Beauté d’Arles en 2023

Beauté d’Arles. Le cloître de Sainte-Trophime, le portail roman avec juste derrière le Théâtre Antique, non loin de là les Arènes, la rue de l’Hôtel de Ville qui s’enfonce parmi les maisons basses et les galeries vers le musée Réattu et les quais, la Fondation van Gogh pleine de lumière, la place du Forum où l’on trouve encore trace de ce pauvre Vincent au travers du café qu’il peignit dans les couleurs vives du soir. Combien de fois n’a-t-on pas invoqué une telle beauté chargée de tant d’histoire ? Souvenir de van Gogh et processions chatoyantes de gitans, feria animée et, dès juillet, les Rencontres de la photographie qui viennent de commencer, nous y étions dès le premier jour (le 3 juillet). Un voile se levait sur des photos éblouissantes de couleur, de gris, ou de noir et blanc. Photos anciennes et « naturelles » ou bien photos modernes et savamment fabriquées avec des procédés complexes de solarisation ou de bains multiples dans des révélateurs successifs.

à droite en bas: Wim Wenders passant dans les rues d’Arles

Pour les premières, quoi de plus émouvant qu’un retour à la source avec Agnès Varda lorsqu’elle faisait son premier film à Sète, sa ville natale, quartier de la Pointe Courte, et qu’elle photographiait, avant de les filmer, les rues des quartiers pauvres balayées par les draps et les linges pendus sur des fils, ou des piles de bois et des enchevêtrements de poutres, au milieu desquels se promenaient les grands comédiens de l’époque Philippe Noiret et Sylvia Montfort. Une ville respirait avec la pêche, la texture des filets contrebalançait la fluidité de la mer. En fait de vagues, le film en montrait déjà l’exemple d’une nouvelle… au cinéma.

En restant dans le cinéma, on admire, un peu dans le même style que Varda, les polaroids de Wim Wenders, outils indispensables de la réalisation de l’Ami américain, étonnant film où Wenders réunissait devant la caméra ceux qui d’habitude étaient plutôt derrière : Daniel Schmidt, Nicholas Ray, Gérard Blain, Jean Eustache, avec en outre les immenses comédiens que furent Bruno Ganz et Dennis Hopper. La photo était un des thèmes principaux du film dont le scénario provenait d’un polar de Patricia Highsmith. On y voyait le héros, Hopper, se mitrailler littéralement au moyen d’un appareil polaroid au-dessus d’un billard américain qui recevait en pluie les épreuves encore mouillées qu’il avait réalisées de lui-même, sorte de suicide à l’appareil photo.

« La scène, dit Wenders, capturait avant son temps l’obsession narcissique dont nous souffririons tous plus tard, quand nous prendrions des selfies comme si c’était la chose la plus naturelle au monde ». En même temps, elle montre ce que cette obsession de la prise de vue de soi-même à à voir avec la mise à mort.

Cinéma, photo, peinture, tout se mêle et s’enchaîne dans cet assemblage d’expositions. Au Palais de l’Archevêché se révèle un photographe qui fut, toute sa vie, dans la discrétion, mais qui éclate au grand jour : Saul Leiter, qui n’a pas arrêté de sillonner sa ville New York depuis qu’il y était venu rejoindre ses amis peintres dans les années cinquante pour y mener une carrière d’abstrait versé dans le lyrisme expressionniste. Il a pris son appareil en bandoulière mais il a continué à peindre des gouaches subtiles aux tons aussi délicats que ceux qu’il privilégie dans ses épreuves couleur. Ses intérieurs, ses coins de table et ses vues au travers d’épais rideaux, voire ses silhouettes aperçues de derrière un parasol sombre ont quelque chose qui nous rappelle d’autres peintres comme Vuillard ou, plus près de nous, Jacques Truphémus à qui Lyon était ce que New York était à Leiter.

oeuvres de Saul Leiter : à droite: gouache et aquarelle sur papier japonais

La peinture se mêle d’ailleurs intimement à la photographie, comme dans cette exposition de deux jeunes femmes, Eva Nielsen et Marianne Derrien, qui réalisent la fusion des deux arts à propos de vues prises en Camargue, où les objets photographiés sont transférés sur des toiles par sérigraphie, où les photos sont solarisées, superposées, faisant apparaître des effets de matières translucides, le tout étant complété par de l’acrylique.

