Un bien bel article publié aujourd’hui dans « le Monde » par l’historienne Sophie Wahnich, établissant un parallèle saisissant entre la situation pré-révolutionnaire de 1788 et la situation que nous connaissons aujourd’hui. Elle réfléchit entre autres à la signification des nouvelles formes de lutte qui apparaissent ici ou là : cercles de silence, rondes des obstinés, pique-nique populaires et y voit la même tendance qu’à la fin du XVIIIème à tout faire « pour retenir la violence » :
Retenir la violence, c’est là l’exercice même du maintien de l’ordre. Or il n’appartient pas aux seules « forces de l’ordre ». Les révolutionnaires conscients des dangers de la fureur cherchent constamment des procédures d’apaisement. Lorsque les Parisiens, le 17 juillet 1791, réclament le jugement du roi, ils sont venus pétitionner au Champ-de-Mars sans armes et sans bâtons. L’épreuve de force est un pique-nique, un symbole dans l’art de la politique démocratique.
Ces manifestations non-violentes peuvent être réprimées par la violence policière (cf. mon billet précédent). Des comportements absurdes peuvent s’observer, comme dans le cas de cet enseignant empêché de faire cours au Jardin des Plantes ( !). J’ajoute aussi qu’elles peuvent être contre carrées par des manifestations violentes comme on en vit ce week-end à Strasbourg, menées, comme par hasard par « des gens mystérieux »
La situation objective que nous connaissons, et qui se caractérise par le mot d’ordre « nous ne paierons pas votre crise » atteint une grande tension quand les écarts de traitement de la part du pouvoir, entre les riches et les pauvres, sont si importants :
Le pacte de la juste répartition des richesses prélevées par l’Etat semble avoir volé en éclats quand les montants des chèques donnés aux nouveaux bénéficiaires du paquet fiscal ont été connus : les 834 contribuables les plus riches (patrimoine de plus de 15,5 millions d’euros) ont touché chacun un chèque moyen de 368 261 euros du fisc, « soit l’équivalent de trente années de smic ». Une dette de vies.
Et la conclusion :
Certains, même à droite, semblent en avoir une conscience claire quand ils réclament, effectivement, qu’on légifère contre les bonus, les stock-options et les parachutes dorés. Ils ressemblent à un Roederer qui, le 20 juin 1792, rappelle que le bon représentant doit savoir retenir la violence plutôt que l’attiser. Si le gouvernement est un « M. Veto » face à ces lois attendues, s’il poursuit des politiques publiques déstabilisatrices, alors la configuration sera celle d’une demande de justice dans une société divisée, la justice s’appelle alors vengeance publique « qui vise à épurer cette dette d’honneur et de vie. Malheureuse et terrible situation que celle où le caractère d’un peuple naturellement bon et généreux est contraint de se livrer à de pareilles vengeances ».
Ce parallèle historique était nécessaire…Ah! ça ira, ça ira les capitalistes à la lanterne….
J’aimeJ’aime
Preuve que la démocratie est vivante, elle invente ou réinvente des contre-pouvoirs. Mais que le pouvoir élu prenne garde : gagner une élection peut se perdre dans la rue…
J’aimeJ’aime
Oui, un article qui nous sortait des analyses molles habituelles de spécialistes formalisés et formolisés.
La diversification des luttes (dans la rue, les facs, les usines, les entreprises, les supermarchés, sur Internet… et dans les ministères, un jour ?) montre l’exaspération grandissante.
« Exaspération », pour rester poli sur ce blog accueillant.
J’aimeJ’aime
Il faudrait ne rien ajouter à votre chronique car elle est parfaite. Mais il faut aussi jouer le jeu des commentaires ! Retenir la violence ne devient quelquefois plus possible quand, selon que l’on est riche ou pauvre, le pouvoir et la justice vous traitent de manière inégale.
Les grèves, dans leur première phase, sont aussi une fête et les slogans sont inventifs (http://histoireuniversites.blog.lemonde.fr/2009/02/05/greve-du-superieur-6/). Puis, vient le temps de la radicalisation quand les revendications sont toutes refusées. Les moyens d’action se durcissent : on en est là aujourd’hui : les séquestrations (sans violence physique contre les personnes) ; elles ne sont pas nouvelles et je les ai même étudiées au début des années 70 (http://histoireuniversites.blog.lemonde.fr/2009/01/28/greve-du-superieur-3/).
L’histoire du mouvement ouvrier démontre que les violences physiques contre les personnes (lors de la révolution française aussi) constituent l’étape suivante : la mort d’homme, la watrinnade, du nom de l’ingénieur Wautrin, défénestré par des grévistes en colère et mort des suites de sa chute. En arrivera-t-on une nouvelle fois là ?
J’aimeJ’aime