Printemps littéraire

Comme chaque année, à Grenoble, fin mars, a lieu le Printemps des Livres. Ce printemps va-t-il me donner goût à revenir sur ce blog, déserté depuis de longues semaines ? Et puis pourquoi  cette absence ? A y réfléchir, on peut conjuguer les raisons. Certes, l’étude, la sacro-sainte étude détourne de l’activité ludique d’écrire. Mais quoi de si important à étudier donc, me direz-vous ? Hard to explain… Il existe des efforts pour comprendre certaines choses, qui ne se disent pas, ou alors quand tout est fini, quand on a compris, si ce jour arrive jamais. Le travail où je m’absorbe contient entre autres choses la lecture de textes ardus, mi-mathématiques mi-philosophiques dont certaines pages à elles seules nécessitent bien plusieurs jours de réflexion en continu.

Mais ce n’est pas tout. Le plus important : quoi dire ? Oui, quoi dire quand on est tellement ruiné de ses espoirs par la brutalité et l’obscénité du temps ? Quand l’entrée en campagne du président-candidat se fait sur le registre d’un monceau permanent d’injures et de coups au bas ventre et quand les petits salauds tueurs d’enfants font la une des journaux (1) ? Il n’y a  rien à dire quand la parole est démonétisée et qu’à longueur de twitts, de francetv info, de radio et d’alertes sur le smartphone éclatent de façon impromptue des messages dénués de sens, chacun reléguant le précédent dans un vide sidéral d’où il n’aurait jamais du sortir.

Je sais bien qu’il reste quelques pièces de théâtre, quelques poètes. De telles pièces, j’en ai vues ces jours, les plus émouvantes n’étaient pas les plus célébrées : une jeune troupe grenobloise (le CREARC) avait ainsi monté fin février, à égalité avec une jeune troupe de Tizi-Ouzou le beau texte de Kateb Yacine : « le cadavre encerclé » extrait du cycle « le cercle des représailles ». Moitié en arabe, moitié en français. Cette pièce évoque les massacres de Sétif de 1945. Jeu incertain des comédiens mais d’une telle fraîcheur. Vu aussi « Les liaisons dangereuses » à l’Atelier, mise en scène de John Malkovitch. Très beau. Très sexy. Et puis « Les bonnes » de Genet à la MC2 de Grenoble, avec les grandes actrices que sont Hélène Alexandridis, Myrto Procopiou et Marilú Marini. Aucun doute que le théâtre apporte au spectateur plus que ne lui en donnera jamais le cinéma. La présence. Des corps et des voix.

Ce passage aux voix me ramène à mon sujet initial : le printemps des livres. Qui accueillait (ou plutôt n’accueillait pas car il avait du rester chez lui, à Tanninges, pour raisons de santé) le grand écrivain anglais John Berger, dont les relais présents (son traducteur Carlos Laforêt, son éditeur Francis Combes, son fils Yves Berger) mettaient en avant le rôle que joue dans son œuvre le thème de la voix. C’est banal. On l’a souvent dit, on le constate, mais on ne se lasse pas de le dire pourtant. Un livre c’est une voix. Le livre émerge, est réussi, poursuit son chemin quand il a trouvé précisément la voix qui le porte, celle que l’on entend dès qu’on ouvre les pages et qui ne nous quittera plus. C’est ce qui explique que beaucoup de livres nous tombent des mains, notamment j’ai remarqué souvent des romans américains : ils ont une histoire, l’auteur a du métier, c’est bien ficelé. Et pourtant il n’y a pas de voix. A moins que ce soit parce que nous sommes incapables de l’entendre, remarquez… c’est possible aussi. John Berger absent physiquement, les organisateurs de la rencontre avaient enregistré sa voix,  justement, lisant quelques poèmes. C’était encore mieux. Je veux dire : il était encore plus là, tellement sa voix était puissante, aisée, ample, profonde. Et pour le traduire, une comédienne, Isabelle Eudes, qui était allée s’entretenir sur place avec le poète et avait testé auprès de lui sa capacité de lire. Il en ressortait un travail saisissant : une autre voix, qui se superposait à celle de l’homme, une voix de femme qui se servait au maximum des silences.