Peindrait-on aussi directement avec la lumière lorsqu’on photographie ? C’est ce que nous montre un ami qui expose en ce moment à la galerie Little Big Arles (pendant de la galerie Little Big Gallery qui existe à Paris, quartier Montmartre), Thierry Lathoud, qui travaille souvent, dit-il, un peu à l’aveugle, maniant plusieurs révélateurs sur la même photo, utilisant la solarisation lui aussi, et sur des papiers qui valent parfois fort cher, venus de Chine ou du Japon, faisant en sorte que, bizarrement, la couleur surgisse du noir et blanc par le miracle de la chimie. Il utilise justement un pinceau pour filtrer délicatement la lumière afin de rendre des paysages de forêts pleins de noirs profonds et d’éclairs lumineux.

Comme chaque année, la Fondation Louis Roederer décerne un prix découverte à de jeunes artistes émergents, sélectionnés sur un thème, cette fois : le sens au-delà des apparences, l’ambiguïté… Photos émouvantes, souvent surprenantes. Une fois de plus, on constate ce que les mesures de confinement liées à la pandémie de Covid en 2020, ont provoqué de choc parmi la population mondiale, c’est par exemple ce que montre le photographe Md Fazla Rabbi Fatiq, installé à Dacca, au Bengladesh, revenu dans sa ville natale au cours du confinement, et qui s’est plongé dans l’univers microscopique de son quotidien d’enfermé à longueur de journée. Drôle comme un regard attentif peut tirer d’une miette ou d’un insecte de quoi rêver… Dans la même série, l’artiste français Philippe Calia, intéressé par les espaces d’exposition en général, nous trouble au moyen de détails photographiés dans des musées indiens et de citations extraites de livres d’or. L’indienne Riti Sengupta photographie le mal-être de femmes vivant dans un lieu cloisonné et oppressant. Au fond de la nef de l’Église des Frères-Pêcheurs, trône un gigantesque écran qui montre l’oeuvre video de l’artiste vietnamienne Hiên Hoang, lent recouvrement d’un visage par des feuilles transparentes sorties d’un bol. Mais on peut parler aussi de Samantha Box, d’Ibrahim Ahmed et Lina Geoushy (artistes égyptiens qui posent la thématique du genre en Egypte), de Vishaï Kumaraswamy, qui filme le cheminement du deuil dans le corps humain au moyen de caméras 3D, de Nieves Mingueza ou bien encore de l’équatorienne Isadora Romero qui montre d’un regard désespéré la situation de l’agrodiversité en Amérique latine (au Paraguay par exemple, 94 % des cultures consacrées à l’exportation de soja ou de maïs transgéniques, et presque rien pour les cultures vivrières).

En l’église Sainte Anne encore, on entre dans l’univers de la photographie féminine nordique contemporaine, avec notamment la photographe finlandaise Emma Sarpaniemi dont l’effigie a été choisie pour servir d’emblème aux Rencontres et qui, comme par hasard, déambule en ce 3 juillet dans les rues d’Arles et à proximité de ses œuvres où elle se représente elle-même, créature de couleurs fraîches et pimpantes, mais aussi des photographes suédoises comme Erika McDonald et Hannah Modigh et d’autres encore, toutes regroupées sous le titre Sosterskap (soririté).

Arles n’est pas seulement le lieu d’expositions officielles données dans des églises et des palais, c’est aussi le lieu des galeries dont j’ai déjà cité une précédemment, c’est aussi l’endroit de mille rencontres, comme celle de ce photographe arlésien au seuil de sa petite galerie Constantin, gardien d’un trésor qu’il révèle en grande pompe à ses visiteurs et qui tient principalement dans de saisissantes photos de gitans.

à gauche: photo de Véronique Esterni, à droite: le photographe de la galerie Constantin

Un jour et demi ne suffit pas, il faudra revenir et terminer cette visite par ce que nous n’avons encore pu voir et s’annonce si extraordinaire, comme les magnifiques photos (déjà vues en un autre lieu) de Gregory Crewdson ou de Juliette Agnel, ou encore les photos exposées au Parc des Ateliers, à la Croisière ou à Monoprix…

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