Printemps – Ouessant

(copyright A.L.)

J’avais vu une page, en hiver, dans “le Monde”, qui vantait l’île d’Ouessant… une île de tous les vents, disait-on. Aussitôt lu, aussitôt réservé. Un petit gîte qui ne paye pas de mine à l’enseigne du Poisson d’avril, et justement pour un voyage en avril, ça tombait bien.

Après un tour à Camaret, presqu’île du Crozon, port de pêche à la langouste, aujourd’hui plutôt araignée de mer, crabe, homard, rappelant un peu ce port chilien, patagonien plus exactement, de Puerto Natales, où là aussi on pêchait, ou ne pêchait que l’araignée de mer, grande spécialité patagonienne… jusqu’à ce qu’un jour sans doute, par épuisement, il n’y en ait plus (là-bas on la mange en bouillon, ou bien en sauce mijotée). Presqu’île du Crozon: pointe des Espagnols, marquée par l’histoire. Promontoire d’où l’on protège la rade de Brest, face au Goulet. Brest. Ville à deux étages, le port puis une rampe qui monte vers la ville bourgeoise. Deux rues principales, de Lyon et de Siam (Il pleuvait sans cesse sur Brest/ Et je t’ai croisée rue de Siam/ Tu souriais /Et moi je souriais de même/ Rappelle-toi Barbara). Avenue qui rappelle un peu les cités soviétiques. Animation du port. Là aussi bateau qui revient de la pêche, avec des cargaisons de seiches. Bateaux de guerre, bateau des douanes, petits restaurants le long du quai. Au matin, nous embarquons vers 8 heures. On nous a annoncé que la mer serait grosse, que pendant la nuit, elle aurait eu le temps de “se former”. Donc pas question de partir l’estomac vide, c’est pourquoi à l’hôtel, nous avons commandé le petit dej, avec pas seulement le bon vieux croissant, mais aussi la charcuterie, le saumon (oui, le saumon au petit dej), les oeufs… enfin bref, bombance. Et à 8 heures vingt, sac au dos, nous embarquons sur le Fromveur II, bateau moderne, rassurant, avec des sièges confortables à l’intérieur, mais au départ, bien entendu, tout le monde veut être sur le pont. Dès la rade, le navire s’enfonce dans des creux que je ne saurais évaluer en mètres (deux mètres, cinq mètres, plus?), mais ce que je sais, c’est que, posté à l’arrière, après chaque disparition, la poupe se relevant vers le ciel, on voit la mer revenir comme un mur pendant que la proue se redresse. A Molène, le bateau ne peut accoster et c’est une petite coque qui vient prendre les quelques passagers qui ont décidé de débarquer.

Après Molène, le creux des vagues s’accentue. On me dira plus tard que les creux étaient de cinq à six mètres. C’est à cet endroit que l’on traverse le Fromveur, courant qui fait une barrière entre les deux îles. Des visages alors se décomposent, des glouglous sinistres s’échappent d’estomacs tordus, les enfants sont malades et le personnel de bord circule pour distribuer des sacs plastiques. Accostage au Stiff dans le froid et la mouille. Nous avons réservé des vélos. Le loueur organise lui-même et gratuitement le transfert des bagages jusqu’au bourg de Lampaul. Après trois heures de lutte contre le mal de mer, voici venu le temps d’affronter une première côte et un grand vent de face à coups de pédale… On nous avait vendu une île sans voitures… en réalité encombrée de voitures. Nous avons même vu, sur le coup de midi, un embouteillage dans la rue principale, face au Huit à Huit… L’après-midi, nos vélos s’envolent, avec nous bien entendu, pour aller admirer les effets de la tempête sur la pointe de Pern, vers le phare de Nividic, blancheur de la mousse et tourbillons des vagues, glaciers en mouvement.
Des cathédrales d’écume se dressent de manière éphémère au-dessus des rochers sentinelles et des pylônes électriques conçus pour alimenter le phare et qui ne sont plus aujourd’hui entretenus. A force de nous aventurer trop près, nous disparaissons sous une montagne d’eau de sel, mais heureusement, nous ne sommes que trempés jusqu’à l’os et sur les vélos du retour, la chaleur du soleil revenu nous sèche.