Plus tard, quelqu’un lut des textes plus théoriques.

En août 2007, il écrivait ceci dans un article où il parlait beaucoup du livre de Naomi Klein « la stratégie du choc » :

Ceux qui administrent les chocs – qu’il s’agisse des tortionnaires, des économistes ou des épouvantails – ont appris, après un demi-siècle d’expérimentations, que la façon la plus efficace de détruire le sens d’identité des gens consistait à démanteler et à fragmenter systématiquement l’histoire de leur vie qu’ils s’étaient racontée jusque-là – à effacer le passé.

Une fois le passé effacé, n’importe quel slogan politiquement pourri, malgré l’innocence qu’il affichera, fera l’affaire : l’heure est au changement, prenons un nouveau départ, repartons de zéro. Ainsi va la démagogie du néolibéralisme.

Dans ce même texte, il revenait sur la campagne présidentielle de 2007. Propos qui, assurément, s’appliqueraient à celle de 2012 :

Aucun des deux (candidats) n’expliquait ce qui se passait dans le monde, l’influence de ces évènements sur la France ou leurs conséquences prévisibles, et les choix susceptibles d’en découler. Ni l’un ni l’autre n’avait de carte. Et ils n’avaient pas de carte parce qu’ils n’osaient pas parler de l’histoire. Quelques références démagogiques, un ou deux débats sur les dernières statistiques locales, mais aucune lecture de l’histoire, aucune reconnaissance de vies situées dans l’histoire, aucune conscience des histoires que les gens se racontent pour donner un sens à leur combat pour vivre. Et ce, face à un électorat qui était, du moins jusqu’à peu, le plus politisé d’Europe !

***

Enfin, pourquoi aucun des deux principaux candidats n’a-t-il osé parler de l’histoire ? J’ai bien une réponse, lapidaire. Mme Royal parce qu’elle ne sait pas quoi dire à Rosa Luxemburg. M. Sarkozy parce qu’il garde dans sa manche la doctrine du choc économique.

Je sais. Ce texte fait penser à ces antiennes répétées à l’infini selon lesquelles en quelque sorte, ce serait blanc bonnet et bonnet blanc. Et bien non, pourtant, il n’y a pas symétrie. Il est moins grave de devoir baisser la tête devant Rosa Luxemburg que d’être prêt à toute manigance et ignominie pour que perdure un pouvoir mortifère. Il est moins grave, contrairement à ce que laisse entendre J-F. Kahn dans son pamphlet « Menteurs », de mentir par omission, d’avoir le mensonge « honteux » que de mentir effrontément, en vous regardant en face, « mensonge brut de décoffrage » comme dit Kahn, mensonge qui mêle la dénégation à l’insulte.

John Berger a, paraît-il, confié à ses amis qu’il était venu vivre en France il y a plus de quarante ans car il ne pouvait plus supporter le climat politique en Grande-Bretagne, mais que s’il avait su comment les choses allaient évoluer de ce côté-ci de la Manche… il aurait peut-être hésité à deux fois avant de prendre une telle décision. C’est que, voyez-vous, depuis dix ans nous vivons dans un climat particulièrement nauséabond. Surtout les cinq dernières années.

Vivement que les choses changent.

(1)    Honte au « Monde » daté du 30 mars, qui fait la promotion de cette crapule sur 3 pages de son supplément « Livres », avec en gros titre : « Moi, M. M. ».

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3 commentaires pour Printemps littéraire

  1. JEA dit :

    Vous lire renvoie en écho Magda Szabo :
    – « – Quand on n’aura plus rien à faire de soi-même, parce qu’on ne le peut plus, il convient alors d’en finir, quand l’humanité marchera depuis longtemps à l’échelle des étoiles, ceux qui vivront alors seront loin d’imaginer la crèche barbare où, pour une tasse de cacao, nous avons livré nos pitoyables combats, seuls ou avec d’autres, mais même à ce moment là on ne pourra toujours pas corriger le destin de celui qui n’a sa place dans la vie de personne. »
    « La porte », Viviane Hamy. 2003.

