Sciences Humaines ou Sciences Divines?

Un ex-collègue, philosophe, s’enrageait de l’appellation « sciences humaines », prétendant qu’en l’occurrence, l’adjectif « humain » ne peut s’opposer qu’à « divin », or, disait-il, « existe-t-il des sciences divines ? ». Le fait est que toute science est évidemment humaine et que parmi elles, la plus humaine de toutes, à savoir la mathématique (qui n’est que le produit du cerveau humain) n’est justement pas cataloguée parmi lesdites sciences… Bref, le statut des sciences dites « humaines » fait débat en ces temps de réforme de la politique de recherche en France. Antoine Compagnon profitait, le 21 juin, dans « le Monde », de sa notoriété pour jeter un pavé dans la marre :

la France doit-elle continuer de distinguer dans les SHS deux types de personnels, sans grande mobilité entre eux, depuis le recrutement vers l’âge de 30 ans jusqu’au départ à la retraite : les chercheurs statutaires à plein temps et les enseignants-chercheurs, lesquels consacrent en principe la moitié de leurs activités à la recherche ? Rien n’est moins sûr.

Et plus loin, ceci, bien plus dur :

Un seul argument serait déterminant en faveur du maintien des SHS au CNRS : si les recrutements y étaient meilleurs que dans les universités, moins affectés par le clientélisme, plus soucieux de l’excellence scientifique. Or ce n’est pas le cas, comme le dernier concours vient encore de l’illustrer. On nous vante l’évaluation quantitative, la bibliométrie, la traçabilité, les facteurs d’impact, les indices g ou h, mais, en SHS, la direction scientifique du CNRS ne respecte pas les propositions des jurys qui ont étudié les dossiers, auditionné les candidats et voté à bulletin secret. Elle n’hésite pas à déclasser les admissibles sans explication pour placer des proches. Au moment d’une réforme, le CNRS compromet ainsi sa légitimité. La recherche en SHS serait mieux servie par des recrutements conjoints dans les universités et par un jury national accordant des décharges totales ou partielles d’enseignement pour une durée déterminée, par exemple cinq ans, éventuellement renouvelable en fonction d’un projet de recherche individuel ou collectif et de l’évaluation des résultats passés.

Trois semaines plus tard, expliquant ce délai par l’incertitude du sort des dites SHS au sein de l’organisation de la recherche, et estimant que le vent du boulet était passé, la directrice du département SHS du CNRS, Madame Marie-Françoise Courrel, envoie un courrier à ses directeurs de laboratoire, dénonçant (un peu mollement) les déclarations d’Antoine Compagnon. En substance : il n’y a pas de preuve, et les délibérations de ce genre de commission sont supposées être secrètes. Fermez le ban.

Je ne crois pas, comme le font souvent certains pamphlétaires va-t-en guerre, que les recrutements soient en général entachés d’irrégularité. Certes, au sein des commissions, on voit souvent des personnes influentes faire le forcing pour tel ou tel de leurs candidats préférés, mais fort heureusement, dans de nombreux cas, leurs efforts échouent grâce à la vigilance d’autres membres de la commission, il s’agit là, hélas, des péripéties propres à l’organisation de toute communauté humaine. Néanmoins, l’argument d’Antoine Compagnon est valide : la recherche en sciences humaines serait mieux gérée si on liait plus étroitement CNRS et Université et si des passerelles permanentes étaient instituées entre les statuts de chercheur et d’enseignant-chercheur (entre nous soit dit, la différence de production entre un chercheur à temps plein et un enseignant-chercheur n’est pas toujours significative…), car enfin qu’est-ce qu’une recherche qui s’étiole au sein de cabinets obscurs, sans la confrontation avec un public d’étudiants ?

Le statut des SHS pose d’autres questions et le discours des responsables de laboratoire dans ces disciplines est souvent équivoque : ils voudraient en même temps bénéficier des mêmes attentions que celles qui sont données aux sciences exactes (en termes de moyens, de création de postes etc.) et surtout ne pas être jugés à la même aune. J’ai ainsi entendu une directrice de laboratoire s’insurger contre le fait qu’on « évalue » les chercheurs en sciences humaines en fonction du nombre de publications, j’ai aussi entendu certains collègues s’indigner que l’on attende d’eux des publications internationales (en anglais si possible, bien entendu). Au nom de quoi ? serait-ce que les sciences humaines sont finalement d’essence… divine ?

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2 commentaires pour Sciences Humaines ou Sciences Divines?

  1. Alain je vous ai écris un commentaire sur le post : La gauche et l’intelligence – 1
    pourriez vous m’y répondre ,
    merci

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  2. alainlecomte dit :

    voilà, ça y est, c’est fait. J’ai répondu!
    (voir les commentaires de ce post).

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Répondre à Anne-Gaëlle Rico Annuler la réponse.

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