Il y a presque une année , nous gravissions les pentes des hauts cols du Nord de l’Inde. Comme c’était beau d’atteindre le Lasermo-la, à 5200 mètres, dans la neige de septembre et sous un soleil de plomb. Bâtons bien en main, lunettes de glaciers sur le nez. La descente se faisait dans une longue trace qu’avaient faite les caravanes de petits chevaux en avant de nous, et en fin d’après-midi, on mangeait la tsampa avec le berger sur son alpage, mélangée à du petit lait de brebis. Nuit sous la tente à 4700 mètres. Le lendemain, la marche se faisait dans un contexte aérien. Les petits drapeaux autour des chortens murmuraient leurs mantras aux quatre coins des vents.
Nous avons choisi une autre option cet été : le travail… C’est pourquoi ce blog va rester un certain temps austère et peu alimenté. Mon ami jmph, dans son récent billet , se demande pourquoi on compare toujours philosophie et escalade. Plus généralement, l’effort intellectuel et une marche en montagne. C’est sans doute que tout travail de l’esprit appelle sa métaphore corporelle. Mais le résultat est souvent loin d’être le même…
Je me suis engagé à écrire un livre pour un éditeur universitaire anglais, qui parlera de logique , de langage et… de ludique (!). Ecrire un livre : s’assurer à chaque mot écrit qu’on ne sort pas du sentier qu’on s’est tracé. Voyez : tout de suite la métaphore de la marche et de la voie qu’on trace.
C’est aussi une organisation de la mémoire : maîtriser son champ d’études, ne rien oublier de ce dont l’absence pourrait apparaître comme une grave lacune, comme en montagne, au moment de partir la nécessité d’avoir sous la main tout ce dont nous aurons besoin dans la journée, et de remettre au soir chaque chose en un emplacement précis où l’on est sûr qu’on le retrouvera le lendemain.
Le but atteint donnera-t-il la même satisfaction ? Rien n’est moins sûr… il faudrait être drôlement prétentieux pour affirmer que le travail réalisé nous donnera le même sentiment d’ivresse des altitudes que la cime atteinte….
Un qui atteignait à la fois les cimes de l’esprit et celles de nos Alpes était Jacques Herbrand, jeune mathématicien mort en 1931 dans un accident à la Bérarde. On lui doit beaucoup en logique, et en particulier les bases théoriques de la programmation logique.
Extrait du journal Le Temps du 29 juillet 1931, Dernières nouvelles (p.6), les accidents de montagne, Grenoble, 28 juillet : « On vient d’être avisé de la Bérarde, qu’un nouvel accident s’est produit dans le massif du Pelvoux : un jeune homme, faisant partie d’une caravane lyonnaise de trois personnes, a fait une chute mortelle ».
Extrait du journal Le Temps du 30 juillet 1931, (p.4), Les accidents de montagne : « Nous avons signalé hier qu’un jeune homme, faisant partie d’une caravane d’alpinistes, excursionnant dans la région de la Bérarde, a fait une chute mortelle. Il s’agit de M. Jacques Herbrand, demeurant à Paris, 10 rue Viollet-le-Duc. M. Herbrand était parti dimanche avec trois camarades, MM. Jean Brille, Pierre Delair et Henri Guigner, pour faire l’ascension des Bans. A la descente, un piton de rocher auquel était attachée la corde céda, entraînant une petite plate-forme sur laquelle se trouvait M. Herbrand, qui fut précipité dans le vide. Une caravane de secours est partie pour rechercher le cadavre, qu’elle espère atteindre aujourd’hui ».
(extrait de l’article de Wikipedia sur Herbrand )
Beaucoup de plaisir à vous lire et regarder.
je reviendrai.
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Votre texte est très beau et me touche beaucoup. J’ai choisi moi-même cet option pour cet été. vous m’offrez donc une piste : j’aime ces courtes-échelles que sont les métaphores pour nous aider à gravir les marches d’un « savoir » (?) de la philosophie (?) « Les cimes de l’esprit », ne pas s’y aventurer sans s’être bien assuré de son bagage, et en route pour (?) quoi déjà ? Logique, langage, ludique…
POESIE, MATHEMATIQUE, JEUX DE MOTS, DEVINETTES, CONTES, COMPTINEs, je ne sais pas si je serai capable de lire votre livre, mais de ces choses que j’aime dans la vie et qui me ramène CE SUJET ça ne manque pas ! Je vous souhaite donc bonne ascension, c’est toujours mieux que d’aller griller sur une plage 🙂 même pas abandonnée 🙂
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Ce n’était pas pour continuer la métaphore entre la marche et la réflexion que j’ai lu le livre de Cormac McCarthy, « La Route ». Je vais publier aujourd’hui ou demain un billet sur ce livre. Mais, en fin de compte, pour les deux personnages de « La route », la préparation quotidienne est , comme pour l’escalade, comme pour l’écriture, la condition « sine qua non » pour poursuivre son chemin, jour par jour, même quand le but est incertain.
A l’inverse, la préparation peut-elle aussi prévoir l’imprévu ? Dans le peu d’expérience que j’ai de la création artistique, j’ai toujours été frappé combien l’imprévu s’insère dans ce travail. Toi qui es aquarelliste, tu as déjà dû en faire l’expérience…
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Savante, agréable et émouvante digression philoalpine,je ne connaissais pas Jacques Herbrand. Au passage, « L’art de marcher » de Rebeca Solnit est un ouvrage à conseiller.
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Merci à tous de ces commentaires. Oui, les Alpes… je connais en effet un peu le livre de Rebeca Solnit, je me souviens de certaines métaphores entre la marche et la mémoire. Quant à l’imprévu… certes, on ne peut l’éviter, mais la montagne vise à nous obliger à tenter de limiter le plus possible le poids de l’impondérable. Carole dit « POESIE, MATHEMATIQUES… » et cela ne va pas de soi pour tout le monde en effet… je tacherai de revenir sur ce sujet dans un prochain billet! en attendant… bon repos à tous et toutes!
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