De Lu Xun au 50, Moganshan Road

J’en suis venu hier à parler de littérature chinoise (après la littérature suisse qui, elle-même suivait la littérature tibétaine). A ce propos, Shanghaï n’est pas en reste, et même tout un quartier, Duolun Lu (très tranquille, surtout par comparaison avec le reste de la mégapole) est dévolu à la mémoire des grands écrivains « progressistes », dont le fameux Lu Xun (1881 – 1936), qui passe pour être « le père de la littérature chinoise moderne » et qui prit une part active au « Mouvement du 4 mai ». Celui-ci, d’inspiration démocratique et déjà marxisant, mobilisa une grande partie de la population chinoise en 1919 contre l’occupant japonais (le Japon ayant reçu les ex-possessions allemandes après la première guerre mondiale). C’est lui, Lu Xun, qui a aussi dit que « la Chine a davantage besoin de littérature pour changer son esprit que de médecine pour soigner sa santé »….
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Duolun Lu
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Evoquant Shanghaï, on peut parler bien sûr de toute sa modernité, et des célèbres tours et gratte-ciels de Pudong dont les lumières rouges et bleutées font miroiter le Huangpu à la nuit tombante, mais on peut aussi s’échapper vers ce qui reste des concessions ou bien vers les friches qui bordent les méandres de la rivière Suzhou. Il est étrange de trouver des villas d’allure basque ou alsacienne et des rues bordées de platanes à deux pas du Bund. 102ancienne_concession_francaise_villasDia_0183
Mais il est étrange aussi de découvrir des oasis de créativité artistique dans d’anciennes usines où sont apparus les meilleurs artistes chinois contemporains, les Pu Jie, Wang Guanyi, Yu Youhan, Zheng Fanzhi et autres Zengguo Li.

L’art contemporain chinois se trouve principalement dans les galeries du 50, Moganshan Road. On y accède après un long périple en taxi au milieu du modernisme urbain de Shanghaï, les gratte-ciels de Puxi, les somptueux hôtels, les voies surélevées, les lignes du métro aérien… Après s’être perdu dans plusieurs petites rues transversales et s’être rapproché de la rivière Suzhou, le taxi vous laisse au milieu de petites bâtisses d’un blanc aveuglant, vieux entrepôts et vieilles usines en bordure de ce qu’il est convenu d’appeler la « Suzhou creek ». 110friches_industrielles_dans_la_crique_ Au fur et à mesure que l’on pénètre dans ce dédale d’entrepôts, on découvre les affichettes aux noms bizarres : ShanghART, Eastlink, H space, echo space, madame Mao…
Dans la première galerie, ou premier hangar, de gigantesques toiles monochromes de visages grimaçants, mouches en trompe l’œil sur le bout du nez, voisinent avec des paysages mélancoliques : le village où l’artiste est née. L’artiste ? Elle est là d’ailleurs, dans ce qui tient lieu de vaste cantine, en train de prendre son petit déjeuner fait d’un bol de soupe.
Plus loin, à la galerie 116, on accède par un monte-charge à plusieurs salles, dont une renferme un gigantesque portrait de Mao.109gallerie_dart_moganshan_50 , et d’autres tout un échantillon de la production récente : couple enlacé en pleine rue, ce qui est un tout petit peu provoquant quand on sait combien, il y a peu, les démonstrations publiques de tendresse étaient bannies, tristes pantins pendus à la flèche d’une grue, statuettes. Les baies vitrées donnent sur le terrain vague et la Suzhou. La galerie ShanghART est la plus connue. Un Suisse de Zürich en est propriétaire. Impression d’entrer dans un loft. Beaucoup de toiles sont recouvertes d’un plastique transparent. Nu à tête de chameau. Gigantesques trognons de pomme, chacun consacré à un récent dirigeant de la Chine : Mao, Hua Guofeng, Deng, Jian Zeming, façon de parler peut-être des vieux trognons qui ont gouverné le pays ou façon de dire que celle-ci a usé ses dirigeants jusqu’au trognon ? Ready-made futuriste en forme de soucoupe volante pour partir vers un ailleurs, peintures de dos humains rayés de zébrures, comme une évocation des coups et tortures subis par les corps.
On a du mal à se détacher de ces galeries, il s’en trouve toujours de nouvelles. Par les portes entrebâillées, on devine aussi les studios et les dortoirs où vivent les artistes car certaines sont en même temps ateliers et lieux de vie. Dans l’une nous repérons quelques aquarelles. Cerfs-volants noirs tenus par des personnages solitaires, ou bien nuages noirs qui ressemblent à des cerfs-volants. Presque tout ici contribue à montrer le désarroi face à un monde qui change trop vite, à une partie du peuple laissée pour compte, à une jeunesse qui s’angoisse d’un futur vécu comme néant. Un artiste est au travail, c’est Zengguo Li. Ses peintures sont monochromes. On devine en filigrane des silhouettes ployées sous un vent qui n’a rien de terrestre. Des formes passent dans un ciel rouge, oiseaux migrateurs ou avions de combat ?
Quand nous partons, nous croisons d’autres visiteurs qui arrivent en taxi. J’ai lu quelque part que les rares amateurs de cette peinture se recrutent parmi les riches étrangers, mais aussi parmi les membres de la Nomenklatura. On vient certains soirs, entre hauts dignitaires du Parti, avertis des choses de l’art, apprécier des œuvres qui dénoncent par ailleurs le mal de vivre et s’en prennent plus ou moins explicitement au régime.

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