A l’occasion d’un deuil familial, me voici revenu, avec C., dans le Jura suisse, une région que nous affectionnons tous deux, même si ces derniers temps, elle était plutôt devenue synonyme de souffrance et de maladie. Plusieurs cantons se partagent le massif montagneux : le canton de Berne (où a vécu C., dans un vallon qui s’étend non loin du mont Chasseral), celui de Neuchâtel, celui du Jura (le dernier né) et même un peu le canton de Vaud. La ville la plus proche, et la plus emblématique, est La Chaux-de-Fonds. Une ville connue pour plusieurs caractéristiques essentielles. S’y est développée d’abord une importante industrie horlogère (qui laisse encore de nombreuses traces). Ville ouvrière au XIXème siècle, elle a gardé ses rues rectilignes et ses maisons solides mais modestes, avec souvent un petit jardin, jadis destiné à nourrir une famille. Une riche dynastie, les Jeanneret, eut parmi ses rejetons un homme qui préféra se faire appeler « Le Corbusier » : on trouve des souvenirs de l’architecte sur les hauteurs de la ville. Car, étrangeté topographique, les rues sont étagées, les parallèles étant reliées par de petites voies de transition en pente raide. En haut, le gratin, en bas le brouhaha, la grande avenue (dite « le Pod ») bordée de magasins et la gare. Plus loin : l’aérodrome (les Eplatures), une seule piste mais de petits avions viennent sans cesse s’y poser. En haut, de somptueuses villas.
Et le lycée. Portant le nom du deuxième grand homme de la ville (et à mes yeux combien plus sympathique que ne l’est Le Corbusier) : Blaise Cendrars. Cendrars était français, me dira-t-on. Pas tout à fait : il acquit bel et bien la nationalité française, mais c’était parce qu’il tenait à s’engager pour faire la guerre, celle de 14, qu’il fit avec courage, et où il perdit un bras. Cendrars était bien suisse. Il suffit d’ailleurs d’entendre sa voix pour le deviner. C. elle, dut à l’appui de son grand-père la chance de pouvoir entrer au lycée de La Chaux-de-Fonds alors qu’elle n’était pas neuchâteloise mais bernoise. Je dis une chance car lorsqu’on découvre aujourd’hui cet établissement, on est ébahi par sa double beauté, celle de son architecture et celle de sa situation. A flanc de colline, le bâtiment gris percé de baies vitrées s’ouvre vers les bois, la campagne et des chemins souvent enneigés. C’était le premier retour en ces lieux de C. depuis plus de quarante ans. Quand nous osons pénétrer dans le hall – mais nous n’irons pas plus loin – elle est émue de voir que rien n’a changé : mêmes chaises, mêmes porte-manteau, même sculpture. La couleur des portes même n’a pas changé. Sur un côté du hall : la bibliothèque qui porte le nom du premier proviseur, un certain André Tissot, qui était un ami de son grand-père. L’extérieur est un grand parc dont la délimitation reste floue, la ville ainsi entre dans son lycée comme celui-ci entre dans sa ville. Des grills a barbecue s’élèvent de place en place pour les pique-nique et dans un coin du sous-sol servant de remise pour les principaux outils (une déneigeuse), un tas de bois attend. C’est mercredi : les locaux sont déserts. On voit de loin sortir une personne, sûrement une enseignante. Je me dis que parfois j’aimerais revivre ma vie, je me verrais tellement prof dans ce lycée… j’y enseignerais en principe les mathématiques, mais comme tout peut s’imaginer, j’aurais fait d’autres études et j’enseignerais les lettres ou la philosophie.
Après une promenade sur les hauteurs, vers le lieu-dit « Chapeau rablé », nous redescendons vers la ville. Pélerinage obligé à la librairie Payot. Parcourir les rayons d’une librairie de Suisse romande m’offre toujours la possibilité de faire des découvertes inattendues, celle de tant de livres peu connus de l’autre côté de la frontière. Editions Zoé, éditions « d’autre part », l’édition suisse se porte bien, apparemment. Livre d’un écrivain chaux-de-fonnier qui eut son heure de gloire : Yves Velan. Livre d’un écrivain que C. et moi connaissons : Jean-Pierre Bregnard, qui publie « NE » (les lettres qui figurent sur les plaques minéralogiques du canton de Neuchâtel), charmant petit ouvrage qui développe la notion d’âme d’un lieu, où l’on trouve cette définition d’une bibliothèque : « elle est en quelque sorte aux âmes ce qu’un cimetière est aux ossements ».
Comment expliquer le bonheur suisse ? Ou du moins ce qui m’apparaît comme tel. De savants économistes et sociologues nous exposeront la réalité de mystérieux mécanismes liés aux banques (bien qu’à ma connaissance il y ait peu d’ouvrages de ce type), mais rien ne m’enlèvera de l’idée que la société suisse a su tirer profit de la chance qu’elle avait de pouvoir construire et développer un enseignement de qualité dans des conditions optimales : effectifs par classe peu nombreux, qualité des bâtiments, éducateurs bien formés. Ces conditions ont permis de mettre en place un esprit d’ouverture et une confiance réciproque entre maîtres et élèves qui font, en France, tragiquement défaut.
Le récent référendum sur le maintien de la redevance radio-télé en Suisse, qui a montré l’attachement majoritaire, et de loin, de ses habitants au service public, est un exemple de civisme et de démocratie dont la France pourrait prendre exemple, on ne sait jamais ! 🙂
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je pense en effet que la Suisse donne souvent des leçons de démocratie, et que la société y est moins fracturée. il y existe encore une culture populaire (notamment par le biais de la musique, pratiquée par un peu tout le monde, indépendamment du revenu financier). L’attachement à la RTS est évidemment fort: les Suisses ont été horrifiés à l’idée que leur chaîne aurait pu être privatisée et entrer dans le giron de TF1 (par exemple). C’est d’autant plus intéressant que les partisans de l’initiative ont essayé de faire passer l’idée que la RTS était… un repère de gauchistes (!). Dans un pays réputé plutôt à droite, l’argument aurait pu prendre, or il n’en rien été. Oui, préparons nous à défendre Radio-France… on ne sait jamais!
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