Le cinéaste Arthur Lamothe, dont on montre en ce moment, à la Cinémathèque Québécoise (dont on fête le cinquantenaire), plusieurs films documentaires réalisés dans les années soixante-dix dans le cadre d’un hommage au photographe et réalisateur Guy Borremans, est de ceux qui ont voulu approcher les peuples premiers du Canada. Il suffisait pour cela, comme il est dit dans une présentation de lui sur son site web, que, comme l’Amérindien, « qui définit son territoire en le marchant, en le chassant », [il] « se déplace lui aussi à travers les contrées montagnaises, en explore les particularités et les symbioses, recherche les traces qu’elles recèlent. Celles qui disent l’occupation du sol, les viols commis par les Blancs, celles qui éclairent la réécriture de l’histoire à laquelle il faudrait procéder. Il écoute aussi le récit de l’autre, sa mémoire » (Pierre Véronneau – La Revue de la Cinémathèque n°80).
« Pakuaupichu » (« La Rivière sèche », 1976, 57mn) raconte l’installation d’un groupe innu (montagnais) à l’embouchure de la rivière Saint-Augustin, en face de Terre-Neuve. Parce que tous les Indiens de Terre-Neuve ont été exterminés, ces peuples sont devenus les plus à l’Est du territoire canadien. Une partie de ce groupe, qu’on appelle dans le film la famille Poker (mais sans assurance sur l’orthographe, c’est juste le mot que j’ai cru comprendre) est issue d’un couple ayant pu fuir les massacres à la nage, leurs têtes ayant été mises à prix par les colonisateurs blancs. La caméra s’attarde sur les visages burinés, les gestes appris des générations antérieures et qui seront transmis aux futures: monter une tente, fabriquer son foyer d’un tube et d’une caisse en fer blanc posée sur des pieux de bois, dépecer et faire cuire le porc-épic. L’ancien est d’accord pour s’exprimer longuement, sur son contentement « d’avoir une maison pour l’hiver », sur ce dont on se nourrit: désormais la chasse limitée aux porc-épic, aux poissons, parfois des lièvres. Les enfants courent avec leurs chiots sur une rive sablonneuse pendant que les femmes s’affairent en cuisine (mais « que la nourriture de la forêt », car « la nourriture des blancs, on ne sait pas faire, on n’a jamais vu comment ils font »). Une vie qui s’écoule, paisible. Alors qu’une voix off nous avertit que sur les six enfants nés dans les années récentes, aucun n’a survécu. Nous sommes en 1973.
Arthur Lamothe, très âgé, en fauteuil, avait délégué sa compagne pour présenter le film. Elle faisait remarquer que si les Amérindiens donnaient tellement l’impression de se répéter dans leur discours, ils ne souffraient pas pour autant de la maladie d’Alzheimer, mais bel et bien quand même d’un problème de mémoire. De mémoire sociale. La seule possibilité qui reste pour un peuple dont on a voulu la disparition, c’est bien de répéter sans cesse les mêmes mots, les mêmes consignes et instructions pour qu’elles s’impriment, en premier lieu dans la mémoire des plus jeunes.
Arthur Lamothe a voulu faire ces films pour faire reculer le mépris ordinaire. Mais ceux qui ont le plus besoin de les voir les ont-ils vus? On entend beaucoup de propos négatifs sur « les Indiens »… qu’ils sont paresseux, qu’ils ne paient pas d’impôts, qu’ils refusent la société qu’on leur propose… moitié clichés moitié vérités sans doute. A l’heure des remords et des traités de paix, le Canada a beaucoup concédé en termes de territoires et de privilèges, tout en œuvrant sournoisement pour que les Indiens restent entre eux au sein des fameuses « réserves », astreints à un régime d’assistés peu propice à ce que ceux qui le souhaitent accèdent à la modernité. Seul, le Musée Canadien des Civilisations, à Gatineau (près d’Ottawa) affiche un bel optimisme (voir le portail des civilisations autochtones). Pour ses concepteurs, tout va bien, un film récite en boucle les « réussites » de quelques autochtones triés sur le volet. L’un est policier à proximité de la réserve d’Oka, un autre monte des taureaux sauvages, une innue est femme d’affaire dans une petite ville. Quelques-uns ont réussi par le sport, d’autres par la politique. Il demeure toutefois un goût amer dans ce face-à-face de communautés qui vivent séparément et se regardent d’un bord à l’autre d’un fossé rempli de préjugés et d’incompréhensions.
NB: la notice wikipedia indique: « Le recensement de 2006 a permis d’évaluer à 1 172 790 le nombre d’Amérindiens au Canada, en incluant les Métis (389 785) et les Inuits (50 485), soit une augmentation de 45 % par rapport au recensement de 1996″. En ce qui concerne le Québec seul, cette même notice donne le nombre de 79400, ce qui paraît peu.
Lire dans les commentaires ci-dessous la réponse à ce billet de Nathalie Grassin-Lamothe, qui signale une méprise dans le titre du film et apporte d’intéressantes précisions sur celui-ci.
Intéressant… Ici, on a le musée de l’Immigration, je n’y ai jamais mis les pieds depuis qu’il avait été inauguré par Hortefeux.
J’aimeJ’aime
oui, deux situations opposées mais qui se ressemblent: les dominés sont tantôt autochtones tantôt immigrants. A la fin les mêmes désordres psychiques, sociaux, culturels.
J’aimeJ’aime
Merci pour ce bel hommage à Arthur. Le titre exact du film de mon mari est Pakuashipu, ce qui signifie la rivière sèche et non pas la rivière du lynx comme vous l’indiquez dans votre article. En effet, pishu en innu, c’est un lynx ou chat sauvage! Amusante méprise. Les Innus n’avaient pas le droit de chasser ni de pêcher à certaines périodes seulement et en prises limitées, laissant ainsi la possibilité aux Américains ou aux riches Canadiens anglophones de prendre les meilleurs trophées lors de leurs séjours dans les pourvoiries. Les Innus chassent en général le caribou car à cette hauteur, dans le Nord, il n’y a pas de lièvre. Le saumon est le poisson le plus courant. Le porc épic et les castors sont des mets de remplacement et faciles à prendre. Ici, on est en 1970. On suit la famille d’Andrew Poker sur son campement d’été. Les techniques ancestrales se sont modernisées, mais on sent encore la mémoire des gestes dans l’installation des tentes, dans la préparation des repas et dans les chants du chef. Voici un article intéressant sur la dépossession des terres: http://books.google.ca/books?id=LBJ6vda_x7gC&pg=PA105&lpg=PA105&dq=pakuashipi+lamothe&source=bl&ots=tC76fqrMeL&sig=Azr6hrBbjVHTZqIXEy1vlnfG7R0&hl=fr&sa=X&ei=Q3GdUcf9NoXJ4APPnYD4DQ&ved=0CEkQ6AEwBQ#v=onepage&q=pakuashipi%20lamothe&f=false
J’aimeJ’aime