Cinq jours à Séoul – I

Partis à midi de Busan, nous atteignons Seoul en TGV vers 15h. Quand je dis « TGV » ce n’est pas une expression métaphorique car c’est bien LE TGV que nous prenons, avec les mêmes wagons, la même motrice, les mêmes sièges, le même écartement entre les sièges, les mêmes cryptogrammes, les mêmes toilettes que celui que nous prenons en France. Le TGV que nous prenons pour aller de Busan à Seoul est exactement le même que celui que nous prenons pour aller de Grenoble à Paris. Rien à voir avec le train à grande vitesse de l’autre côté de la mer, le Shinkansen, qui, lui, diffère en tout, et en tout premier lieu… par le confort ! Coin de France isolé en Asie du Nord-Est, c’est véritablement le seul point commun avec nos habitudes que j’aurai observé de tout notre voyage… J’espérais pouvoir découvrir la campagne coréenne et les villes secondaires, mais nous n’en aurons vu que les furtifs aspects que laisse entrevoir un train à grande vitesse. La Corée est un pays de collines et de moyenne montagne, avec de ci de là un Bouddha géant doré qui se dresse dans la verdure, ou bien une flèche d’église (puisque de nombreux coréens sont chrétiens et même catholiques). Pour connaître les villes, c’est comme si on pouvait connaître quelque chose de Valence ou d’Avignon en parcourant la ligne Paris Marseille, de gare TGV en gare TGV, sauf qu’ici, en pire, on ne voit des villes que les rideaux de barres d’immeubles et de tours hautes de 30 à 40 étages qui les enserrent.

vue sur Seoul depuis le parc Namsan

L’arrivée en gare de Seoul marque le moment d’une grande perplexité. Absence de repères. Difficulté à lire les indications, à trouver le métro. Sur ma confirmation d’hôtel, il est bien dit que c’est le quartier de Hongdae qu’il faut viser, plus précisément peut-être la station Sinchon. Où la trouver dans cette constellation de petites étoiles reliées entre elles par des tas de cercles, d’ovales et de lignes droites, verticales ou horizontales qui partent dans tous les sens ? Une fois saisie, calculer le billet qu’il nous faut. Voir où il nous faudra changer. Ligne 1. Ligne 2. Charrier les gros sacs dans les escaliers roulants, ou pas roulants d’ailleurs. Se caler dans un wagon bondé. A la station Sinchon, quelle sortie ? Prendre au hasard. S’aider du smartphone. Il nous indique un chemin jusqu’à notre « hostel », imprécis car il semble être plus fait pour un automobiliste que pour un piéton. Yonsei-ro. Yonsei est le nom d’une université du quartier. Oui, nous sommes dans le quartier des universités, c’est la raison pour laquelle nous allons dans une auberge de jeunesse. Ehwa university. Hongik university, tout cela est dans la même zone. C’est pourquoi aussi nous nous retrouvons immergés dans un océan de jeunesse. Il y a longtemps que cela ne nous était pas arrivé. Tant de jeunes autour de nous. AUCUNE tête blanche. A croire que les grands-parents ont été éliminés de la civilisation coréenne. Mais en même temps, nous ressentons une grande joie à nous retrouver là.

Notre auberge est une petite maison adossée à un grand immeuble, elle est dirigée par un grand gaillard qui nous accueille, casquette visière en arrière, masque anti-covid ne couvrant que la bouche et le menton. Il s’appelle Richard et nous prend en photo. Il fait la collection des photos de ses clients, qu’il suspend à des ficelles le long de son couloir d’entrée. Il ne faut pas être grand devin pour prévoir que presque toutes sont des photos de jeunes filles. L’hôtel OPPA accueille en effet surtout dames et demoiselles. « Oppa » signifie « grand frère », c’est le rôle que veut tenir notre hôte vis-à-vis d’elles. Sortant mon téléphone sur l’écran duquel me sourit ma petite fille, Richard en tire la conclusion que nous sommes des parents venus voir notre fille étudiante. Nous lui expliquons que non, ce n’est pas ça, nous sommes juste des touristes de passage. Cela a l’air de l’amuser. Beaucoup de jeunes français.es viennent à Seoul pour se former, les masters sont renommés, on peut y faire de l’informatique et toutes sortes de sciences, ou des disciplines artistiques comme nulle part ailleurs, mais il faut beaucoup travailler… et les pauvres, souvent, souffrent beaucoup. Nous allons voir dans les cafétérias du quartier sur plusieurs étages à longueur de nuit et de jours de week-end, se concentrer toute une jeunesse studieuse, ne dispensant aucun bruit, tous penchés sur leurs ordinateurs, essayant de résoudre des problèmes de mathématiques pendant que dehors, il est vrai, s’agitent d’autres jeunes qui, eux, cherchent leur voie dans la K-pop.

