Autre lieu, autre ambiance, la plus grande partie des expositions de ces rencontres internationale d’Arles est installée dans la friche industrielle abandonnée par la SNCF, en marge de la ville, et pompeusement nommée « le Parc des ateliers ». On passe ici des ateliers de chaudronnerie, à ceux de mécanique ou des forges. Locaux souvent en ruine, séparés par des cours cimentées, sans ombre, avec au loin, pour se repérer juste ces petits panneaux bleus munis de numéros.
Au numéro 12, atelier des forges, par exemple, se situent John Davies et Antoine Gonin, le premier, anglais, faisant œuvre de témoignage sur les conséquences sociales de la désindustrialisation, et le second, français, proposant des compositions abstraites à partir de paysages bien réels. L’exposition de Davies ne pourrait mieux tomber qu’en ces lieux, eux-mêmes témoins d’une désindustrialisation… Toutefois l’exposition n’ouvre pas tant sur ce thème que sur d’impressionnantes vues de la Cumbrie, montagnes désertes battues par le vent, parcourues de sentiers à flanc qui vont se perdre dans le lointain, semblables aux mêmes sentiers qu’on voit dans les Andes ou dans l’Himalaya, reliant des alpages ou parcourus seulement pas quelques ermites. Ensuite viennent les villes et les chantiers, Birmingham, Manchester, petites cités minières du Pays de Galles (me rappellent Neath, bourgade noire et perdue où, jeune auto-stoppeur, j’échouai un jour d’été 1967, sous la pluie battante, heureusement recueilli par une famille effrayée de mon état dégoulinant, « Oh ! Gracious Lord ! » disait la femme), les cheminées des maisons, toutes les mêmes, se répétant à l’infini au point qu’on ne sait plus très bien si ce sont des cheminées ou des pierres tombales. Davies a aussi photographié la France, des pans entiers de villes et de villages déserts car abandonnés par la majeure partie de leur population ouvrière, ainsi le cinéma de Côsne-sur-Loire, malgré sa forme accueillante (en arrondi), donne-t-il l’air de ne plus accueillir grand monde… Sisteron est là aussi, telle que je ne l’ai jamais vue (or, pourtant je sais très bien d’où cette photo est prise…) l’éperon montagneux auquel s’adosse un quartier de la ville apparaissant monstrueux, prêt à cisailler les maisons fragiles en bordure de la Durance.
Antoine Gonin, lui, n’a pas cette vocation de témoignage : les paysages sont pour lui des toiles abstraites, qu’il reproduit sans manipulation. Un champ de bouchots devient un dessin à l’encre qui pourrait être signé Michaux, une forêt en hiver est une feuille de papier Canson striée à la plume aiguisée.
Autre atelier, autre perspective sur la photographie contemporaine : Pieter Hugo, artiste sud-africain, s’interroge sur le racisme et l’apartheid en réalisant des portraits obtenus par un procédé très particulier, qui convertit les photos couleur en noir et blanc et manipule les canaux colorés de manière à accentuer les pigments (mélanine). Il n’y a plus guère alors de différence entre un portrait d’une personne de peau « blanche » et une de peau « noire » : tout cela est une question de filtre. Belle illustration de ce que c’est le filtre que nous adoptons dans notre regard qui fait la différence, et non une prétendue objectivité du fait racial (me revient en mémoire une tribune récente de Nancy Huston dans le Monde – encore une fois où elle aurait mieux fait de se taire – où elle prétendait nous ouvrir les yeux sur une réalité incontestable, celle des sexes et des races…).
Et puis de qui faudrait-il parler encore ? de Wolfgang Tillmans, à l’atelier de chaudronnerie, dont on peut se demander ce qu’il fait là, vu qu’il fait principalement de la couleur… mais il faut dire dans des formats gigantesques, avec une netteté envahissante, nous propulsant au cœur d’une rue indienne ou d’un marché africain plus grands que nature, nous imposant phares de voiture et carrosseries luisantes non sans une certaine agressivité.
Et puis tant et tant encore, mais la longueur de la journée nous laisse sur les rotules… Sa fin marque celle de la fournaise, un souffle de vent un peu chaud tombant enfin des hauts platanes. La dernière photo ne sera aucune de celles que l’on peut voir exposées, mais celle-ci, de l’atelier des Forges.
Rencontres foisonnantes, propices à la réflexion, qui devraient être ouvertes au plus grand nombre, ce qui serait le cas si les entrées étaient moins chères : le « pass » journalier est à 28 euros, avec réduction, pour étudiants, chômeurs etc. à 23 euros. La plupart des étudiants et jeunes travailleurs ne peuvent pas se payer ça. En plus, aucune liberté n’est accordée pour éventuellement revenir dans une exposition qu’on a déjà visitée mais pour laquelle nous aurions un petit remord, ou simplement l’envie de revoir ce qui nous a plu. Les cerbères sont impitoyables : votre « pass » sera annoté, ce qui vous empêchera de revenir. Rencontres passionnantes, mais si, d’aventure il nous prenait de lui appliquer la méthode critique prônée par Alfredo Jaar (qui met en parallèle la série des couvertures de Newsweek et la chronologie des évènements au Rwanda : le magazine parle d’autre chose, détourne le regard), ne pourrons-nous pas dire, dans dix ou vingt ans, que bien peu de place y était accordée à la gravité des évènements partageant leur actualité. Quid de Fukushima et de ses trois cent tonnes d’eau radioactive déversées chaque jour dans le Pacifique et de ses trois réacteurs en fusion ? Quid bien sûr de la situation au Moyen Orient et dans les pays arabes ? Quid des décisions d’une gravité exceptionnelle prises par les divers gouvernements occidentaux, abandonnant définitivement tout objectif de lutte contre le réchauffement climatique, envisageant sereinement de mettre un terme aux dernières réserves naturelles pour y exploiter impunément pétrole et gaz de schiste ?
Il est toujours frappant qu’Arles installe ses expos de photos dans ces lieux désaffectés et qui, eux-mêmes, deviennent les objectifs obligés des photographes amateurs : la photo est « hors les murs » de la ville, comme reléguée dans des friches et ce n’est sans doute pas anodin. L’espace y est grand, mais le désert aussi.
Et, paradoxalement, l’école de photographie d’Arles se trouve dans le Arles « du haut », dans une petite rue (baptisée Doisneau, si je me souviens bien), comme à l’abri des « ateliers » à moitié démolis, des hangars aux vitres crevées et de la poussière politique du monde.
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oui. il y a sans doute une raison très pratique pour cela: tant d’expositions à montrer nécessite un lieu vaste pouvant les contenir toutes, c’est ce que procure cette friche. Et puis, plusieurs fois, on nous dit dans ce « festival » que l’on veut encourager la photo (en interdisant toutefois la copie des photographies existantes, ce qui me paraît normal), alors quoi de plus normal finalement que de proposer un lieu finalement si… photogénique!
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