Jusqu’au 15 mars dernier, elles étaient les marchandes de journaux du cours J.J. Je faisais exprès un détour pour aller acheter le journal chez elles.
Acheter le journal ? Aujourd’hui où on peut parfaitement se contenter du format électronique ?
Acheter le journal parce que je crois que c’est un (petit) acte social.
Cet acte social me permettait en tout cas de les voir et de leur parler de temps en temps. Je les aimais bien. Pas seulement parce que l’une des deux, la plus jeune, avait un visage fin entouré d’une crinière argentée, à la peau diaphane et facilement rougissante… non, pas seulement.
Je crois que surtout j’admirais leur courage. En particulier celui de la plus jeune qui, en plus de tenir le petit bureau de tabac, travaillait dès quatre heures pour livrer les journaux et les affiches aux autres commerces. Comme je lui parlais probablement d’un quelconque film passé la veille à la télé, elle m’avait dit qu’elle, c’était le lit à 9 heures du soir. Je lui trouvais souvent un air épuisé. Elles ont arrêté leur commerce qui ne leur laissait pas de répit et s’en sont parti… où, pour faire quoi ? je l’ignore. Je leur ai une fois envoyé une carte pour leur rappeler que nous existions, leur exprimer notre sympathie, que nous aurions bien aimé, une fois, les avoir pour prendre un café. Elles n’ont pas répondu. Sans doute se sont-elles dit qu’elles n’avaient que faire de nous, que peut-être nous n’étions pas « du même monde », peut-être étaient-elles intimidées parce que je m’étais laissé aller un jour à leur dire que j’étais un professeur etc. etc.
Je sais pourquoi je pense à elles aujourd’hui. A cause de leur courage, je l’ai dit. Parce que aussi, je trouve en elles un exemple de ce que Badiou veut dire quand il dit qu’il faudrait reprendre le mot d’ouvrier en le chargeant d’un contenu nouveau, puisqu’il semble que son sens traditionnel, marxiste, soit aujourd’hui trop restreint. Est ouvrier(ère) aussi celui/celle qui travaille, souvent pour des salaires de misères, à accomplir des tâches invisibles. Cela peut être de la voierie, du nettoyage d’immeuble aussi bien que la dépose des journaux, le matin, à quatre heures. Et le mot d’ouvrier, lui, n’a pas été galvaudé, comme celui de « travailleur ». Il garde encore sa noblesse.
Et puis il y avait aussi une autre raison pour laquelle j’estimais qu’elles méritaient notre admiration : de toute évidence, elles vivaient en couple. Et cela continue aujourd’hui d’être mal perçu, et elles inventaient des façades pour se protéger un peu, parlant de leur hypothétique conjoint ou d’une personne mystérieuse avec qui l’une vivait alors que cette personne était simplement l’autre, présente dans la même pièce. Cela était évident, et cela fut confirmé quand je cherchai leurs adresses (oui, je sais, c’est un peu flic de chercher les adresses des gens, mais c’était pour la bonne cause…) et c’est peut-être pour ça aussi qu’elles ne m’ont jamais répondu. Etre deux femmes, vivant en couple, devant affronter le regard des autres chaque jour, et pas seulement le regard mais aussi parfois l’agression (elles avaient heureusement un gros chien pour les garder), vivre de pas grand-chose… ça demande du courage, et ça peut susciter un peu d’admiration, non ?
Oui, c’est terrible d’être à la fois dans la précarité économique et la marginalité sociale : pouvoir être ce que l’on est vraiment sans ressentir de honte, c’est un long combat toujours à recommencer…
Reconnnaisons tout de même que l’évolution dans nos sociétés occidentales va plutôt dans le bon sens : certes, pas partout, pas toujours, avec des menaces permanentes de régression. Et de nombreuses sociétés restent complètement bloquées : combien de pays où l’homosexualité est punie par la loi, (y compris dans certains états des Etats-Unis, mais la loi n’y est pas appliquée) ?
En rapprochant l’évolution de la condition des femmes et celle des homosexuel(le)s, il est frappant de constater que ce sont deux bons marqueurs de l’évolution d’une société vers davantage de liberté, davantage d’autonomie de la personne, davantage de démocratie… A ces deux marqueurs, ajoutons y la liberté d’expression et de la presse.
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Un billet qui donne à réfléchir et émouvant aussi.
