mais en tant que blanc, on ne passe pas inaperçu. Donc je serai sage, je n’irai pas flâner au milieu des gens, lorgnant les vieilles en chapeau sur le seuil de leur maison, ou achetant une papaye dans la rue à un commerçant ambulant. Je me contente de me faire trimbaler dans un pick-up dépendant de l’université qui m’accueille, confiant dans le jeune chauffeur qui doit user de ruses de sioux pour éviter, non pas les voleurs, les chapardeurs, mais les embouteillages, les bouchons énormes, qu’on appelle ici des « blocus ». A l’aéroport, débarquant de mon Airbus d’Air Caraïbe (vol fatiguant, on a peu de place pour soi tant les sièges sont serrés, neuf par rangée…), j’ai eu l’impression d’être immédiatement confronté à la détresse de ce pays en  voyant cette vieille femme, encore emmitouflée dans les vêtements chauds que lui avaient fait mettre le froid parisien, éclater en sanglots, au point qu’un membre du personnel de la piste s’est enquis tout de suite de savoir s’il fallait appeler une ambulance ou quelque chose pour cette dame, mais la femme un peu plus jeune qui la soutenait – peut-être sa fille – a dit que non, elle n’était pas malade, si elle souffrait, c’était, a-t-elle dit « à cause des choses de la vie », et en la regardant pleurer je ne pouvais moi-même faire autrement que sentir des larmes me monter aux yeux. Bien la première fois que je débarque dans un pays avec une envie de pleurer. Ensuite… de fait je m’attendais à pire, mais je crois que l’on ne voit rien à circuler vite comme ça, entre des voitures et des maisons basses dans des quartiers que l’on devine ne pas être les plus pauvres. Dans l’avion, mon voisin, qui revenait pour la première fois depuis le séisme, pour voir sa famille, me dit qu’ils ont retrouvé sa nièce… il y a six mois seulement. Ils la croyaient morte. Mais elle était… au Chili ! les sauveteurs cubains qui l’avaient extraite des décombres l’avaient envoyée là-bas se faire soigner… et voilà qu’elle revenait. Belle histoire, pour une fois une fin heureuse. Cela n’a pas dû être le cas souvent. Mais je constate que les gens, pour pouvoir survivre, ont pris le parti d’en rire… A l’Université, on me présente un collègue professeur, je sens à sa poignée de main quelque chose d’étrange. Le doyen me dit qu’il est un symbole. Face à mon étonnement, il complète en me disant : « eh bien quoi, vous lui avez serré la main, et vous n’avez rien remarqué ? » Bien sûr que si, il lui manque trois doigts. Il s’est réveillé ainsi après le séisme… Hilare, il me dit : « j’ai de la chance, il me reste la pince ! ». Pince sans rire…. La Faculté de Linguistique Appliquée est maintenant installée dans un hangar. Autrefois, elle était dans un immeuble de trois étages, administrée par un doyen dynamique (à partir de 1978) qui s’appelait Pierre Vernet. En ce fatal 12 janvier, elle s’est effondrée sur lui, qui est resté sous les décombres, avec deux cents de ses étudiants. Ma collègue et amie Marie-Anne P. qui était passée par là peu de temps auparavant pour donner des cours, elle aussi, perdit ainsi la moitié des gens qu’elle avait connus. Le hangar a été découpé en salles trop petites où les étudiants, assis sur des chaises et non à des tables, s’entassent. Ils tentent de se concentrer malgré le bruit extérieur – il faut laisser les portes ouvertes pour faire un petit courant d’air : il fait plus de 30 degrés… puis le hangar s’est développé, un premier étage a été aménagé, c’est là que je ferai cours, c’est l’espace « noble » du master, équipé d’une clim. Allons, la vie universitaire repart en Haïti.

(*) il s’agit, comme l’indique le lien, de l’université « Henri Christophe de Limonade » dont la construction ultra-rapide est remise en cause aujourd’hui.

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Un commentaire pour Une île colline

  1. L’arrivée montre en quelques lignes l’image principale de l’île. Profs et étudiants survivants… De quoi philosopher ou s’interroger sur le sens des mots.

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