Lisant le titre du Chasse-Clou : « Haïti : une catastrophe « naturelle » ? », je pense à la Petite métaphysique des tsunamis , de Jean-Pierre Dupuy , livre de mai 2005, donc d’après le 11 septembre et le tsunami en Asie du Sud-Est. C’est une réflexion sur le chassé croisé constant qui s’opère dans les commentaires à propos des évènements catastrophiques que vit l’Humanité, entre « naturalisation » des catastrophes causées par l’homme (la Shoah, Hiroshima…) et « humanisation » des catastrophes naturelles, comme si nous éprouvions le besoin, dans le premier cas, de gommer la responsabilité des humains, et dans le second, de donner malgré tout un sens à ce qui n’en a pas. Dupuy fait commencer la querelle au XVIIIème siècle, avec le tremblement de terre de Lisbonne et les débats qui s’en suivirent entre Leibniz, Voltaire et Rousseau. On connaît l’ironie de Voltaire à l’égard du premier et de son assurance selon laquelle tout ayant un sens voulu par Dieu, un tel cataclysme faisait partie de la nécessaire dose de mal qu’il doit y avoir dans « le meilleur des mondes possibles ». Voltaire à cela rétorque qu’il n’y a pas de sens au mal et « qu’aucun philosophe n’a jamais pu expliquer l’origine du mal moral et du mal physique ». On connaît moins la réaction de Rousseau qui, lui, va dire que c’est dans tous les cas « les hommes qui font leur malheur eux-mêmes » et même que « la plupart de nos maux physiques sont encore notre ouvrage » affirmant pour cela que le tremblement de terre de Lisbonne n’eût pas fait autant de victimes si les humains n’avaient pas eu la malheureuse idée de s’agglutiner en un même lieu. En cela, Rousseau restitue un « sens » au mal, puisque ce sont les humains n’est-ce pas, qui font toujours leur propre malheur, d’où la pensée d’un futur harmonieux où « tout le monde aurait enfin compris », la science et la technique trouvant les bons moyens de nous prémunir et de nous laisser nous endormir sur nos deux oreilles. Dupuy, en philosophe du « catastrophisme éclairé » ne partage évidemment pas ce point de vue puisqu’au contraire il pense que ce n’est que notre attention permanente à la catastrophe future causée, elle, par l’homme (qui ne peut qu’arriver) que nous aurons peut-être la chance d’y échapper et qu’il n’y a donc pas d’espoir mécanique à attendre des découvertes scientifiques (on sait bien que malgré tous leurs efforts, les séismologues, d’ailleurs, sont incapables de prévoir les tremblements de terre et ne semblent pas près de l’être).
Le tremblement de terre de Lisbonne – gravure – 1755
On peut entendre aujourd’hui dans les commentaires à propos de l’effroyable catastrophe haïtienne les mêmes mots, les mêmes insinuations que lors des précédentes catastrophes naturelles, en remontant jusqu’à Lisbonne. Certes le discours selon lequel Dieu a voulu punir les haïtiens n’est sans doute plus l’apanage que de quelques sectes particulièrement nuisibles, mais il y a comme un envers de ce genre d’idée lorsque l’on entend à longueur des bulletins d’information, que « Haîti avait bien besoin de ça ! » ou que le malheur s’abat toujours sur les plus pauvres. J’ai même entendu une journaliste de France Inter demandait à l’écrivain Jean Métellus s’il pensait « qu’il y avait une malédiction sur Haïti » ! Comme s’il fallait qu’on accepte l’insupportable, tet pour cela, tenter désespérément de lui donner un sens, or (c’est du moins ce que tente de nous dire Jean-Pierre Dupuy) le mal, la mort, la douleur, l’effondrement n’ont PAS de sens.
Que la Terre tremble, cela est dans sa propre logique de planète tellurique.
Cela fait donc sens dans son histoire.
Que cela puisse avoir du sens quant au destin des humains qui la peuplent, cela relève de notre psychisme et de notre imagination. Qui veut donner des raisons à tout et à rien.
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La pensée magique est bien plus présente qu’on ne le croit…
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J’ai parlé du tremblement de terre en Haïti avec un ami indonésien. Bien sûr, il en a ressenti de nombreux, jamais très sévères, heureusement pour lui. Il comprenait l’épreuve terrible traversée par les Haïtiens et aussi mon émotion d’occidental à l’abri de ce genre de danger.
Quand je lui ai demandé comment il vivait cette menace, il m’a répondu que « ce qui doit arriver, arrivera ». Quand on demande la même chose à un Californien (ce que j’ai déjà fait plusieurs fois), on a le plus souvent exactement la même réponse.
La philosophie apporte t-elle grand chose d’autre ?
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Il a donc fallu que les philosophes y mettent leur grain de sel.
Ceci dit, s’ils ont quelque chose à dire c’est ça: qu’on cesse de nous bassiner avec la notion de malédiction.
Je constate aujourd’hui en lisant le Monde que c’est exactement ce que dit l’écrivain haïtien Dany Laferrière: « de grâce, cessez de parler de malédiction! »
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La malédiction est un mot terrible car il sous-entend une faute originelle. En l’occurence, si faute originelle il y a, c’est celle de la France de Charles X qui a fait payer un prix exhorbitant à la nouvelle république son audace d’avoir vaincu Bonaparte lui-même.
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Tout est relatif (Spinoza).
Tout est bon ou mauvais, selon le point de vue relatif de l’homme, rien n’est bon ou mauvais de manière absolue.
Le Mal est une illusion d’optique.
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