L’engagement du poète (suite)

Comme je l’évoquais déjà la semaine dernière, l’œuvre de Jaccottet montre s’il en était besoin que l’on peut s’engager sans pour autant le proclamer. C’est une question de justesse de ton dans l’expression, il n’est pas nécessaire de prendre une position politicienne, ni de participer à des mouvements de foule, car si l’on veut bien, la parole est engagement. Je sais que les philosophes du langage nous ont donné des outils pour penser cela, notamment au travers de la pragmatique et de la théorie des performatifs, mais les poètes nous disent plus encore : que le travail de la langue fait la démonstration de la toute puissance du langage dans l’effort de dégager l’humain de sa gangue trop souvent désespérante. C’est bien sûr ce que disait l’émission récente de France Culture qui s’intitulait « Ne pas donner toute sa place au malheur », et ce qu’exprime également cet extrait de La Semaison, ce carnet que Jaccottet ne cessa de remplir pendant de longues années :

Que la nausée nous prenne de plus en plus souvent au spectacle du monde pourrait nous enlever le peu de conviction qui nous reste pour écrire ; ou, au contraire, nous donner une raison de plus de garder, de montrer cette vallée de l’autre jour qui s’ouvrait, s’épanouissait pour accueillir dans sa conque la lumière de l’après-midi. On voyait l’herbe luire au pied des arbres couleur de feu calme. Dernière tiédeur de l’année, plus sensible à qui s’en va. (La Semaison, p. 998 de l’édition Pléiade)

C’est aussi ce que soulignait l’ami Serge, songeant aux résistants disparus dans les maquis de La Lance, en prélevant cette citation : « L’homme le plus démuni, même s’il ne peut pas s’exprimer, même dans les poussières et les haillons, a connu les secrets de ces pentes, l’attrait de ces vallées qu’éclaire la nuit. ».

couvent de La Clarté Notre-Dame (Drôme)

Cet « engagement » traduit par une sensibilité si particulière au temps et au monde dans lequel nous vivons, c’est peut-être encore dans la dernière œuvre – La Clarté Notre-Dame – qu’il se manifeste le plus, où il est question, au début, d’une promenade qui se fait avec des amis dans la campagne autour de Taulignan, en ce lieu où dort paisiblement un couvent très modeste, abritant quelques nonnes, que l’on connaît à peine, n’étant peut-être pas signalé sur toutes les cartes : la Clarté Notre-Dame. Dans une journée, peut-être, de fin d’hiver (vérification faite, c’était le 4 mars de l’an dernier, voilà donc un an environ), marchant en compagnie d’amis sans guère parler à l’intérieur d’un grand paysage descendant en pente douce vers un lointain vallon, sous un ciel gris, et c’est une autre sorte de grisaille qui domine en pareille saison dans ces champs d’ailleurs vides, où personne encore ne travaille, où nous sommes les seuls à marcher sans aucune hâte et sans autre but que de prendre l’air.

Il ne se passa rien de particulièrement étrange… Avant que ne se mît à sonner, loin au-dessous de nous, au cœur de tout ce gris presque terne, la petite cloche des vêpres du couvent de la Clarté Notre-Dame qu’on ne voyait pas encore au fond de son vallon.

Il ne lui en faut pas plus (au narrateur) pour qu’il se remémore un vers de ce fameux Requiem que j’évoquais la semaine dernière : « Les fontaines tintent aux versants les plus hauts des montagnes » :

J’ai écrit cela – dit-il – dans mon désormais lointain Requiem de 1946.

[…] Voilà donc que dans mon grand âge, alors que « si peu de bruits », si peu de signes du monde m’atteignent encore, cette cloche, et cette fois non pas métaphorique, à nouveau et tout inopinément m’avait parlé ; et de nouveau, pour m’orienter vers quelque cime dont je ne retrouverais le nom sur aucune carte…

Le poète rapproche différent tintements, l’un qui venait des Alpes (plus précisément des Alpes vaudoises, au-dessus des Plans-sur-Bex), ce dernier qui vient d’un couvent des « montagnes basses de la Drôme », mais aussi l’écho des eaux glacées qui tombent « dans ces bassins qui ressemblent à des barques de bois ancrées dans les plus hauts pâturages », ou bien la rosée du matin qui elle aussi a ce caractère cristallin… bref, le tout renvoyant à la limpidité, à la clarté, le poète finissant par trouver dans le tintement de cette cloche une sorte de point de rencontre de toutes les lignes qu’il a suivies dans le passé, lui délivrant comme une apparence de sens à sa vie.

