Petits évènements et grandes catastrophes

On n’en finit pas d’épiloguer sur le résultat des élections européennes… avec cette question lancinante, répétée en boucle sur nos ondes : le PS est-il mort ? Ah !

Je ne vais pas répondre à cette question. Je vais m’en tenir surtout aux chiffres calculées par Siné-Hebdo de cette semaine : compte-tenu des 60% d’abstention, les pourcentages obtenus par rapport non pas au nombre de votants mais à celui des inscrits sont de :

     – UMP : 10, 8 %
PS : 6, 41%
Europe Ecologie : 6,33 %
MoDem : 3, 29%
FN : 2, 47%
Front de Gauche : 2, 35%
NPA : 1, 9%

De quoi relativiser un peu à la fois les déclarations de victoire et la honte des défaites…

Au-delà de ce constat, et sans verser dans l’ironie de l’hebdomadaire des sinéphiles, on peut se poser la question de la signification d’une société qui disparaît des écrans radar. Car c’est cela qui se passe : comme un vulgaire Airbus avec 200 personnes à bord, une société entière, des millions de gens, ont disparu des écrans, ceux de la télé d’abord, ceux des chroniqueurs chargés de nous informer ensuite.

Il y a quelques semaines , c’est avec une certaine allégresse que l’on envisageait des possibilités de révolution, les masses populaires envahissaient la chaussée et les trottoirs en de longs cortèges témoignant d’un fort niveau de mobilisation. Les dirigeants syndicaux ne savaient qu’en faire à vrai dire… et ils se sont évertués à conduire vers les sables du désert ces troupes prêtes à faire feu de tout bois. Depuis, plus grand-chose. Peut-être samedi prochain y aura-t-il un peu de mobilisation, mais comme un renouveau d’incendie qui va de toutes façons s’éteindre.

A côté de cela, les élections européennes sont un mini-évènement. L’Europe pourrait être le lieu stratégique des luttes sociales : leur confinement à l’espace national est en effet dénué de tout débouché (on ne change pas la société dans un seul pays), encore faudrait-il l’émergence d’une conscience européenne, ce contre quoi nos partis « de gauche » (« la gauche de la gauche ») résistent. Ils sombreront dans leur nationalisme.

Ecoeurée, la société a donc fui : le politique ne lui donnait ni perspective de changement national, ni raison de croire en l’Europe. L’écologie triomphe, mais ne nous y trompons pas : grâce à une frange mi-intellectuelle mi-bourgeoise de la société (j’ai voté Ecolo, bien sûr !).

Mais sûrement, les changements ont déjà eu lieu. Simplement, on ne les voit pas encore sur nos écrans radar.

thom-site_html_444519de.1244706910.jpgCela me rappelle la théorie des catastrophes , cette théorie mathématique inventée par René Thom dans les années soixante-dix. On y représente des phénomènes de singularité. Soit une dynamique représentée par une fonction de potentiel V qui évolue en fonction d’un paramètre m (dans un espace à plusieurs dimensions). Cette fonction possède, selon la position de m, un ou deux minima : ces minima représentent des positions d’équilibre dit stable. Partons d’une situation initiale où V a juste un minimum. Quand m se déplace sur son espace, il peut apparaître un autre minimum, rival du premier. Mais nous sommes toujours dans le premier, pendant longtemps… jusqu’à ce que, m s’étant vraiment déplacé de sa position d’origine, on arrive de nouveau à une fonction V avec un seul minimum, mais cette fois il s’agit du second, celui qui est apparu en position de conflit et qui a avalé le premier.

catastrophe.1244706855.jpg

Cette représentation met en avant le concept d’hysteresis , c’est-à-dire cette sorte d’inertie qui existe entre deux états : le deuxième état est là, existe depuis longtemps, mais on ne le voit pas. Jusqu’au jour où….

On obtient alors une catastrophe.

Cet article a été publié dans Actualité, Politique, Science, Société. Ajoutez ce permalien à vos favoris.

9 commentaires pour Petits évènements et grandes catastrophes

  1. Carole dit :

    ça fait peur ! heureusement, j’y comprends rien 🙂 . L’ignorance quelquefois sauve de l’angoisse et permet de continuer à VIVRE malgré tout.

    J’aime

  2. Alain dit :

    je reconnais que le graphique est un peu intimidant, mais l’idée c’est simplement qu’avant de se déclarer ouvertement, un phénomène peut très bien être là de manière latente depuis longtemps, sans qu’on s’en aperçoive. Ainsi nos commentateurs politiques font comme si tout marchait comme avant (une vie politique bien structurée, avec des partis bien structurés etc.) alors que, patatras, plus rien déjà n’est comme avant, et personne n’arrive à clairement localiser la rupture, ni dans le temps, ni dans l’espace.
    Moi je crois plutôt que c’est ne pas savoir qui angoisse….

