Back to Ladakh – 2

C’est cette année-là (deuxième trek, 2000) que sur le chemin du retour, nous fîmes un crochet par le Spiti, toujours avec Moti, et où, surprise, nous eûmes la chance d’assister à un enseignement donné par le Dalaï-lama au monastère de Ki. L’enseignement du Kalaçakra est un cycle initiatique dont certaines parties sont tenues secrètes. Ces cérémonies sont l’occasion pour toute la population des environs de venir festoyer. L’organisation en est rigoureuse, le « plan de table », comme dirait une bonne ménagère, est lui aussi rigoureux : on ne mélange pas les genres. Moines regroupés en un coin, premiers rangs bien sûr, mais sur un côté seulement, l’autre côté étant réservé aux… « invités d’honneur », entendez les touristes occidentaux, qu’ils soient confits en dévotions ou non. Et au fond, le bon peuple. Qui n’hésite pas à s’ennivrer de ch’ang pendant que Sa Sainteté prêche l’abstinence. Les plus dévots ne sont pas ceux à qui l’on pense… ce sont les quelques occidentaux fraîchement convertis. Qui se lèvent et se prosternent quand le signal est donné. Je suis fasciné par la culture et la philosophie bouddhistes mais je dois avouer que ce qui m’en tient définitivement éloigné c’est cette hâte avec laquelle les initiés se croient obligés de surpasser dans les comportements rituels ceux dont c’est la culture de naissance. La prosternation reste pour moi avant tout un symbole de soumission qui me rebute.

 Au cours de ce voyage, Moti Lal avait plusieurs fois fait allusion à l’envie qu’il avait de s’affranchir de son agence. Pourquoi, nous disait-il, ne viendriez-vous pas une année en relation directe avec moi ? Je vous organiserais tout sans passer par l’agence. L’idée eut le tort de nous paraître séduisante. Il faut prévenir ici toute personne intéressée par ce genre de déplacement que les choses ne sont en réalité pas si simples… (d’abord la médiation de l’agence est une garantie : sans elle, c’est vous, voyageur, qui êtes l’employeur direct de votre guide, avec tout ce que cela peut induire en cas d’accident qui lui surviendrait). Peut-être cela eût-il été faisable aisément au départ, une nouvelle fois, de Darsha, mais comme notre but suivant était le Tso Moriri (grand lac dans l’est du Ladakh, au Chang Thang, haut plateau qui se continue au-delà de la frontière chinoise dans l’immense plateau tibétain) et que le départ devait avoir lieu des environs de Hémis, c’était beaucoup plus difficile. Il fallait pour Moti trouver des chevaux et les acheminer jusque-là, et donc disposer de l’avance d’argent que cela requiert (car les chevaux ne sont pas la propriété des guides). Et donc l’année suivante, en 2001, alors que promesse avait été faite pour une rencontre à Leh – cette fois, au sortir de l’avion, la ligne Delhi – Leh étant de mieux en mieux desservie par diverses compagnies privées naissantes – il n’y avait personne en vue dans les dizaines d’agents touristiques venus chercher leurs clients. Ni le lendemain, ni le surlendemain… sauf un vague oncle venu pour nous faire patienter et qui nous était de peu d’utilité. Dix jours se passent. Leh est plaisant à parcourir, mais quand on a un montant limité de jours de vacances, on s’impatiente de pouvoir enfin parcourir ces étendues juste aperçues d’avion… Il fallut donc prendre une décision et partir avec un autre guide, par une agence, recrutée sur le tas, pas forcément sérieuse. Et Moti n’arriva qu’au tout dernier moment, une fois l’accord conclu avec cette agence. Tristes retrouvailles…

 

C’est ainsi que nous avons débouché sur le haut plateau tibétain, le vent de face et le mal au crâne provoqué par l’altitude en compagnie d’un gentil fonctionnaire qui voulait arrondir ses revenus durant l’été et d’un conducteur de chevaux roublard qui se demandait où et quand il allait tirer de nous le meilleur profit… Là encore, comme dans le premier voyage, la ruse consistait à dérober la nourriture pour la revendre en passant près des nomades… mais nous étions avertis et nous avions faim, alors c’est sans scrupule que je demandais au « horseman » d’ouvrir les cartons dont je savais qu’il avait la charge afin d’en contrôler le contenu.

Petits larcins de bien peu d’importance. On peut vous inventer autant de ces petites misères au cours des voyages, ce que vous conserverez à jamais de ceux-ci c’est la pure étendue des prairies vertes à quatre mille cinq cent mètres, les drapeaux de prières claquant au vent au sommet des cols et les lacs salés survolés par des grues à cou noir (qu’on essaie de surprendre  le soir en pataugeant de bloc de sel en bloc de sel). Ou les amples pentes neigeuses qui se reflètent dans le miroir des lacs. Au bord du Tso Moriri, il y a le village de Korzok, avec son guéshé, son monastère, son lieu de séjour pour le Dalaï-Lama. Nous rentrâmes en jeep, par les pistes du Chang Thang