Pourtant, cette partie-là du poème n’en est qu’une face, la partie éclairée. La seconde nous révèle toute autre chose. Cela commence par l’énoncé très direct, entendu à la télévision, de ce qui se fait de plus horrible, de plus épouvantable :

Il y a quelques semaines, j’ai entendu et vu à la télévision un journaliste belge – si c’était bien son métier et sa nationalité, mais peu importe – qui, emprisonné à Damas, je ne sais pourquoi et lui-même ne le savait peut-être pas, avait eu la chance rare d’être libéré et de pouvoir, revenu indemne en Europe, faire le récit de ce qui, presque miraculeusement, n’était resté pour lui qu’une triste mésaventure.

Le journaliste avait raconté qu’au cours de sa sortie, suivant un couloir de la prison, il avait entendu de part et d’autre les cris des moins chanceux que lui que l’on torturait.

Aussitôt, le poète voit détruites les fragiles constructions du sens auxquelles il s’était livré jusque là. Comment jouir de la lumière terrestre quand on a été soi-même tellement protégé de telle scène et comment ne pas penser que c’est cette protection même dont on a bénéficié qui nous rend enclin à glorifier un passé souvent lumineux que peut-être nous ne méritions pas…

Cela frappe d’autant plus Jaccottet qu’il a entendu dire que de tels lieux de torture avaient été installés juste sous le site des ruines de Palmyre que, quelques années auparavant, il avait parcouru dans le plus grand ravissement….

Comme s’il me fallait en arriver à penser, in extremis, comme tout ce que je vis encore dans mon enclave, ma belle enclave protégée on ne sait comment ni pourquoi du malheur, qu’il y aurait, sous tout ce que l’on a pu contempler de plus admirable au monde, des caves ténébreuses où s’affaireraient des êtres démoniaques tels que des privilégiés dans mon genre ne les auraient entrevus que dans leurs pires cauchemars ; insignifiants cauchemars, puisqu’ils s’en seraient toujours réveillés parfaitement indemnes…

où il reconnaît qu’aucun progrès n’a été accompli depuis un demi-siècle puisqu’il retrouve le même thème, la même idée que celle qui lui inspira son Requiem de 1946, où, faut-il encore le préciser, il évoquait les corps torturés de résistants français, victimes des Allemands.

Est-ce un constat d’échec ? Lequel serait alors le constat d’échec de tout poète car, définitivement, aucun mot, aucune ode, aucun chant ne contre-balancera jamais les millions de morts des camps de déportation qui n’en ont jamais fini de réapparaître, qu’ils soient nazis ou staliniens, syriens, khmer rouge ou laogaï. On pense évidemment à Celan, à son interrogation sur la possibilité d’écrire un poème après Auschwitz, contradiction jamais résolue, ou bien de façon bancale par la recherche d’une écriture dans une langue nouvelle, une langue vierge qui n’aurait pas connu l’infamie. Jaccottet s’est heurté à la même impossibilité, il a dû, en plus, supporter le réel post-guerre mondiale, la triste promesse de lendemains qui ne chanteront jamais, l’étouffement des corps à la surface de la planète et la disparition programmée des espèces. Fabien Vasseur, qui est un exégète du poète suisse, et poète et suisse lui-même, relate dans son lumineux petit livre Philippe Jaccottet, le combat invisible (ed. Presses polytechniques et universitaires romandes) son apparition dans une petite cérémonie au Centre Culturel Suisse de Paris, à l’occasion du vernissage d’une exposition de son épouse Anne-Marie : il cite « comme s’il étouffait un rugissement de bête blessée, les mots de Leopardi dans ses carnets du Zibaldone : « Tout est mal. C’est-à-dire que tout ce qui est, est mal. Que toute chose qui existe est un mal ; l’existence est un mal et elle est ordonnée pour le mal ; l’ordre et l’État, les lois, le cours naturel, ne sont que mal et ne tendent qu’au mal ». « Et pourtant… ». Tout bien sûr est dans ce « et pourtant ». Ce « et pourtant » est un tout petit sillon sans doute, et presque imperceptible, ou il est un chant d’oiseau très discret, que l’on n’entendrait que dans le silence des forêts et des campagnes, en tout cas pas dans le vacarme des villes, et il serait tel que l’on aimerait que chacune de ses occurrences soit le signal du (re)commencement d’un monde… la poésie serait analogue à ce chant d’oiseau. Jaccottet dit avoir été heureux chaque fois que des fragments de poésie sont venus tout seuls à lui, depuis le fond de sa mémoire, A croire que tous les poèmes, aussi loin que l’on remontât dans le temps, n’avaient eu pour seul souci que de devenir ces signes dont Hölderlin a écrit qu’ils « aident le ciel. Mais pourtant là encore, ce n’est pas assez : pas assez pour que ce grand éclat multiplié l’emportât sur cette encre qui gagne toute la page encore ouverte pour l’infester de haut en bas.

