Maladie de l’âme

A Ooty, qui s’appelle aussi, en langue locale, Udhagamandalam, nous logions dans une petite « guest-house » de briques rouges dominant le lac, qui était recommandée par notre guide… surtout pour son prix avantageux. De fait, elle était plutôt crasseuse. Les chambres, en hauteur derrière le bâtiment principal, étaient à peine balayées de temps en temps et ce ne sont probablement que les rigueurs de l’hiver qui empêchaient les cafards de s’y ébattre, les couvertures moisissaient en tas sur un lit épuisé d’avoir connu tant de voyageurs échoués … mais nous avions face à nous un paysage cossu doté d’une église anglicane qui aurait pu se refléter dans le lac si l’eau n’avait été si noire. Sur la terrasse de cette « guest-house »,
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nous rencontrâmes M., une voyageuse italienne d’une cinquantaine d’années. Elle avait reçu des appartements en héritage et vivait des loyers que lui payaient des Américains amoureux de Venise. De ce fait, elle pouvait passer le plus clair de son temps à voyager et elle avait acquis en de nombreuses années une grande connaissance de l’Asie et particulièrement de l’Inde. Elle nous raconta l’histoire suivante.
Au hasard d’un arrêt de bus dans une petite ville du Nord, elle avait rencontré une femme sadhu. C’est rare, mais ça existe. Cette femme l’avait immédiatement identifiée comme ayant été sa sœur dans une autre vie et, de ce fait, il fallait absolument qu’elle la suive, au moins pendant une semaine, faute de quoi la sadhu sans doute aurait été vouée aux pires réincarnations futures. Comme notre amie n’avait rien d’autre à faire, elle l’avait suivie vers un vaste lieu sacré du Nord (vers Joshimath peut-être…) où se rassemblaient des pèlerins venus de toute l’Inde. Les deux femmes furent vite sous la coupe d’un sadhu, homme cette fois, « c’était très beau » dit-elle avec cette erreur que font parfois les gens dont le français n’est pas la langue maternelle… Seulement voilà, sadhu homme et sadhu femme se chamaillaient sans arrêt, butaient l’un contre l’autre comme un vieux couple qui s’adore et se hait à la fois. Au point qu’un jour, la dispute avait été si forte que ni l’homme ni la femme ne furent en mesure d’officier pour la « puja » et qu’ils demandèrent… à l’Italienne de bien vouloir les remplacer ! Celle-ci crut pouvoir y arriver mais évidemment les ouailles n’étaient pas dupes et elle faillit se faire étriper. Agacée par ce climat électrique, elle finit par dire à la femme que tout cela devait cesser, qu’il n’était que trop apparent que c’était le désir sexuel qui les rendait fous et que s’il en était ainsi, eh bien, après tout, ils n’avaient qu’à baiser un bon coup et les tensions disparaîtraient. La femme lui répondit que bien entendu si cela avait été possible, il y a longtemps qu’ils l’auraient fait, mais hélas ce n’était pas possible : à sa naissance, la mère du jeune homme avait offert son sexe à Shiva…
On pourrait prendre cette histoire avec un haussement d’épaule ou comme une moquerie à l’égard de l’Inde. De telles coutumes barbares… Loin de moi une telle pensée. Toutes les religions de la terre sont pleines de dons, d’offrandes et d’ « ex voto » de toutes sortes. Ce qu’il y a de particulier ici, c’est le paroxysme atteint dans ce genre de pratique. De ce point de vue on peut juste dire que l’Inde est un pays d’excès.
Dire aussi qu’il n’est rien d’autre en religion que maladie de l’âme.

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environs d’Ooty

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