La Fondation Pierre Gianadda expose cet été des oeuvres de Nicolas de Staël qui vont de 1945 à 1955. Inutile d’aligner les superlatifs : cette exposition est à visiter, bien évidemment. On y trouve réunis les grands classiques de cette période, l’orchestre de jazz (hommage à Sidney Bechet), les footballeurs, le Parc des Princes et des toiles de la dernière période, mouettes, mâts de voiliers où affleure une influence du Braque des derniers instants. Et puis une étincelante série de toiles consacrées à Agrigente et plus généralement à la Sicile (dont une montagne Sainte Victoire sicilienne).
Et puis des nus, des nus « abstraits » serait-on tenté de dire. Surtout le nu bleu sur fond rouge, si géométriquement construit qu’il a un air de montagne.
De Staël pose un problème à l’amateur d’art comme au critique : que signifie en ces années cinquante de l’abstraction triomphante, ce « retour à la figuration » ? Peut-on y voir une régression ? J’ai lu quelque part que le peintre qui s’était fixé à Antibes ironisait sur ses camarades contemporains, les appelant « le gang de l’abstraction avant »… Certains critiques parlent de l’ouverture d’une troisième voie, comme si de la peinture il en était comme de la théorie politique (où l’on sait que les troisièmes voies n’ont jamais bien duré…). Mais s’agit-il vraiment d’un « retour à la figuration » au sens courant du terme (le sens du « réalisme ») ? Peut-être est-ce autre chose qui transparaît. En ces lendemains de guerre mondiale, où pouvait enfin éclore un plaisir de vivre se montrant dans le jazz et dans le sport, ne fallait-il pas faire bien plus que l’illustrer, mais lui donner une « figuration », transcendant leur apparence vulgaire et anecdotique ?
C’est la lumière qui éclate chez De Staël dans tous ses tableaux des années cinquante, autant que la lumière explosait aussi chez un Fra Angelico, tout en étant une lumière profane, à la différence de celle du moine florentin.
Et c’est aussi une musique. Que l’on songe à ces objets (cinq pommes grises par exemple) qui se tiennent dans l’air comme des notes de piano en suspension…
A voir donc si vous passez par Martigny… même avec des enfants, (et même si Minnie, du haut de ses vingt deux mois s’est détournée de chaque tableau en disant « aim’pas »).
NB: l’article du Monde du 26 juillet (signé Philippe Dagen) situe Martigny « au bord du lac Léman », ne vous y trompez pas: le Léman en est assez loin… Martigny ouvre la voie vers le Grand Saint Bernard.
Une des toutes premières expositions que j’ai vu dans ma vie, c’est avec Nicolas de Stael que je me suis initiée à la fréquentation des œuvres (je n’étais pas aussi jeune que Minnie cependant 🙂 ) et j’ai tout de suite aimé… c’est vrai qu’il y a une joie profonde dans ces œuvres ! joie de vivre, joie de peindre, amour de la couleur et des rythmes.
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Oui Carole, une peinture joyeuse en apparence… mais qui cache peut-être aussi quelques fêlures, il y a le suicide de De Staël à la fin, peu compréhensible quand on regarde sa dernière toile, dédiée à la musique
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Une exposition qui met l’eau à la bouche.
Votre billet rejoint celui de « lunettes rouges » et l’interprétation discutable de la dernière toile (le jour du saut dans le vide) par Edouard Dor entre épouse/piano et maîtresse/contrebasse.
Je préfère l’interprétation du nu bleu, femme/montagne instable et inaccessible comme son amour interdit…
Je suis d’accord avec vous pour les nuances tragiques de son oeuvre.
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Quelle splendeur !
C’est toujours délicat de bâtir une histoire de l’art, comme s’il pouvait y avoir une « progression » comme dans les sciences. Cela étant, l’explosion de l’abstraction au début du siècle dernier a entrainé des nouvelles approches de la figuration : parmi celles-ci, j’aime beaucoup celle de F.Bacon et J.Freud, exacerbant le tragique de l’être humain dans la contemplation de l’horreur ou de la dégradation, celle de Warhol célébrant et ridiculisant la société du spectacle et de la la consommation, celle de Nicolas de Staël où les couleurs vives inspirant la joie ne fait que cacher le tragique…
Finalement, cette phrase de Paul Klee dit l’essentiel : » L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. »
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