Lundi 3 décembre vers midi : comment se présentera aujourd’hui la situation universitaire ? je veux dire : combien de chaises, combien de tables obstrueront encore le couloir d’accès aux salles où se font les cours et les TDs ? Passé le hall d’entrée et ses banderoles de papier, passés les petits stands où sont juchés quelques anars fatigués de veiller trop tard les nuits d’occupation et qui appellent d’une voix lasse, au mégaphone, à participer à une énième AG, la chose s’annonce plutôt bien. « Vente aux enchères » ont-ils marqué avec une pointe d’humour au-dessus d’un monceau de chaises censé symboliser à mon avis toute l’université, et puis au-delà, plus rien, évanouis les piquets de grève qui la semaine dernière encore refoulaient l’étudiant qui venait prendre ses notes. Seul un escalier est encore bloqué et les salles vidées de leur mobilier. On va pêcher quelques tables et le cours peut commencer. En sera-t-il de même le lendemain ? mardi 4 décembre, la situation s’améliore encore et quand j’arrive à mon cours à 9 heures, inquiet de trouver une salle dévastée, je trouve en réalité mes trente étudiantes déjà là et… qui ont fait le ménage ! entendez par là qu’elles sont allées elles-mêmes rechercher les tables et les chaises qui maintenant leur permettent de travailler. Ainsi va la vie dans cette université du nord de Paris….
Et j’apprends que, pendant ce temps, dans mon ex-université de province, on s’est castagné : le président n’a pas trouvé mieux que d’envoyer les CRS, un directeur d’IEP, rompant un câble, s’est emparé d’un panneau métallique pour partir à l’assaut d’étudiants irréductibles. Est-ce bien raisonnable ? Bon, si j’ai quitté ma précédente université, c’est bien parce que déjà, je n’appréciais pas sa dérive « néo-libérale » (une dérive qui n’est jamais incompatible avec l’envoi des CRS, bien au contraire).
Comment se situer « objectivement » par rapport à cette crise universitaire (qui touche à son terme) ?
J’ai désapprouvé la grève des étudiants et surtout le blocage des facs d’abord parce que je trouve que ce sont des modes d’action négatifs, qui ne nuisent qu’aux étudiants eux-mêmes. Ils/elles sont déjà pénalisés en étant inscrits dans des « facs généralistes » et souvent, qui plus est, dans des disciplines littéraires ou de sciences humaines et sociales (les secteurs qui reçoivent les subventions les plus chiches, les plus ridicules, quand on les compare notamment au élèves des Grandes Ecoles, et même des IUT). Ils/elles viennent, de surcroît, de milieu populaire : l’opposition à la grève de la quasi totalité des étudiant(e)s que j’ai en cours n’indique pas qu’elles seraient des « petites bourgeoises filles à papa tranquilles qui ne veulent rien avoir à faire avec ça », car elles sont, pour la plupart, tout le contraire. Issues de milieu populaire et venant de quartiers défavorisés, beaucoup d’entre elles doivent travailler pour payer leurs études (vendeuses chez Ikea, serveuses de restaurant etc.) et tout ce qui leur fait perdre du temps leur coûte financièrement. J’ai désapprouvé cette grève et ce blocage ensuite parce que je savais bien que le mot d’ordre « d’abrogation de la loi Pécresse » était vain. La conjoncture actuelle, autant politique que sociale, ne permet absolument pas d’imaginer un recul de la part du gouvernement sur un tel projet : les pauvres étudiants qui croyaient pouvoir refaire le coup du CPE étaient en retard d’une guerre et n’avaient pas perçu le fossé qui sépare la chiraquie de fin de règne de la sarkozie victorieuse…
Et puis, bon. Que faire ? accepter que l’université continue à croupir ou bien attraper le ballon d’oxygène ? L’oxygène est un peu vicié, certes, il a un peu trop le parfum de l’entreprise triomphante : il suffisait d’écouter récemment sur une radio publique, une émission consacrée à l’université et aux entreprises pour comprendre. On pouvait y entendre les « professionnels » se féliciter de ce qu’enfin, les universités allaient être considérées comme des « entreprises comme les autres », des entreprises qui ont seulement l’originalité de produire du savoir, de la formation… de produire… des étudiants (oui, c’était dit). Sûr que de telles paroles, ouïes par de jeunes esprits qui croyaient encore « s’épanouir » sur les bancs des facs, ne peuvent pas être entendues avec sérénité…. Les pouvoirs accordés aux présidents (et équipes présidentielles) sont énormes : cela ne fait que réjouir certaines équipes (que j’ai bien connues) qui depuis déjà de nombreuses années cherchaient avant tout à obtenir des moyens pour faire plus de fric, sous-entendu bien sûr : plus de fric aussi dans leur poche (j’ai connu des doyens de facs qui s’octroyaient des « primes » conséquentes, auxquelles ils estimaient avoir droit, sur le budget « heures sup. » de leur UFR). Elles vont pouvoir maintenant y aller bon train. Seulement voilà, on n’a pas le choix. On n’a plus le choix. L’université est dans la situation d’une prisonnière qu’on aurait laissée à l’abandon et à qui on donnerait tout à coup de quoi s’en sortir et qui, du coup, ne pourrait que se précipiter vers les nouveaux aliments qu’on lui offre, quelle qu’en soit la provenance.
PS: j’en ai toujours aussi marre de voir s’afficher en haut à droite de tous mes billets de la pub. « Rencontrez des femmes » disent-ils, sous prétexte que j’ai écrit un billet sur deux femmes… ras-le-bol! je n’ai pas trop le temps de m’en occuper en ce moment mais je ne vais pas tarder à suivre l’exemple des Posutos et à me tirer sur une autre plate-forme!
Une lutte vaine, c’est vrai. Parce que les mentalités sont aux profits et aux rendements, au pragmatisme (qu’il est laid ce mot !). Pas le choix dans les faits, donc. A part peut-être au fond de nos têtes ? Etique, valeurs morales, humanisme, tout foul’camp, et me voilà en train de parler comme une vieille (« c’était mieux dans l’temps ! »). Il reste peut-être aussi une forme de lucidité. mais elle n’est pas réconfortante, ah non.
Kiki
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merci Kiki de ce commentaire! (retour des espaces blogo-galactiques, où je m’aventurerai un jour aussi). mais j’ai été peut-être trop opti- ou pessi-miste (selon les points de vue) car il semble que le mouvement veuille repartir… je ne sais pas jusqu’à quand ça peut durer comme ça, en tout cas, je trouve que c’est casse-gueule… et tous ces étudiants qui risquent de perdre leur semestre, ça me fait mal au coeur.
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Plus que jamais, quelle est la limite entre l’acceptation lucide d’une réalité qui n’est pas celle que l’on souhaite et la résignation face à une évolution considérée comme négative ?
Le règne sarkozyste en France, et la contexte (ultra ?)libéral dans le monde nous promet d’hésiter encore un certain temps pour trancher dans ce dilemne.
L’année prochaine, nous fêterons les 40 ans de mai 68 : ça fait un peu « anciens combattants », non ? Pourtant, contrairement aux errements intellectuels de Mr Guaino, et malgré des excès inévitables, les valeurs de cette époque sont toujours à considérer… et à réactualiser. Comment y réfléchir ?
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