Alors, que faire ? Jaccottet avoue que toute une vie ne lui a pas apporté de réponse… et qu’après avoir dit cela, il devrait faire figurer sur la page un blanc immense, y inscrire un silence de mort ; et reculer, reculer infiniment devant ce mur.

Arrivé donc à ce trop grand âge… le poète ne peut revenir qu’à ces poèmes qui le hantent depuis toujours, fragments tombés de Hölderlin ou de Claudel, comme ce Enigme, ce qui sourd pur, ou ce discours de Cébès dans Tête d’Or qui parle de voyageurs qui se réveillent dans une voiture au bout de la nuit, au même moment où « les âmes nouvellement nées le long des murs et des bois […] refuient vers les régions de l’obscurité »… C’est dire qu’il est des moments de suspens du temps qui font planer au-dessus de nous comme l’impression d’un repos ultime

On se sera ainsi battu pour peu de choses, finalement, quelques moments de grâce ou peut-être d’illusion où il nous aura paru que pour un très bref laps de temps nous étions protégés, de quoi ? On ne sait. Du dehors, des bourrasques de neige, des orages du temps, même si au plus profond de soi on savait bien que cela ne pourrait durer, ne pouvait durer et qu’à la fin vient l’inéluctable effondrement…

Il est terriblement émouvant de penser que Philippe Jaccottet a eu ces pensées, a noté ces écrits (avec l’aide d’une amie, José-Flore Tappy, la même qui a coordonné le volume de la Pléïade) jusqu’à l’extrémité de sa vie. Le post-scriptum est daté du 7 juin 2020, c’est si proche encore, et si proche de sa mort. Il avait donc quatre-vingt-quinze ans, et dans ce confins de sa vie, il se remémore encore de nombreux détails de cette promenade près de Taulignan, en même temps que sa visite au temple de Ségeste en Sicile, ou des extraits de Hölderlin (que, finalement il préfère à Rilke, car Rilke était quand même « quelqu’un d’habile » !) dans lesquels le poète allemand s’adresse à un Dieu, (dont on ne sait trop de quoi il est fait, et que tout le monde sans doute peut concevoir comme il l’entend, mais cela est sans importance) en lui disant : « donne-nous une eau innocente / Oh donne-nous des ailes ».

Et c’est cela qui paraît l’essentiel, surtout au seuil d’une « traversée impensable »…

Décidément, ce long poème en prose est certainement ce qui peut se lire aujourd’hui de plus renversant, de plus profond concernant notre destin d’humain, perdu au milieu des tempêtes et des catastrophes, individuelles ou collectives qui finiront toujours à la fin par nous emporter, c’est comme un ultime message qui serait revenu du fond des limbes pour contribuer à jeter au dernier moment sur nos vies quelques dernières lumières. Je n’ai pas parlé du passage qui m’a peut-être le plus ému dans ce texte. Celui où Jaccottet (mars 2015) s’est levé au cours de la nuit pour entendre une émission en hommage à Mahmoud Darwich, et où, revenu se coucher auprès de son épouse, il note (p. 28):

voyant nos deux lits parallèles avec, sous les draps, la forme à peine visible de ma compagne dormeuse, je cherche à dire ces deux barques voisines, descendant au fil de l’eau, au fil du temps, obéissant à sa pente impérieuse, secrètement impérieuse, dans un même mouvement vers le port de moins en moins lointain… Ces deux barques parallèles, liées l’une à l’autre, mais dont les draps, les linges, depuis si longtemps n’ont plus été froissés, bouleversés par le désir, encore moins tachés. Glissant, descendant, s’abîmant sans que plus aucune parole ne soit dite, mais dans un silence où n’entre aucune hostilité – ni même, à ce moment-là de ma rêverie émue, aucune angoisse, aucun désespoir ; alors qu’il y aurait certes lieu.

