Tour en France – du Pompidou à La Pérouse

Nous nous sommes promenés, l’âme légère, d’Ariège en Tarn et de Tarn en Lozère… c’était en fin de compte une bonne idée, il est si rare que nous nous prenions du temps pour des balades en France… Car oui, tout cela est en France et l’on nous dit souvent que la France est jolie. Elle l’est en effet tant que nous ne voyons pas les interminables zones industrielles qui entourent les villes, les panneaux de publicité et les carcasses qui rouillent au détour des chemins creux. La France est-elle pauvre, ou est-elle riche ? Impossible de savoir quand on ne fait que passer : tantôt c’est l’un, tantôt c’est l’autre. En pleine campagne du Rouergue, des maisons opulentes nous font penser plutôt à l’un, mais dans les centre-ville dévastés de quelques villes moyennes, on sent plutôt l’autre. Des gens trainent leur misère entre un porche d’église et une petite épicerie. Il n’y a même plus de bistrot. Parfois le soir, on cherche vainement un restaurant ouvert. Quelques jeunes en déshérance traînent leur ennui sur des deux-roues pétaradants, comme dans le film « Chien de la casse », qui a pour cadre justement un lieu de cette région : Le Pouget, dans l’Hérault.

Mais la nature, elle, est belle, tant, bien sûr, qu’elle n’est pas ravagée par les incendies. Le long de la corniche des Cévennes, elle ne l’était pas, ouf. Et ce qu’on découvrait d’un point de vue au bord de la route, c’était un horizon à perte de vue qui allait jusqu’au mont Aigoual, et des couches de schistes, de karst et de grès dominant des châteaux émergeant à peine de la végétation. C’était au lieu dit « le Tableau », tout près du village du Pompidou, ainsi nommé suite à un échange de bons procédés entre le Parc des Cévennes et celui de la Baie du Saguenay au Québec (qui, elle, détenait déjà un lieu-dit ainsi nommé, mais il s’agissait d’une falaise abrupte, lisse comme une ardoise). Le vert foncé des chataîgniers dominait, mais on avait au cours des siècles récents ajouté des pins et d’autres espèces qui n’ont rien à voir avec le paysage. C’est comme ça, les paysages et les villes se transforment au gré des désirs des humains, lesquels sont le plus souvent des besoins économiques. Il fut un temps où le bois était très utilisé dans la construction.

La richesse est dans les centres des villes opulentes et glorieuses comme Albi, ce qui ne signifie pas que la misère en soit absente, bien au contraire, puisqu’elle jaillit des trottoirs où s’allongent des corps maigres et chevelus. Mais on se promène dans Albi un peu comme on se promène dans Florence. Si les palais de briques rouges rappellent un peu ceux de la Toscane et si le Tarn ressemble si souvent à l’Arno, au point qu’il est enjambé par un pont qui fut autrefois habité, comme le fut le Ponte-Vecchio, la misère que l’on trouve semble être la même qu’à la Renaissance. De petites gargottes nous appellent en contrebas de la cathédrale pour soi-disant nous inviter à savourer des cassoulets à vingt balles, mais des passeurs avisés clament tout haut qu’à ce prix-là, c’est probablement du cassoulet en boîte.

En visitant le petit musée consacré à monsieur de La Pérouse, je me prends de passion pour la navigation. Les navigateurs de cette époque, qui partaient, à la demande du Roi, sillonner les océans peu connus, partant vers le Cap Horn, remontant les côtes américaines avant de redescendre vers l’Australie (à l’époque Nouvelle Hollande), les Samoas, les côtes asiatiques, puis remontant encore jusqu’au Kamtchatka, juste dans le but d’explorer, de tracer des cartes, de peut-être, une fois ou deux planter son drapeau – c’est bien la moindre des choses quand on s’est embêté des mois et des années, qu’on a risqué sa vie dans les rouleaux de houle, et qu’on a attrapé le scorbut en pleine mer, proches souvent de la mort qui se soldait par l’envoi par le fond d’un corps scellé dans un drap blanc – se contentant quand on rencontre des anglais qui sont déjà parvenus en ces lieux de les saluer, d’organiser peut-être un repas même si le grand Cook se dérobe, hautain et puritain sous son chapeau bicorne, ces navigateurs là donc, étaient encore bien plus téméraires que nos conquérants actuel de l’espace, qui n’ont qu’à se laisser guider par des appareils électroniques et des IA froides et techniques, eux aussi partaient en deux navires jumeaux (comme l’imagine Elisabeth Filhol dans son dernier roman, qui n’a pas eu beaucoup de succès, pour le départ qu’elle peint vers un satellite de Jupiter), comme La Boussole et l’Astrolabe pour La Pérouse. Lesquels vraisemblablement sombrèrent vers 1789 au large d’une île minuscule, ce qui empêcha le comte de remplir son contrat, celui d’être rentré en France en juillet 1789, au grand souci du Roi de France qui, à ce qu’invente l’histoire, aurait demandé sur son échaffaud si l’on avait des nouvelles de monsieur de La Pérouse… eh bien, non. On n’en avait pas. Déception supplémentaire pour une tête qui roula peu après sur le plancher de la guillotine. Si l’on honore autant La Pérouse en cette capitale du Tarn, c’est bien sûr parce qu’il y est né.

