Instantanés ladakhis – VIII – « Dental » amchi à Lingshed

Karma Tenzing a environ deux ans. Il porte des pantalons coupés, alternative commode aux couches, jetables ou non et vit avec ses grands-parents, dans la « petite » maison, celle où normalement se retirent les parents quand le grand fils, une fois marié, reprend la maison principale. Karma Tenzing a une épaisse couche de crasse sur les joues. Il faut dire qu’il vit dans un environnement de terre et de poussière. Quand nous montons, en nous courbant afin de ne pas heurter des pierres, le fragile escalier qui nous conduit à notre « chambre », nous avons plutôt l’impression de descendre dans une cave. Nous avons la meilleure pièce pour dormir. Deux matelas séparés par une table basse (« chogsay »). Au mur des affiches médicales naïves expliquant les parties du corps, un calendrier raccorni illustré d’objets de luxe occidentaux (cottage anglais, bolide devant la porte, blonde vaporeuse…). Dans un coin des livres (« pour le dharma »). Des diplômes : notre hôte est amchi, entendez médecin tibétain, spécialisé dans les soins dentaires. Sa femme est une paysanne sans âge, en habit traditionnel, et noire à la fois de soleil et de saleté. Elle refuse d’ailleurs que je la photographie, car il faudrait qu’elle se lave avant. Elle me réclame un bonbon pour le petit. Nous étalons nos affaires. L’espace est réduit, mais en dur, relativement accueillant. La petite fenêtre donne sur un paysage fantastique : le col de Hanuma et, sur ses pentes, quelques hameaux isolés qui font partie également du village de Lingshed. Les gens ici communiquent rarement : les champs et maisons sont souvent séparés par des ravins, obligeant à des détours très longs par la montagne quand on veut se rendre visite. D’ailleurs nous-mêmes avons été surpris : nous voyions le village dès le sommet du col, mais étions alors bien loin d’être arrivés. Il nous a fallu faire un très long parcours, à flanc, et qui passait par d’autres cols avant enfin d’arriver à la limite de Lingshed. Nous en avions plein les bottes. L’étape était prévue pour sept heures de marche, mais nous en avons bien mis neuf…

 Notre amchi nous apporte du thé. Nous essayons de parler, il a quelques notions d’anglais, et je me risque à quelques mots de ladakhi. C’est lui qui nous raconte leur transfert dans la petite maison, selon la coutume. Il a un frère qui est moine, mais moine itinérant : il peint.

Nous retrouvons quelques traits caractéristiques de la société ladakhie : le nombre de maisons dans les villages qui doit demeurer fixe, la pratique du monachisme (chaque famille doit envoyer un ou plusieurs de ses enfants au monastère). Reste un troisième élément, qui doit se trouver présent aussi, et qui est l’une des conditions de ce fonctionnement : la polyandrie. Alors je me risque à poser la question. On sait que dans l’ancienne société, une femme avait plusieurs maris (de fait quand elle épousait un aîné, elle épousait aussi automatiquement ses frères, ce qui permettait d’éviter le morcellement des terres), qu’en est-il aujourd’hui ? Notre hôte balaie cette question d’un revers de main. Il refuse de répondre. Ne comprend pas ce que nous voulons dire. Plus tard, j’en parlerai avec M. Dorjay qui m’expliquera que le polyandrisme ne continue d’exister que là où c’est vraiment nécessaire (environs de Ang, Temisgang ?) c’est-à-dire quand l’étendue des terres est vraiment limitée, mais à Lingshed, ce n’est pas le cas : il n’y a même pas assez de bras pour cultiver toutes les terres.

L’heure du repas arrive. Deux bols de soupes de légumes. Au petit déjeuner, ce sera la même chose, et pour le lunch, dans notre gamelle, nous aurons les mêmes légumes verts entre deux chapatis. Au matin, nous remplissons nos gourdes à la source toute proche. Nous laissons en cadeaux une lampe de poche et une savonnette (mais notre guide a déjà payé la « pension », pas si bon marché que ça aux tarifs indiens : quatre cents roupies par personne).

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2 commentaires pour Instantanés ladakhis – VIII – « Dental » amchi à Lingshed

  1. La dernière photo est splendide.

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  2. Jean-Marie dit :

    Dominique a raison !

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