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  2. michèle dit :

    Si on devait déménager chaque fois qu’un climat nous déplaît, nous vivrions une valise à la main. La Haute Savoie est un pays magnifique, le climat y est meilleur qu’en Angleterre, quoiqu’il y ait de sacrés jolis coins en Outre-manche et des moutons extraordinaires qui ont mis des chaussettes noires et qui grâce à la pluie ont des laines (à tondre) touffues.

    Terminer sa vie comme Rosa Luxemburg non merci.

    Si je devais, je l’appellerai une petite frappe, ni un salaud ni une crapule ; préfère ne pas le nommer.
    J’aurais envie de dire que cela commence comme ça : mentir effrontément, sans que personne ne s’oppose, sans que personne ne marque sa réprobation, puis escalade tragique. Tous, et moi je me sens, nous sommes responsable(s). Par l’absence d’opposition que nous marquons (lâcheté, faiblesse, paresse, indifférence, crainte des représailles). Ce qui nous attend est pire. Je vois les germes : c’est l’obscurantisme.*
    La différence au niveau du mensonge, c’est que celui qui le fait de manière éhontée ne sait plus qu’il ment, car il ment comme il respire. Un, récemment a même osé faire jurer l’autre (chétif et +) sur la tête de sa mère (alors que la sienne de mère passera avant son épouse (la pauvre)(et qu’il fait trois fois le petit maigrelet).

    * à ce sujet, j’ai gueulé comme un putois mardi soir parce que me suis opposée violemment à l’obscurantisme (mon chef n’était pas content, a cru que je refuserai de lui dire bonjour, alors que je craignais l’inverse) et je tiendrai bon jusqu’au jour où j’arrêterai ; ce jour-là, je m’écroulerai de fatigue. Je serai vidée. Depuis mardi soir, le 27 mars de cette année, je sais que je suis volcanique et que l’Etna à côté de moi… (bref, je vois pas pourquoi j’ai eu peur terriblement de l’Etna l’été dernier, en marchant haut sur son flanc, je tremblais, et priais pour qu’il dorme encore, le temps que je sois là, alors que je sais ce jour que c’est à l’Etna d’avoir peur de moi => j’y retournerai, j’irai au bout où je n’ai pas osé teleement j’ai eu peur de le sentir sous mes pieds).

    Sinon, ben c’est triste que vous ne soyez jamais là. Pas de conversation, pas de questions, donc pas de réponses. Ce matin, je ne pensais pas à vous, non ,mais je lisais un article passionnant sur la poésie de Gérard de Nerval écrit dans la revue Europe par Dagmar Wieser et il y avait ontologique et je me suis dit « putain je comprends toujours rien à ce mot ontologique ». Bordel. Merde, surenchéris-je là maintenant.

    J’aime bien apprendre avec des gens, je déteste apprendre toute seule comme une idiote. Mais vivre toute seule, cela ne me dérange pas. Je m’aime bien :moi et moi-même vivons bien ensemble, paisiblement. Pas possible de vous en vouloir parce que vous êtes libre de vos actes et seul aussi. Comme chacun. Nous, vos lecteurs, sommes bienveillants envers vous.

    Mon bonjour à votre épouse.

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  3. michèle dit :

    (alors que la sienne de mère passera avant son épouse (la pauvre)),(et qu’il fait trois fois le petit maigrelet)
    pardon il manquait un signe de ponctuation

    nota sur le climat ci-dessus : la politique nationale, régionale, départementale, du village, le voisin, le compagnon, la belle-mère, la météorologie, les enfants… s’accommoder fait partie de notre taf quotidien. Partir, oh oui, revenir, bien sûr, sauf le jour du grand départ où là cela devient collectif l’appartenance, puisque dès lors on appartient au mondes des morts. Mais, vivants, on se tanke quelque part et on plante ses racines autrement on ne pousse pas (c’est vrai) ; nomade on erre, on ne pousse pas.

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