C’est un témoignage remarquable et passionnant à lire, écrit par un grand journaliste italien, qui s’est mis dans la peau d’un émigrant africain pour traverser le Sahel jusqu’en Lybie, parmi les milliers de gens qui fuient la misère et font route vers l’Eldorado européen au milieu des sables et des dangers : Bilal, sur la route des clandestins . Le journaliste, travaillant pour le journal l’Espresso est Fabrizio Gatti. Sur son camion, ils sont cent quatre vingt deux, avec pour chacun son (maigre) bagage et son bidon de vingt litres d’eau (vite épuisé), et les deux chauffeurs lybiens qui s’amusent lors des arrêts, à faire courir leurs passagers. Le chargement est parti d’Agades, au Niger, ville devenue plaque tournante de tous les trafics, avec ses espions et ses agents raccolleurs aux alentours de la gare routière, Agades qu’il a fallu d’abord atteindre depuis Dakar, alors que la plupart du temps les trains ne roulent pas et les bus se font rares : il faut prendre des transports de fortune, se faire extorqué de l’argent à chaque barrage de police. Encore quand on est italien… mais quand on est sierra-léonais, togolais ou nigérian, on se fait battre par la police si on ne donne pas assez. Pour certains, les milliers de francs récoltés avant le départ grâce à des collectes de village sont immédiatement saisis : le pauvre candidat au départ se retrouve alors à errer désespéré dans la poussière d’Agades, se nourrissant d’eau sucré, on l’appelle alors un stranded (celui qui est resté).
En 1990, le voyage Dakar-Bamako « durait trente heures. Aujourd’hui, au moins trois jours sont nécessaires pour parcourir les 1420 kilomètres. Telle l’eau de mer qui imbibe en silence la coque d’un bateau avant qu’il ne sombre, cette régression est elle aussi le symptôme du naufrage permanent du Titanic africain ». Fabrizio Gatti ajoute : « ça aurait pu être pire. Il arrive de devoir rester bloqué à Kayes et de devoir attendre des semaines pour permettre aux Européens de s’amuser sur les pistes de la région. C’est ce qui s’est produit chaque fois que le rallye le plus aimé des Français, le Paris-Dakar et ses variantes ultérieures, se sont déroulés dans le coin. Les voitures et les camions à quatre roues motrices de la compétition et de sa suite pompent toute l’essence et tout le gas-oil disponibles. Après leur passage, on ne trouve plus de carburant dans le Nord pendant un mois entier ».
Drôle quand même qu’on ait laissé si longtemps pénétrer des immigrants si particuliers, allant, eux, de l’Europe vers l’Afrique et dont les motivations étaient autrement futiles que celles de ceux qui vont en sens inverse…
(à suivre) (photo camion extraite de http://flickr.com/photos/nygus/396746224)
« Les voitures et les camions à quatre roues motrices de la compétition et de sa suite pompent toute l’essence et tout le gas-oil disponibles. Après leur passage, on ne trouve plus de carburant dans le Nord pendant un mois entier »… Diable, c’est une information jamais mise en avant. J’ajoute « Vive le Sport », avec cynisme, ironie, tristesse, les trois ensemble bien mixés.
Kiki
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bonjour kiki!
ça faisait longtemps que je n’avais pas eu un petit mot de vous, ça me fait plaisir. Eh bien oui…. le sport… et qui plus est le sport mécanique, et qui plus est… en Afrique… Au moins le vélo ne fait de mal qu’à ceux qui en font, alors que la bagnole…
Il faut lire la suite de ce passage dans le livre en question: »sans compter le coût humain. Soixante quinze pour cent des victimes de la compétition ne sont pas les pilotes payés rubis sur l’ongle, mais les habitants du Sahel renversés dans les villages. »
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