D’art en Arles (2) – Bourdin, Sugimoto, Larrain

ARLMSC2804Continuons notre cheminement dans les rues d’Arles, jusqu’à l’espace Van Gogh. Là, se situent deux artistes très différents : le japonais Hiroshi Sugimoto et le français Guy Bourdin. Guy Bourdin est connu pour ses photos de mode, publiées notamment dans le magazine Vogue. Il est supposé être celui qui a révolutionné ce genre de photographie en installant la mode dans des mises en scène choc, expressives et même expressionnistes, avec couleurs saturées et rimes visuelles intéressantes. L’originalité de cette exposition-ci, cependant, est ailleurs, elle réside dans la divulgation d’un trésor découvert par une galeriste folle de Bourdin qui, un jour, eut la permission de fouiller dans le grenier de la famille, d’où elle sortit des dizaines de cartons contenant des petites photos couleur sépia où déjà s’annonçait l’artiste futur, et qui nous restituent tout l’univers des années cinquante.

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Plus ambitieux (à mon goût) est Hiroshi Sugimoto, sans doute l’artiste qui domine ces rencontres, avec l’autre chilien : Sergio Larrain.

« Révolution », a pour titre l’exposition présentée en l’église Sainte-Anne. Non au sens politique, mais au sens tout banal que… la Terre tourne et qu’à chaque tour, nous avons bien une révolution. Si les installations d’Alfredo Jaar déroutaient nos habitudes de voir les photographies qui prétendent montrer l’actualité, les grands formats de Sugimoto nous déstabilisent, eux, dans notre rapport à l’univers physique, au cosmos, la lune et les étoiles.

« Longtemps, – dit-il – j’ai aimé grimper sur des falaises et observer l’horizon, là où la mer rencontre le ciel. Un jour, alors que je me trouvais seul au sommet d’une île isolée dans des mers lointaines, l’horizon englobait tout mon champ de vision et j’ai eu un court instant l’impression de flotter au-dessus d’un vide incommensurable. C’est à ce moment-là seulement, lorsque j’ai vu l’horizon m’encercler, que j’ai véritablement ressenti que la terre était un globe saturé d’eau ».

Sugimoto photographie donc l’horizon, depuis un point de vue en général élevé, au-dessus de la mer. Comme il ne veut pas être importuné par le passage d’un bateau, il part s’isoler au bord de mers lointaines, Terre-Neuve, Arctique, Mer rouge, Mer de Chine, et là, il peut tenter de capter cette impression extraordinaire de flotter dans l’espace, hors de la Terre. Et comme il plante ses photographies à la verticale, de sorte que l’horizon devienne un trait droit qui monte vers « notre » ciel, nous sommes encore plus déstabilisés, mis en lévitation, devenus par la magie d’une exposition, astronautes à bord d’un Apollo …

OhkurosakiTerre-NeuveL’autre « grand » de ces rencontres est Sergio Larrain, chilien, mort l’an dernier dans un isolement complet qu’il a sciemment recherché. Sa période de photographie professionnelle fut relativement courte (des années cinquante aux soixante), après quoi, dans une attitude de farouche opposant à tout système et surtout à la commercialisation de l’art, il a fait un choix d’ermite, se retirant dans le désert chilien, passant par des phases de drogue, d’hallucinations, de yoga et de recueillement mystique, jusqu’à, apparemment, connaître la sérénité d’une retraite où personne ne pouvait le joindre. Quelques opiniâtres admirateurs arrivèrent néanmoins à forcer sa porte, à en rapporter des enregistrements et même un petit film, mais ce fut toujours à une condition : qu’on ne photographie jamais son visage. Ainsi est-il mort inconnu, si ce n’est de quelques visiteurs qui en parlent aujourd’hui comme d’un gourou (ceci dit dans un sens non péjoratif). Larrain, visiblement, avait une conception mystique de la photographie, produite selon lui par la conjonction miraculeuse d’un instant, d’un regard et d’une intention. Quand il n’a plus photographié, il a dessiné et colorié des objets ou des moments autour de lui, images qualifiées de « satori » car elles exprimaient la fulgurance d’une vision instantanée. Durant sa période photographique active (pour de grands magazines brésiliens ou pour Magnum), il a rapporté de ses nombreux voyages des vues saisissantes, en noir et blanc, d’un caractère profondément humaniste en même temps que d’une beauté formelle que l’on ne peut arrêter de contempler. La composition des photos, les lignes de force telles qu’elles se combinent, horizontales, verticales, obliques, donnent le sentiment d’un équilibre qui fait de chaque photo un monde en lui-même. Une masure à la vitre brisée et l’ombre d’un arbre déchiqueté, et c’est aussitôt la beauté formelle d’un Mondrian. Une petite fille qui descend un escalier dont la rampe fait un arrondi, sur un fond de tôle ondulée et on croit voir la grâce de l’Art Nouveau. « La danse des démons », à Independencia, Bolivie (1958) vous a des airs d’un Breughel noir et blanc… Cinq marches d’escalier au Macchu Pichu suffisent à rendre la noblesse des monuments incas. Et pour moi, la plus belle de toutes est une photo prise à Pisac (Pérou). Un chemin oblique sur la droite, délimité par un rebord de trottoir qui monte du coin en bas à droite vers le centre de la photo, un trottoir aux pierres rondes et luisantes, un mur blanc occupant la moitié gauche, sur le chemin à droite un chien errant, sur le trottoir à gauche une petite fille assise contre le mur qui tient un écheveau de fils entre ses doigts. Le soleil fait un halo dans l’objectif. Au loin, un paysan courbé monte une côte.

larrain-empire-inca-Perou-1957Larrain-Bolivie-Potisie-1957larrain-Bolivie-Potosi-femmes-1957Mais Larrain n’a pas photographié que l’Amérique du Sud. Il a voyagé aussi à Paris ou à Londres d’où il rapporte des photos brumeuses à souhait. Et puis il y a Valparaiso… ses ascenseurs, ses quartiers glauques, les prostituées des bars louches…

Il a laissé ce poéme :

Mon
ombre
entre
et sort
entre l’ombre
des immeubles
et celle des arbres,
sur le trottoir.

En bas sont
les chaussures,
en haut
sont les cheveux ;
entre les deux
ce que j’appelle
« moi »

La monographie (la seule existante) qui est sortie cette année, est le résultat d’un travail acharné d’Agnès Sire, la commissaire de cette exposition, et c’est une merveille.

(à suivre)

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2 commentaires pour D’art en Arles (2) – Bourdin, Sugimoto, Larrain

  1. L’ombre est toujours importante en photo (la radio anglaise en fit un générique…), et le noir et blanc, par définition, la magnifie.
    En couleurs, elle est parfois seulement une des touches de la palette.
    Larrain, oui, beau choix.

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  2. Alain L dit :

    La radio anglaise? Ici, l’ombre?

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