Hongdae

Le quartier Hongdae pétille de vie et de jeunesse. Il pétille aussi d’enseignes de restaurants où les menus ne sont pas sous-titrés. Pas de « english menu » sur quoi se rabattre. Ma connaissance naissante de l’alphabet ne me sert pas à grand-chose si je ne sait pas comment se dit « légume », « poisson » ou « viande »… Il y aurait bien l’application papago sur nos smartphones, très utile, mais savoir que tel plat s’intitule « deux fois plus fort que fort » ne nous renseigne guère sur sa substance… Nous sommes donc dans un délicieux brouillard de signes. C’est fantastique et c’est toute la magie du voyage. Nous entrons dans un restaurant parce qu’il offre de belles photos de ses plats, et il s’avère être spécialisé dans la tripe, grillée sur plaque chaude, ailleurs nous entrons dans un autre, il sert des raviolis magnifiques, ou bien au marché de Namdaemun, vite fait sur le pouce, un bimbimbap ou un bulgogi, sorte de ragoût, au Ziozzang Sea Food BBQ des clams et des pétoncles sur grill chauffé au brasero, avec un peu de fromage sur les coquilles saint-jacques, quoi rêver de mieux, à Busan nous eûmes de fines tranches de bœuf à faire griller, toujours sur ces plaques chauffées au gaz, et le soir de mon anniversaire, mais ce n’est pas de jeu : un restaurant italien qui servait des spaghettis aux gambas et un tendre steak découpé en fines tranches accompagné de chou, ce légume omniprésent sur toutes les tables. Passer quelques jours à Séoul, c’est la joie pour nous en ce printemps 2024, la joie et l’insouciance. Nous ne voyons pas la misère, probablement refoulée vers la périphérie de la ville, vers ces grands ensembles qui sont toujours là autour des villes, entre deux tours de quarante étages, vers ces lointains que l’on ne pourrait atteindre qu’après des heures de métro, au-delà du fleuve, au-delà d’un deuxième fleuve. Le dernier jour, nous étions curieux de voir le plus grand magasin de Corée, un Lotte world quelque chose, nous sommes donc restés dans le train, longtemps, et nous avons vu des gens monter et descendre, rentrer chez eux, s’éloigner, des jeunes aller au parc d’attraction, nous sommes descendus là où le guide nous conseillait de descendre, avons fait des centaines de mètres dans le sous-terrain, avons vu des foules se presser aux portes de ce temple de la consommation, puis avons fait demi-tour, nous n’avions pas le courage de les affronter. C’était comme un rappel de la réalité, celle que nous fuyons toujours, quoiqu’on dise, quand on s’en va ailleurs.

L’inquiétude, on ne la sent pas directement, juste un vieil homme qui, dans le musée d’ethnographie s’est rapproché de moi pour entamer une conversation, au départ sur les rites chamaniques, à l’arrivée sur la comparaison avec le Japon, comme je lui disais que les rapports avaient été conflictuels, il m’assurait que les relations avec la Chine et le Japon s’ils ont connu des conflits ont surtout laissé de grandes plages de temps où s’épanouissait la paix, alors, lui disais-je vous êtes en paix en ce moment, et c’est bien, mais son front s’est obscurci, c’est qu’il y a la Corée du Nord, aussi, et là on ne sait ce qui peut advenir. Pourtant me dit-il, malgré la rupture totale de relations, c’est un miracle que la même culture subsiste des deux côtés de la frontière, du moins en est-il convaincu, et cela suffit pour nourrir l’espoir que jamais le Nord n’attaquera le Sud, ils demeurent trop proches. Dans un journal en anglais, je lisais que des sondages avaient attribué plus de points d’impopularité au premier ministre japonais qu’à Kim Jung eun.

Gyeongbokgung

Un matin, nous décidons de nous rendre à pied au célèbre palais de Gyeongbokgung, au Nord de la ville. Théoriquement la distance n’est que de 5kms. Mais visiblement Google map ne connaît que les itinéraires automobiles. Nous voilà partis sur de grandes avenues qui au bout d’un certain temps se transforment en autoroutes, il faudrait passer à pied sous des tunnels… Nous voilà donc coincés. Un chauffeur de bus nous indique l’autre côté de la rue afin de prendre celui qu’il nous faut. Le 272 nous emmène par tunnels et par ponts vers notre destination. Le même jour nous visitons Bukcheon, le quartier traditionnel où s’accumulent des hanoks, les habitations classiques avec leurs toits de tuiles ourlées. A vrai dire, je suis à la recherche des lieux de tournage des films de Hong Sang Soo, on y voit des jeunes étudiant.e.s tourmenté.e.s se chercher, se trouver, se perdre et se retrouver dans des cafés blottis au sein des ruelles de ce quartier, mais dans les films, on a rendu les quartiers presque vides alors qu’en temps ordinaire les foules s’y pressent. Du haut d’une plateforme on domine toute la ville, le long de la crête en surplomb, on rencontre artisans et artistes, cela ressemble un peu à Montmartre.

à suivre

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2 Responses to Cinq jours à Séoul – I

  1. Avatar de Girard A Girard A dit :

    Véritable invitation au voyage: dépaysant, gourmand, déstabilisant aussi , pour un voyageur comme moi qui n’a pas pratiquement jamais mis les pieds hors de l’Europe, et encore celle des 6. Plus je lis tes descriptions plus je me dis que j’aimerai ,aujourd’hui, connaitre ces sensations de dépaysement profond.

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  2. Avatar de Debra Debra dit :

    Merci pour ce dépaysement, Alain, et d’avoir répondu un peu à mes questions précédentes.

    Cela me rappelle les voyages de ma jeunesse, en Europe, pour le coup, et un peu loin dans le temps maintenant. La loterie de ne pas savoir ce qu’on va trouver dans son assiette au restaurant…

    C’est un peu triste que tout est conçu pour les déplacements en voiture, comme quoi, Google Maps, en Corée, en tout cas, est pour les friqués qui ne se déplacent qu’en voiture ? (Mais ce n’est pas très drôle de se déplacer en voiture, et si on a un peu de temps, et qu’on veuille découvrir le terrain de très près, c’est même contreproductif. La voiture est bonne pour les gens.. pressés…. comme des citrons, des « busi-ness people » qui ont besoin de s’affairer pour se sentir en vie.

    Les barres d’immeuble ressemblent pas mal à ce qu’on voit chez nous. La réalité technologique ressemble beaucoup à ce que nous avons chez nous, même les cônes de signalisation sur la route, non ? L’auberge de jeunesse est une institution occidentale, non ? Et puis… que dire de l’omniprésence de l’université, haut temple de l’édifice… capitaliste par excellence (si, si) ?

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