Je flâne dans les rues de ma ville, je flâne près du marché de l’estacade en prenant quelques photos. M’accoste un vieux monsieur, intéressé par mon Nikon. Il me dit qu’il a quatre vingt sept ans mais qu’il aimerait bien s’en payer un comme ça. En riant, je le prends en photo et nous discutons technique. Il me parle de sa fille, photographe de plateau, qui prendra bientôt sa retraite, « ah bon, votre fille fait du cinéma ? ». Il me répond : « c’est surtout sa sœur qui en faisait ». Les larmes lui viennent aux yeux : « je suis le père de Juliet Berto ».
Juliet Berto… je vous parle d’un tempsque les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître
– Deux ou trois choses que je sais d’elle (J. L. Godard, 1966)
– Week-end (J.L. Godard, 1967)
– La Chinoise (J. L. Godard, 1967)
– Céline et Julie vont en bateau (Jacques Rivette, 1974)
– Retour d’Afrique (Alain Tanner, 1973)
– Le milieu du monde (Alain Tanner, 1974)
– Monsieur Klein (Joseph Losey, 1976)
et beaucoup d’autres …
et comme réalisatrice, entre autres : Neige, 1980, avec Jean-François Stévenin, Patrick Chesnais, Jean-François Balmer, Anna Prucnal, Raymond Bussières, Eddie Constantine, Bernard Lavilliers, et Michel Berto.
Je me souviens de la chanson que chantait Yves Simon, c’était pour elle :
Vous marchiez Juliet au bord de l’eau
Vos quatre ailes rouges sur le dos
Vous chantiez Alice de Lewis Carroll
Sur une bande magnétique un peu folle
…
Sur les vieux écrans de soixante-huit
Vous étiez Chinoise mangeuse de frites
Ferdinand Godard vous avait alpaguée
De l’autre côté du miroir d’un café
…
Dans la tire qui mène à Hollywood
Vous savez bien qu’il faut jouer des coudes
Les superstars, et les p’tites filles de Marlène
Vous coinceront Juliet dans la nuit américaine
Le père de Juliet, a aujourd’hui les mots qui se bousculent dans sa bouche tant il voudrait en dire sur sa Juliet. Juliet est morte d’un cancer (en 1990). Son père me dit qu’il est allé répandre une partie de ses cendres en montagne. Il n’était pourtant pas un escaladeur : c’était la première fois qu’il tentait ce genre d’aventure et il a eu bien peur… surtout à la descente, mais Juliet, il me dit, aurait aimé ça, elle qui disait : vous dispenserez mes cendres où vous le voudrez, même en plein désert. Nous évoquons ensemble les films de sa fille. Sur le moment, ils ne me viennent pas tous à l’esprit. Jean-Luc Godard ? ah ! je l’ai eu huit jours à la maison, celui-là, il m’a laissé un cendrier plein de mégots. Les gens, ça les ennuie les films de Godard, mais c’est parce qu’ils ne se rendent pas compte, vous comprenez, de toutes les trouvailles qu’il met dedans, et que les autres cinéastes après vont lui emprunter…
Nous parlons aussi de films récents, et l’Amant de Lady Chatterley, vous l’avez vu ? Elle est formidable la femme qui a réalisé ce film, vous avez vu tous ces détails, comme elle filme la moindre ronce, le détail des buissons… une merveille.
Et nous parlons, nous parlons encore… de Tanner, de Sandrine Bonnaire (si magnifique dans « Sans toit ni loi » d’Agnès Varda), des intermittents. Nous parlons de la guerre, de ce salaud de Destouches qui était à Grenoble et qui en a tant envoyé au STO, et qu’on fait lire maintenant dans les lycées. Nous parlons des langues, et de Léo Marjanne (« je suis seule ce soir… ») qui, en 1940, avait chanté quarante chansons en anglais.
Et nous parlons aussi de Truffaut, avec qui Juliet n’a jamais tourné, mais la petite fille du père de Juliet, qu’on voit paraît-il au bas d’un escalier dans « l’homme qui aimait les femmes », avec Charles Denner. Vous vous souvenez de ce film ? il était magnifique, Denner. Vous vous souvenez de la fin ? quand il regarde les jambes de femmes. Il est tellement absorbé qu’il ne fait pas attention et se fait écraser par une voiture. La dernière image, c’est son enterrement… il n’y a que des femmes ! c’est beau ça quand même, hein ?
Je sens comme une envie…
Et les maraîchers seuls entendirent nos paroles.
Maman on va cueillir des pâquerettes
Au pays des merveilles de Juliet
Ben c’est drôlement émouvant.
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Alain, merci pour cette histoire à propos de Juliet, si pleine de talent et de beauté.
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eh oui… y en a plus beaucoup des actrices de cette trempe!
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