C’est ainsi, je pense, qu’on parle de l’amour lorsqu’on est arrivé au très grand âge, que le désir n’est plus là, mais qu’il reste encore quelque chose, qui fait partie du plus vital, aussi fort, aussi violent que le sillon finissant de la vie.

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7 commentaires pour L’engagement du poète (suite)

  1. Ce dernier passage est splendide. Il restera longtemps avec moi, jusqu’à la fin sans doute.

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    • alainlecomte dit :

      eh bien , j’espère que cette fin sera dans très, très longtemps! 🙂

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      • Ahah, oui, mon commentaire était plus dramatique que je ne le voulais, l’effet de la gravité de Jaccottet.

        Le sujet que vous abordez, celui de l’engagement en littérature, ou plus généralement de la place de la politique en littérature, n’a pas pour moi de solution simple ou universelle. Parfois cela marche (Eluard, Char, Hugo, Lusseyran, Le Guin), parfois non (quantité de déclarations de principe assez creuses, alors même que les actes peuvent être à la hauteur). Je dirais comme vous que l’engagement littéraire tient à la justesse du ton, mais qu’on peut être engagé dans la vie sans trouver cette justesse en littérature, qui tient aussi du talent et du travail, pas seulement de la qualité humaine (autre problème épineux, la coïncidence ou non entre la qualité humaine et la qualité littéraire). Je ne crois pas en la tour d’ivoire de la littérature, qui serait un art désintéressé et inutile, mais je trouve, par expérience de lecture, que les sujets engagés sont les plus difficiles à traiter, ils sont, pour être prosaïque, très casse-gueule, exigeant une maturité et une lucidité rares.

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  2. alainlecomte dit :

    @Josephine Lanesem: je pense que qualité humaine et qualité littéraire peuvent se rencontrer (même si, bien sûr, ce n’est pas toujours le cas) et Philippe Jaccottet en est un bel exemple. Sur le fait que l’engagement exige maturité et lucidité, c’est justement ce qu’il a affirmé maintes fois, et la raison justement pour laquelle il avait renié « Requiem » dans un premier temps, se sentant trop jeune quad il avait écrit cela. IL me semble que dans un cas comme le sien, c’est à la fin qu’on se rend compte de cette coïncidence. Il est certain qu’être engagé dans la vie ne procure pas nécessairement cette justesse de ton, il faut être un vrai écrivain pour ça, et peut-être… n’y en a-t-il pas tant que cela! On peut aussi penser que l’engagement se manifeste tout seul, par la sincérité de l’écrit, sans l’avoir expressément voulu, et puis, qu’est-ce qu’être engagé? Erri de Luca disait que l’acte politique commençait avec le simple fait de sourire à quelqu’un dans la rue…

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  3. David Violet dit :

    J’ai eu beaucoup de plaisir à lire votre témoignage et votre révérence au poète. Merci.