Comme il restait quelques jours, C. voulut « faire » un sommet. Le Stok Kangri est un « trekking peak » qui culmine quand même à 6151 mètres (ou un peu moins, selon les cartes). On campe la nuit d’avant à 5000 mètres. On vous réveille à minuit avec un bol de nouilles. On part à la lumière d’une lampe frontale. Les crampons loués s’avéraient être des pièces de musée, donnés autrefois par l’armée autrichienne, ils avaient fait les batailles du Siachen. Ils n’étaient pas à nos tailles. Arrivés à 5800, l’oxygène vient cruellement à manquer. Je me souviens d’un jeune anglais d’une cordée rivale qui dormait de fatigue à chaque pas. Pour moi, je n’étais guère plus flamme. Ayant omis de m’alimenter convenablement, je tendais lamentablement la main pour quelque biscuit. Heureusement j’en avais gardé deux dans ma poche, qui me provoquèrent le coup de fouet salutaire. Il ne restait plus que 200 mètres à parcourir. « Toi et tes sommets… ». Ouf, enfin, dans une sorte de demi-conscience paniquée j’émergeai au sommet. Vue inoubliable bien sûr. De là, on voit jusqu’au K2. Après : la redescente, la peur au ventre car la glace et la neige avaient fondu, donnant un cloaque blanc très casse-gueule, et retour à la tente vers midi. Redescente ensuite vers Leh en une seule étape, via le village de Stok, où demeure encore en son château l’ancienne reine du Ladakh, la gyalmo. Un petit musée expose des photographies en noir et blanc, du temps où elle recevait son homologue britannique, la reine Elizabeth.

Ce ne fut ensuite qu’en 2008 que nous retournâmes au Pays des Cols (traduction de « la-dhags » ?) et j’ai raconté dans le détail, cette fois-là, notre itinéraire sur mon ancien blog, kiki soso largyalo. Le titre de ce blog, comme il était dit dans la bannière, venait lui-même de la langue et de la culture ladakhi. Le slogan est quelquefois traduit en « les Dieux seront toujours vainqueurs ». Crié au sommet des cols il est un signe d’humilité, et signifie qu’aussi haut que nous allions, d’autres sans doute, même s’ils ne sont pas littéralement des « Dieux », sont allés encore plus haut. La phrase elle-même semble venir du récit fondateur de la culture ladakhi, la geste de Gesar de Ling, longue épopée dont les stances sont ponctuées de SO, de KI KI et de KI KI SO SO.


Chevauchant le souffle éternel de la vie
A travers le ciel ouvert de la présence primordiale,
Grand Protecteur, Magyel Pomra, avec ton escorte éblouissante,
Brûle jusqu’au sol la sombre forêt du karma universel,
Et dans le jeu du Soleil du Grand Est,
Fais que le royaume sans limite des phénomènes purifiés
Etincelle sans cesse, danse et resplendisse,
Comme un océan doré de félicité de sagesse immortelle
KI KI SO SO SAMAYA SO

(d’après l’adaptation de Douglas Penick, trad. Annie Le Cam)

Ce quatrième voyage était plus tranquille. Nouvelle agence (prise sur place, à Leh, et non plus à Manali puisque désormais nous n’y passons plus) et nouveau guide, Sarfaraz. Musulman cette fois. La ville de Leh a longtemps cultivé l’entente des religions. On raconte qu’au XIXème siècle et au début du XXème, Musulmans, Bouddhistes, Hindouistes et Chrétiens (de l’église Morave) cohabitaient en parfaite harmonie : les membres de chaque communauté invitaient les autres à leurs fêtes rituelles respectives. Les décennies récentes ont certes apporté quelques tiraillements dus au conflit du Cachemire mais les communautés (surtout musulmane et bouddhiste, les plus nombreuses) trouvent des terrains d’entente en ce qui concerne la gestion collective de la cité, une gestion qui se heurte à d’énormes difficultés : problèmes d’approvisionnement, surpopulation touristique des mois de juillet et d’août, précarité d’un environnement soumis aux aléas climatiques, présence massive de l’armée dans la vallée de l’Indus.

 Ce quatrième voyage nous conduisit dans la vallée de la Nubra, vallée orientée vers le Nord, par où l’on atteint le point le plus septentrional de l’Inde qui soit accessible aux voyageurs (pour des raisons de sécurité militaire : l’Aksaï Chin, partie conquise par la Chine sur l’Inde en 1962, n’est pas loin). Le chemin va de Phyang à Hundar, via le haut col de Lasermo (5200 mètres), et dans sa partie la plus basse, il rencontre des villages riants baignant dans des champs d’orge. A l’alpage du village, le berger seul dans sa cahute de pierres, entouré de ses chèvres et brebis, avec pour seuls objets de survie sa barate pour faire le beurre salé, la marmite où bout la tsampa, quelques tasses et des livres à l’écriture bouclée raconte (via notre guide et traducteur) combien rien n’a changé dans cet enclos depuis au moins dix générations.

A l’arrivée, étonnement de trouver un vrai désert de sable, hanté d’un pas lent par les chameaux de l’antique Bactriane. On est dominé par la chaîne du Karakorum et il reste à rentrer par la route goudronnée la plus haute du monde, via le Khardong la.

 (http://alainlecomte.blog.lemonde.fr/2008/09/16/retour/).

En sept ans d’absence, Leh avait bien changé… les guest-houses et les restaurants s’étaient multipliés : un quartier neuf entier avait été construit à cet effet. Trois ans se sont écoulés. En interrogeant Internet sur les hébergements dans Leh, je découvre quarante et un hôtels répertoriés…

la petite fille de Rumtse

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