Les jours suivants, la tempête se calme. Dès le lendemain, l’océan est redevenu bleu. A l’autre pointe de l’île, Porz Doun, on s’assied face au phare de la Jument. On longe la côte à vélo jusqu’à voir nettement l’île de Molène, derrière son phare de Kéréon, à l’intérieur si luxueux à ce qu’on dit (une dame ayant légué par testament sa fortune afin qu’on le fournisse dans les bois exotiques les plus rares).

Le musée des phares et balises est sis au phare de Créac’h, le père de tous les phares (c’est ici que maintenant est installé l’ordinateur qui commande à tous les phares de l’île), édifice dix-neuvième. Dans ce musée on apprend que Fresnel, l’inventeur de la théorie ondulatoire de la lumière, a conçu tout le système d’éclairage des côtes françaises au début du XIXème siècle. Partisan de Louis XVIII, il eut quelques problèmes de prison pendant les Cent jours, mais Arago le sortit de là, et les côtes françaises lui furent à jamais reconnaissantes. Sa principale trouvaille fut de trouver un système de lentilles en remplacement des miroirs paraboliques gaspilleurs de lumière (seulement 50% est reflétée). Le musée expose parmi les plus belles et les plus énormes lentilles que l’on puisse imaginer. Fresnel établit aussi un classement des phares: ceux de premier ordre qui devaient avoir la portée maximale pour les bateaux qui croisaient en haute mer et ne voulaient pas se rapprocher des côtes, ceux du second ordre, qui permettaient un voyage plus près des côtes et enfin ceux du troisième ordre qui gardaient entre autres choses les entrées des ports. Le musée est aussi celui des naufrages, comme le plus célèbre, celui de 1896, du navire anglais Drummont Castle qui revenait du Transvaal et n’avait plus qu’un jour de navigation avant d’atteindre Londres mais qui hélas percuta les rochers près d’Ouessant, entraînant au fond de l’Océan ses 253 passagers et marins, dont seulement trois furent sauvés. On garde des souvenirs plus drôles comme celui d’un naufrage qui ne fit aucune victime mais qui déversa sur les côtes des dizaines de barils de vin, à la grande joie des Ouessantins. Une femme, que les gendarmes voulaient empêcher de boire, plongea aussi sec dans un tonneau.

Les sauveteurs de ce temps intervenaient avec des canons et des fusils qui permettaient d’envoyer sur les navires en perdition des extrêmités de câble va-et-vient. Les carcasses fracassées sur les rochers faisaient le plaisir des habitants qui n’avaient pas, sans cela, de quoi se fournir suffisamment en bois. Beaucoup de poutres de charpente et de meubles sont ainsi manufacturés à base de bois d’épaves. Malgré ses manques, l’île au XIXème et au début du XXème fut un havre de paix, un jardin cultivé, habité essentiellement par des femmes puisque les hommes étaient au loin. Bonheur seulement ponctué de morts emportés par l’océan. La population ouessantine a une dette envers la Révolution: c’est elle qui la libéra des dures conditions que lui imposait la royauté: population réquisitionnée pour les guerres, sévèrement contrôlée, taillable et corvéable peut-être plus qu’ailleurs. C’est peut-être de là que lui vient cette propension qui me semble apparente à soutenir les candidats de gauche …

Dans ce musée, est projeté un film de Jean Epstein, gloire du cinéma d’avant-guerre, lié à Marcel l’Herbier, Louis Delluc et Germaine Dulac, et qui se spécialisa dans les documentaires. Il réalisa ce film en 1929 sur les phares du Finistère et sur Ouessant, témoignage rare de la vie dans l’île dans ces années-là. Une île plus peuplée alors que de nos jours (on parle d’environ trois milles habitants?), où le dimanche, des foules de femmes en noir de tous âges, et ornées de leurs coiffes légendaires, se pressaient sous le porche de l’église de Lampaul.

