La Suisse a-t-elle un problème d’image?

La Suisse a-t-elle un problème d’image ? C’est en tout cas ce que suggère le film de Simon Baumann et Andreas Pfiffner qui passait en avant-première à l’auditorium FEVI de Locarno en ce 3 août. Un film qui devait décoiffer, proposer un portrait grinçant, féroce même, de la « suissitude » (oui, on préfèrera ce néologisme peut-être à celui de… « swissness » sérieusement proposé par les spécialistes de marketing…). De fait, au mieux, on pouvait penser à un Michael Moore, au pire… à une gaminerie gaspillant beaucoup de pellicule. Les deux « héros » du film partent, micro et caméra en bandoulière à travers la Suisse (surtout centrale et alémanique – c’est d’ailleurs un film en suisse allemand – ) afin d’interviewer les gens rencontrés sur le thème : « la Suisse a un problème d’image, comment suggéreriez-vous qu’on le résolve ? ». C’est l’occasion de montrer à la loupe les travers d’une population égoïste, individualiste, raciste, qui cherche à tout prix essentiellement à se protéger de « l’autre ». L’autre, c’est « l’Européen de l’Est », « le Noir » (les deux catégories sont souvent comparées…). C’est l’étranger. On le reconnaît à ce qu’il commet des délits comme rouler trop vite ou démarrer en faisant crisser ses pneus (quand on connaît les habitudes de conduite de maints valaisans sur leurs petites routes, on appréciera !), et même parfois « il salit ». Mais tout cela, on le sait. Et si on partait faire un reportage sur l’électorat du FN, on pourrait obtenir des propos semblables (le public – à 90% suisse – rigole franchement pendant une bonne partie du film, sauf quand tout à coup, un brave citoyen helvétique prend la défense de Hitler, qu’il appelle familièrement Adolf. On pourrait trouver semblable dérapage sans doute ailleurs aussi… suivez mon regard). Bref, ce film s’attache à montrer que la réalité dépasse le cliché, et c’est sans doute vrai. On rit quand la caméra se fixe sur l’image parfaite du village suisse idyllique et que le caméraman déclare hors-champ : oui, c’est beau… mais rien ne bouge !  Combien s’y retrouve-t-on dans cette expression d’une angoisse qui vous saisit chaque fois que vous traversez un de ces beaux lieux et que vous vous dites que personne n’y vit car si quelqu’un y vivait, on verrait des gens dans la rue, des terrasses de bistrot peuplées, des enfants en train de jouer… et au lieu de cela : rien. Juste un lumignon au loin qui signale que peut-être un café est ouvert. Que des Suisses s’emparent de ce problème de mentalité, de repli sur soi n’est pas en soi gênant, bien au contraire, ce qui l’est, c’est la manière de le faire : une manière potache, peu scrupuleuse (le portrait est exclusivement à charge) et surtout éloignée de tout essai de mise en perspective historique ou économique. Quelles sont les bases concrètes de cette idéologie de repli ? Les réalisateurs essaient bien un peu de soulever la question, mais d’une manière beaucoup trop allusive. Ils chercheront essentiellement à faire sentir le constat qu’ils tirent de leur enquête sur le mode de la culpabilité : les Suisses ont à se faire reprocher plein de choses, pêle-mêle : le rejet de vingt mille juifs aux frontières pendant la guerre, la surexploitation des ressources minières des pays pauvres (l’entreprise « Glencore » est citée), l’utilisation sans vergogne des fonds nazis hébergés par les banques suisses, l’encouragement à la fraude fiscale dans les autres pays par le biais du secret bancaire etc. etc. certes, mais aussi, dit-on, « les crimes de guerre commis par les mercenaires au cours des siècles »… A tout vouloir mélanger, on rate son effet. Il aurait été plus intéressant de se demander comment un peuple dont une bonne partie descend des victimes des répressions religieuses accepte si facilement aujourd’hui la discrimination. Autrement dit de mettre les gens interviewés face à leurs contradictions plutôt que les laisser s’enferrer dans des propos souvent odieux que les réalisateurs gardent pour faire rire.

poubelles suisses

Il aurait été aussi intéressant – et il reste intéressant – de tenter de démonter les ressorts de l’économie suisse : d’où lui vient cette réussite étonnante (qui, contrastant avec le reste de l’Europe, peut expliquer que les Suisses préfèrent leur isolement), quels sont ses points imitables pour les autres, et quelles sont aussi ses zones d’ombre ? Comment fonctionne vraiment le système bancaire helvétique, comment en fait-il profiter le pays, quels sont ses liens avec les diverses mafias ? etc. etc.
Au lieu de cela, tout est vu par le filtre de « la morale »… voilà bien justement un travers helvétique qui pourrait faire partie de ceux que le film dénonce.

Piazza Grande

Et puis, bon, qui a des amis suisses ou vit un peu en Suisse sait qu’il y existe aussi des citoyens conscients, éduqués politiquement, anti-racistes, militant dans des organisations de défense des droits de l’homme ou dans divers partis et syndicats de gauche, et même des Suisses qui ont souhaité l’adhésion de leur pays à l’UE !

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2 commentaires pour La Suisse a-t-elle un problème d’image?

  1. JEA dit :

    Bref, en conclusion : un film qui ne montre (suisse ?) pas le pays de Guillaume tel qu’en ses réalités…

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