    Ne pas donner toute sa place au malheur c’est effectivement une très belle façon de caractériser, me semble-t-il, la place de la poésie chez Jaccottet et, comme vous dites, son « engagement [de] poète ». Il y a chez lui le sentiment que la réalité malheureuse du monde ne constitue peut-être pas le dernier mot, ce qu’il tenait néanmoins à distinguer du refus de voir la réalité, en particulier, celle du monde contemporain dans ce que celui-ci comporte habituellement de plus abject, de plus obscène et de plus bavard.
    En lisant Jaccottet, on découvre que toute son œuvre est d’un bout à l’autre hantée par l’inconvenance du sentiment poétique, par l’indécence qu’il y aurait à habiter poétiquement cette vie ; toute son entreprise ploie continument sous ce doute et ce scrupule inlassables. Que pèse la frivolité apparente d’un vers, d’un émerveillement, face à la quantité d’horreur et de souffrance qui pèse lourdement sur ce monde ? Quels peuvent bien en être le sens et la valeur puisque (presque) tout en ce monde flétrit, est matière à être malheureux, requiert notre pudeur ? Et cependant, dans ce « presque » (entre parenthèses) réside précisément ce qu’il soupçonne de plus engageant, à savoir le geste poétique, qui semble courir comme une fissure dans l’ordre des choses.
    Jaccottet exige que soit inlassablement interrogée cette heureuse fêlure, ce léger désajustement à qui revient encore, semble-t-il, le pouvoir d’illuminer par de mystérieux éclairs la noirceur environnante ; une faille – certes ténue – dont il décidera de scruter et de sculpter la lumière sans complaisance, c’est-à-dire sans jamais cesser de mettre la séduction éprouvée à l’épreuve des faits.
    Sa poésie ne témoigne donc pas chez lui d’un échappatoire ou d’un refus du réel (il n’ignore rien qu’un tel refus fasse souffrir, que « le réel, c’est notre chair » comme le souligne avec beaucoup de justesse notre blogueuse Joséphine Lanesem dans un commentaire sur son blog). S’y aventurerait-on à la légère que la poésie ne vaudrait pas une heure de peine à ses yeux. Son engagement poétique procède, au contraire, du souci diligent et consciencieux de tenter cette rencontre improbable du poète avec le réel où l’on constate, avec un certain désarroi, que l’éblouissement est d’abord et avant tout évanescence, affaire de brièveté et de rareté. Et alors de s’interroger à brûle-pourpoint sur la réalité de la poésie elle-même, comme pour s’assurer que l’expérience fabuleuse du poète n’est pas qu’une illusion ou une rêverie sans consistance ?

    « Il n’y a qu’une chose dont je me soucie vraiment : le réel, écrit-il dans ce merveilleux dialogue intérieur qu’est La promenade sous les arbres. Presque toute notre vie est insensée, presque toute elle n’est qu’agitation et sueur de fantômes. S’il n’y avait ce « presque » avec ce qu’il signifie, nous pourrions aussi bien nous avilir ou désespérer. » (Œuvres, La pléiade, Gallimard, 2014, p.115)
    Il avait, je crois, la conscience aiguë que les mots du poète sont bordés continuellement d’abimes, de faux-pas, de non-sens, de ridicule, d’indécence, à l’image même des enterrements où l’absurde et le fou-rire ne sont jamais loin. De sorte que la poésie fût sans doute une telle prise de risque à ses yeux qu’elle ne lui était possible qu’au prix d’une retenue, d’un allègement et même d’un effacement à ce point remarquable qu’on n’en trouve pas aisément trace chez des poètes de la même trempe.

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    • alainlecomte dit :

      Merci infiniment pour ce commentaire qui dit l’engagement poétique de Philippe Jaccottet mieux que je n’ai su le faire. La position de Jaccottet est assez unique, elle fait preuve d’une tension admirable entre le poète et le réel qui l’entoure.

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  4. Debra dit :

    Vous avez écrit un bel hommage, là.
    J’aime bien penser au tintement de ces cloches, à l’eau qui ruisselle dans les vasques, dans la forêt, à la présence dans ces lieux retirés du monde où ne sourdent pas le bruit et la fureur.
    L’évocation de « Notre Dame » me parle beaucoup aussi en faveur de la paix de l’âme.
    Tout un contexte mystérieux où nous sommes terriblement reliés à ceux qui ont marché devant, et avant nous, même si nous ne le soupçonnons pas.
    Pour la torture…et la gravité… nous sommes devenus peut-être beaucoup trop lourds, nous, les modernes. Nous pesons si lourdement… vers le bas, alors que Notre Dame s’élance vers le haut ?
    Avec la méditation sur ma propre vie, j’en viens à penser que notre poids vers le bas (dans nos têtes, surtout) est péché. Beaucoup de choses à l’heure actuelle dont nous nous vantons avec tant de fanfare sont… péché, alors que nous ne le voyons pas.
    Merci pour cet écrit.

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