(image du film Finis Terrae)
En ce musée toujours, des résultats de fouilles archéologiques menées depuis une vingtaine d’années par une équipe dirigée par l’archéologue P. Le Bihan, qui ont révélé deux moments clés de la population d’Ouessant (ainsi dénommée par Saint Pol Aurélien): la fin de l’âge de bronze (vers 1400 avant JC) et le premier âge de fer (vers 750). Les archéologues ont reconnu des fondations de village, bâtiments réguliers et rues orientées nord-sud ou est-ouest. Curieusement, on n’a pas trouvé de restes semblables ailleurs en Europe de l’Ouest que… au bord du lac de Neuchâtel, en Suisse (site de Cortaillod). L’île fut habitée sans doute parce qu’elle fut toujours sur les grandes routes commerciales (depuis Pytheas l’Ancien, premier grec à parcourir une route maritime jusque dans les îles britanniques), et puis aussi, plus tard, comme lieu de refuge à des peuples fuyant les envahisseurs saxons.

L’éco-musée du Niou est à quelques coups de pédale, un intérieur de maison soigneusement conservé, aux rideaux de lin bien proprets, meubles colorés, bleus ou rouges, cheminée enfermée faite principalement pour cuire ou fumer les aliments, tels la saucisse “schilgic” imprégnée de la fumée de mottes de gazon (on en trouve encore dans les restaurants). Les lits sont clos et minuscules, faits pour qu’on y dorme assis ou en chien de fusil – puisque la position allongée ne peut être que celle des défunts – , le berceau du dernier né à proximité pour que la mère puisse dans son sommeil négligemment bercer bébé. De part et d’autre de la cheminée: des vaisseliers avec des assiettes ornées de narrations de faits historiques récents  ou de scènes humoristiques (sur une assiette: “j’y suis allé, mais il n’y avait personne”, dit le benet, “alors c’est qu’il y avait quelqu’un” répond la rouée). A la seule et unique pièce où tout le monde vivait (mangeait et dormait) répond en parfaite symétrie, l’autre pièce, la “jolie pièce” celle qui n’était utilisée que pour les cérémonies et qui renfermait les souvenirs précieux, jamais chauffée, mais faisait-il si froid, une fois que l’on s’était protégé du vent?

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7 commentaires pour Printemps – Ouessant

  1. JEA dit :

    Qui a vu Molène, connaît sa peine.
    Qui a vu Ouessant, connaît son sang…

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  2. alainlecomte dit :

    merci JEA! et je complèterai:
    Qui voit Sein, n’a plus peur du lendemain
    Qui voit le Fromeur, entrevoit le bonheur!

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  3. Dominique Autrou dit :

    Et ses bleus sont immémorialement changeants (quand bien même la confondrait-on avec sa soeur Sein, guère plus méridionale, Compagnon, et de quelle mémoire!) comme le
    Temps qui les balaie de puissants revers de vagues…

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  4. Lignes bleues dit :

    Ouessant manque à ma connais-sang-ce des îles bretonnes, un jour peut être… Une vraie invitation au voyage (euh, à part le mal de mer…) et j’ignorais que vous fussiez aussi aquarelliste Alain, mais il est vrai que l’eau appelle l’eau

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  5. alainlecomte dit :

    heureux que ça vous plaise, lignesbleues, oui, en voyage, je fais toujours des aquarelles, c’est le meilleur moyen pour que le paysage entre bien en soi.

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  6. @ alainlecomte : je vous avais envoyé un commentaire dès la parution de cet article mais il semble qu’il se soit perdu en mer (je récidive donc et réinvente) :

    Aqua reine, flux et reflux, la mer comme un musée et ses phares même automatisés, vous nous avez embarqués solidement, l’écriture peut être aussi un bastingage.

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