Et en visitant le musée Toulouse-Lautrec, dans le colossal palais de la Berbie, je me prends à scruter la ligne du crayon ou du pinceau de l’artiste, à la recherche de l’âme souvent triste des petites prostituées qu’il affectionnait. Il les baisait peut-être même pas, il les peignait, les écoutait et trouvait là sans doute un climat affectif plus riche, plus réconfortant que le climat propre à la noblesse provinciale. Henri de Toulouse-Lautrec était un fin dessinateur. Et cela dès son plus jeune âge, puisqu’on voit de lui dessinée à l’âge de dix-sept ans, une magnifique tête de cheval blanc, avant qu’il ne se livre à des portraits en tous genres, allant de sa mère, la comtesse Adèle de Toulouse-Lautrec prenant son petit-déjeuner, au blanchisseur venant livrer son linge, puis aux grandes actrices de son temps, comme La Goulue ou Jane Avril, et, comme dit plus haut, aux prostituées des maisons closes. Le musée est l’occasion de découvrir une foule d’oeuvres peu connues mais passionnantes de peintres qui furent les contemporains de Lautrec ou qui le suivirent dans le temps jusqu’aux années quarante. On y voit notamment un Matisse éclatant peint à Ciboure en juin 1940, un Bonnard de 1937 (Le golfe de Saint-Tropez au couchant), un Vlaminck de 1920 (La campagne près de Nesles-la-Vallée). On y redécouvre Camoin dans une resplendissante nature morte, Jean Puy pour une écolière qui se nomme Françoise, Othon Friesz, Albert Marquet, Suzanne Valadon, et Paul Sérusier dont on voit rarement des œuvres, ici une nature morte pleine de fruits rouges et jaunes appétissants.

La cathédrale château forteresse coffre-fort, en impose par sa masse : il n’en est pas d’autre de ce style, et en plus nous dit l’audioguide, ce serait la seule à être occidentalo-orientée. Elle est étrange, elle a deux pôles, comme s’il y avait deux cathédrales en une, l’une ayant son choeur enclos à l’est et l’autre le choeur à l’ouest, la première au sein d’un jubé dentelé comme un balcon de Jaisalmer, et entouré d’anges, série de chérubins sculptés dans le plus pur style de la Renaissance italienne. Quant à la seconde, si, d’habitude, on met le Jugement Dernier en façade, dans le tympan dominant le portail, là, on l’a mis dedans, peinture entourant de colossaux piliers, exécutée vers la fin du XVème siècle. Au moins on est sûr qu’il ne s’abimera pas. Ainsi le spectacle des démons de l’enfer restera-t-il présent dans le coeur des fidèles jusqu’à la fin des temps. Et il est, de plus, dominé par l’une des plus grandes orgues qui existent, de Christophe Moucherel datant de 1734, (qui sera rénové, transformé en orgue « romantique » avant de redevenir classique) qui doit donner quand il se déclenche sous des doigts démoniaques un grondement plus bouleversant que ceux donnés par toutes les montagnes qui s’ébranlent (et il en est beaucoup en ce moment!).