Kiki
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C’est quand même bien fait, hein, la modernitude du Monde.fr !
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Merci, Alain.
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LyonnaiseDZO vous dit merci. Agee a present je vis seule apres des annees de travail,m’occuper de mon pere entre 90 et 96ans,avec,heureusement,ma tres chere compagne a mes cotes.La precarite car il fallait une aide pour papa et financierement je n’avais droit a RIEN.Cacher notre union: « c’etait pour payer moins cher la location » .Sortir le moins possible ensemble,pour les courses,par exemple,subir « MADEMOISELLE » a 60ans sonnes et le souvenir d’un enfant mort en 1976…Mon amie est partie en 2009 et bien sur,dans une petite ville de province,on ne m’a pas consideree comme endeuillee. Et aujourd’hui quand je vois ou va la societe,je suis heureuse de voir le bout de ma vie,je suis malade,je ne verrai pas le cauchemard…QUI VA PEUT ETRE OUVRIR LES YEUX DE L’OPINION PUBLIQUE. Je voulait voir l’amelioration du niveau de vie des plus pauvres,plus de fraternite,moins de racisme,moins d’homophobie,d’antisemitisme, Les familles homoparentales reconnues,la pma femmes seules ou en couple…C’est pour dans 20-25ans en FRANCE ou on est tres normatif. ENFIN TANT PIS?MERCI POUR CE BLOG ET CET ARTICLE.
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Ce billet date d’il y a bien longtemps (2007), mais je n’en changerais pas une ligne. Il s’est passé beaucoup de choses depuis et, quand je l’écrivais, j’étais persuadé que nous allions vers un progrès important touchant à toutes les questions de société: reconnaissance du mariage homosexuel, PMA, meilleure égalité entre hommes et femmes etc. Quelle n’a pas été ma surprise lorsque ont surgi ces odieuses manifestations (soit disant « pour tous ») et tous ces mouvements de droite face auxquels nos gouvernants « de gauche » se croient obligés de reculer… Mais cela ne fait rien, continuons de lutter.
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Merci de tout coeur,je suis revenue sur le site,pour voir.OUI,des milliers de Francais ont cru que c’etait gagne,qu’on allait vers des progres societaux.Pourtant nous aurions pu voir autour de nous l’attitude de beaucoup,ce que postaient des gens sur internet,mais on a prefere croire jusqu’au bout .Le pire ce sont les hommes politiques et certains intellectuels qui ont defile lors des manifs »contre certains » Et leurs interventions televisees aussi,quelle haine,et a l’Assemblee…Et ca continue et s’il y a reculade c’est qu’ils ont l’argent et qu’ils sont tres nombreux.Si j’etais plus jeune je reviendrais au CANADA. JE N’AIME PLUS LA MAJORITE DES FRANCAIS?excusez moi de le dire carrement.Par contre je ne vois guere de luttes,c’est vrai que je suis malade et souvent en soins. Ce climat hyper moche n’aide pas les gens comme moi a guerir et je pense a tous les jeunes,africains,asiatiques ou autres,homosexuels(elle),avec des handicaps,parfois cumulant tout c’est horrible de ne pas se voir d’avenir,ajoutons la crise,les hommes politiques qui tombent pour corruption,ceux en place qui ne defendent pas les plus faibles,l’Eglise qui en fait autant (des amis catholiques sont blesses) ca ressemble a un mauvais reve.MAIS IL FAUT CONTINUER A DEFENDRE UNE SOCIETE devenue une des plus dure d’Europe; En FRANCE,soit tu es « dans les clous » soit c’est l’enfer,enfin…C mon humble avis. LyonnaiseDZO
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Je suis bien d’accord qu’il y a de nombreuses occasions où on se dit qu’il n’y a pas de quoi être fier d’être français… Mais il existe encore des associations actives. Personnellement, je milite au sein d’une association de soutien et d’accueil aux migrants, et nous arrivons encore à remporter quelques succès (je suis à Grenoble, ville où existe une tradition de lutte qui n’a pas encore disparu). En tout cas, je vous souhaite de tout coeur une meilleure santé et un peu de joie dans votre vie.
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GRAND MERCI A VOUS et c’est une joie de lire votre blog,comme d’ailleurs beaucoup de blogs du journal.Je vous souhaite un bel ete.
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