    J’aime

  3. Carole dit :

    Je vous suis, enfin, je crois comprendre, ou plutôt, je le ressens. Peut-être qu’une formule mathématique est la meilleure manière. Il y a sans doute plusieurs formes possibles à donner à une intuition…. Je ne suis pas toujours certaine d’être claire ou du moins que ma syntaxe soit correcte. En math, tout s’éclaire sans doute, ou bien une forme de pensée à travers un poème on se dit : OUI c’est bien cela, en un éclair dans la nuit, mais impossible de le formuler pour d’autres, ou pour ceux qui ne comprennent pas les maths ou pour ceux qui ne sont pas sensible à la poésie, alors y a -t-il des mondes inaccessibles les uns aux autres ? des cloisonnements inévitables ? Pour ce qui est de la question de la relation entre angoisse et connaissance, il me semble que je ne peux vivre que parce que j’ ignore le jour de ma mort . Pour le reste… OUI comprendre, savoir, connaître ne peut qu’aider à vivre autrement que comme un robot, ou une marionnette dirigée par des forces aveugles.
    (je me laisse un peu aller sur ce commentaire…. Pardon…. Mais bon, je le poste quand même !)

    J’aime

  4. Alain L. dit :

    Ne vous excusez pas, j’aime les longs commentaires!
    Des mondes inaccessibles les uns aux autres? Je ne sais pas, mais il y a de nombreux exemples de mathématiciens poètes (comme Jacques Roubaud, mais aussi plus ou moins Raymond Queneau dans le passé, Boris Vian n’était pas ignorant des maths, et Fernando Pessoa non plus, à ce qu’il semble), donc on peut établir des ponts entre les différentes branches de la connaissance. A mon très modeste niveau, c’est ce que je voudrais bien réaliser de temps en temps sur ce blog. Je ne crois pas non plus qu’il y ait des gens incapables de comprendre les mathématiques (du moins au niveau de base de celles-ci), je crois qu’il n’y a que des gens qui ont été traumatisés par l’enseigneement des mathématiques, et cela est une autre histoire.
    Est-ce qu’on ne peut vivre qu’en ignorant le jour de sa mort? je ne sais pas non plus… il ne me semble pas. peut-être la connaissance n’a-t-elle pas besoin d’aller jusque là, il y a déjà une chose que nous savons, et qui fait la différence avec les autres espèces animales, c’est que nous allons mourir, et sans doute cette connaissance-là est déterminante pour ce que nous faisons de notre vie (c’est-à-dire essayer de faire quelque chose plutôt que rien…).
    Je vous livre ça mais vous pouvez ne pas être d’accord…

    J’aime

  5. jmph dit :

    Intéressant … Reste à voir quel peut être la deuxième variable ou les deuxièmes variables. J’ai lu quelque part que seul l’imprévu surviendra.
    De quoi décourager les prévisionnistes.
    Se boucher les yeux ? Attendre l’inattendu ? Comme les passagers de l’AF 447 ? Comme les jeunes iraniens manifestant à Téhéran ?
    On prévoit la fonte de la banquise. A finir par la prévoir, peut-être n’arrivra-t-elle pas ? Je plaisante, bien sûr… Et je continuerai à prendre l’avion, mais sans aller à Téhéran.

    J’aime

  6. Lucien dit :

    Je me permets de vous signaler mon tutoriel sur la théorie des catastrophes :
    http://pagesperso-orange.fr/l.d.v.dujardin/ct/fr_index.html

    J’aime

  7. michèle dit :

    Ce qui est intéressant dans les prévisions c’est leur variabilité de réalisation ; l’an dernier, on annonçait un futur désert pour le pays où je vis, et depuis le printemps dernier (alors que j’étais vraiment inquiète) il n’a jamais autant plu. Nous avons en un an rattrapé le déficit en eau des quatre années précédentes. Agiter le sceptre de la menace est-il à ce point indispensable pour faire évoluer nos fonctionnements face à la dépense de nos énergies ?

    J’aime

  8. michèle dit :

    Et pour revenir dans le sujet, le P.S moribond ou pas, ce qui est intéressant, dans la vie des partis politiques c’est comment et à quel point le bas peuple sanctionne les élites de leur langue de bois. Le peuple est bon, même si la définition est surfaite. Il attend de sa gouvernance bonté, justice et d’avoir son mot à dire. Les écarts se creusant, le peuple marque la distance. J’ai voté à 34 ans d’écart la même chose que mon premier vote : écologie ; belle fidélité non ?

    J’aime

  9. totem dit :

    Cette théorie est-elle liée à l’entropie physique ? Du physique à l’humain et vice versa, nous ne sommes que du carbone et de l’eau, des poussières d’étoiles. Des millions de catastrophes se produisent chaque seconde dans nos artères comme au plus profond des galaxies. Macro micro, solide liquide gazeux, minéral végétal animal, tout est lié, tout est en tout. Nous faisons intrinsèquement partie de l’univers constructeur et destructeur.

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s