Incidemment, j’avais vu un tel ébranlement se produire peu de temps auparavant, dans la très belle aussi cathédrale de Mirepoix, en Ariège, c’était à l’occasion d’un concert de musique sacrée au cours duquel on a joué le bien connu Gloria de Vivaldi, mais aussi et surtout (pour moi qui ne les connaissais pas) des mottets de Félix Mendelssohn, pour orgue et voix de femmes, quelle allégresse, quelle beauté, quelle pureté des tons… allez-y voir ou plutôt écouter… La très jeune femme qui chantait en soliste à côté de cet ogre de sonorité qu’est l’orgue, c’était à pleurer. (le « on » étant l’orchestre du printemps et les choeurs et solistes de l’Académie Castel Artes, Stéphane Bois à l’orgue et Edwin Crossley-Mercer à la direction).

Mais Mirepoix c’était avant, c’était quand je rejoignais un groupe d’amis organisé en séminaire de réflexion critique sur notre société, on devait y parler d’André Gorz et de Robert Kurz, on y parla de crise du capitalisme, d’économie politique des médias et des jeux dangereux qui se jouent aujourd’hui, guerres et massacres en tous genres. Je n’en parlerai pas ici, l’affaire est trop grave. Motif quand même pour une belle balade sous les arbres des sous-bois de Montferrier, petite commune au pied de la montagne de Montségur avec un couple d’amis. Mirepoix est connu comme cité médiévale, elle comporte cette place carrée soigneusement conservée, faite de poutres et d’arcades, et de figurines sculpées dans le bois, malheureusment gâchée comme c’est trop souvent le cas en France, par des vitrines de magasins de fripes, et autres enseignes en plastique annonçant le meilleur glacier de l’endroit. L’Ariège est triste sous la pluie, autant que l’est Lavelanet bourgade étirée en longueur qui n’abrite guère comme distraction qu’un cinéma d’un autre âge. Alors, nous avons laissé l’Ariège derrière nous. Et montant vers Albi, avons trouvé un village magnifique… répondant au nom de Lautrec. Nous y voilà. S’il y a un Toulouse, il faut bien qu’il y ait un Lautrec et, de plus attaché à l’histoire de l’art puisque ce village marque le centre d’une région dont l’une des spécialités est… le pastel ! Le pastel n’est pas tout de suite le petit bâton coloré et crayeux de l’artiste qui lui sert à dessiner des silhouettes et des paysages d’un coloris sensible… il vient d’abord en plante (Isatis Tinctoria), dont on fait aussi bien les crayons que les teintures des tissus. Lautrec est tout bleu car on a d’abord songé semble-t-il à utiliser le pastel pour en extraire des bleus indigos de toutes les nuances. Joli village médiéval avec un vieux moulin de 1684 dominant une colline… avec une boulangerie dorée qui vend des sandwiches légers et des patisseries qui se nomment évidemment Toulouse-Lautrec alors qu’elles ne sont que des Paris-Brest…

lieu-dit « le Tableau » – corniche des Cévennes, près du village Le Pompidou
ruelles de Mirepoix (Ariège)
Cheval blanc « Gazelle » – Henri de Toulouse-Lautrec – 1881

Matisse (Intérieur à Ciboure, juin 40), Marquet (bords de Seine), Sérusier (Pommes et écuelle bleue, 1922)

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2 Responses to Tour en France – du Pompidou à La Pérouse

  1. Avatar de Debra Debra dit :

    Merci pour le beau voyage, qui rejoint un peu ce que vous pouvez encore voir sur le blog de Guy…

    Nous n’étions pas loin de vous, là, cet été, dans de tout petits villages près de Castres pour un festival de théâtre où jouait notre compagnie amateurs jouant pourtant très bien dans des pièces écrites par nos auteurs.

    Pour y arriver, nous sommes passés par Belmont, qui POURRAIT ressembler un peu au « Belmont » de Portia dans « Le Marchand de Venise », tellement c’était un petit bijou inaccessible et insoupçonné même sur l’autoroute. Mais… nous prenons très peu l’autoroute maintenant dans nos nombreux périples en France, car il ne nous achemine pas là où nous voudrions aller….

    Bonne rentrée, Alain

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  2. Avatar de alainlecomte alainlecomte dit :

    Merci. oui, l’autoroute c’est l’enfer et, bien sûr, cela ne nous mène pas où nous voulons aller!

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