Avant la réussite des pyramides de Gizeh, il y eut des tâtonnements, on n’arrive pas à une telle perfection dans la forme sans s’y être pris à plusieurs fois. Déjà sous la IIIème dynastie, inaugurée par le pharaon Djozer, on avait essayé. Cela s’était traduit par des solutions plus ou moins bancales. L’histoire revêt parfois l’apparence d’une série animée : bricolages, tâtonnements, bouts d’essai. Au début, il y eut Saqqara, pyramide à degrés, c’était déjà pas mal, comparé aux précédents mastabas et autres tumulus. Saqqara fut découverte et étudiée par un égyptologue français, Jean-Philippe Lauer, qui vécut en ce lieu une longue partie de sa vie (on voit des lettres à lui destinées, l’une écrite par son père pour le féliciter de son premier prix à un concours, avec en bas à gauche un mot de son fils qui lui dit : BRAVO PAPA!). On a fait de lui le second Imhotep, ce dernier étant le vrai constructeur, l’architecte attitré du pharaon. Lorsqu’on arrive sur le site, d’ailleurs, on est d’abord accueilli par un petit musée à son nom, gardé par un chat, qui expose objets, reliques et momies (de chat!). Après les degrés on a essayé un peu plus loin, à Dahchour, sous le règne de Snéfrou, le premier de la IVème, la pente directe, mais elle était trop raide : à 54 %, le haut finit par s’écrouler sur le bas, alors on change la pente en milieu de chemin : ça donne une solution bancale, la pyramide rhomboïdale. Alors plus loin, on recommence. 43 % comme pente, ne serait-ce pas assez ? Cela donne enfin la première des vraies pyramides : la rouge. On peut y entrer, je ne l’ai pas fait mais deux de notre groupe (de cinq personnes) l’ont fait, il paraît que c’est une longue descente, aboutissant à une chambre funéraire où règne une odeur fétide et ammoniaquée.






De haut en bas et de gauche à droite: pyramide de Saqqara, palais funéraire du roi Djozer, pierre vieille de 5000 ans, palais funéraire, stèle de la famine, entrée du musée Imhotep
On voit à Saqqara, dans ce qui reste du grand complexe funéraire construit par Djozer, les premières allées de colonnades que l’on ait construites, premières colonnes avec des pierres aujourd’hui lissées par le temps et devenues polies comme du marbre : vous pouvez les toucher, elles ont cinq mille ans, ce sont les plus vieilles. Les colonnes sont encore adossées à des blocs de pierres car on doutait de leur solidité. A Dhachour, la pyramide d’Ounas, attachée au dernier roi de la Vème dynastie, est la première dont la chambre funéraire fut décorée de textes. Une pratique qui va devenir une habitude, dans cette civilisation que d’aucuns ont qualifié de « bavarde ». Là, nous descendons tous l’étroit escalier qui mène jusqu’à la chambre mortuaire. Autres tombes : le mastaba de Kagemni, gendre et vizir du pharaon Teti, plein de hiéroglyphes et de scènes sculptées, comme un impressionnant ensemble de danseurs, relevant la jambe en cadence, et des scènes de pêche et de transport d’animaux, frêle esquif en papyrus, crocodiles, libellules, grenouilles.
Rentrant sur le Caire, nous passons par Memphis, l’une des premières capitales (après Thys et avant Thèbes), site plus modeste mais qui renferme une superbe statue couchée de Ramses II et un Sphynx en albâtre. Nous nous séparons de Sara, notre première guide.




Sphynx d’albâtre de Memphis et reliefs du mastaba de Kagemni
Le soir nous n’avons pas à choisir notre restaurant : ce sera le train de nuit qui nous embarquera jusqu’à Assouan. Dans la nouvelle gare pharaonique exigée par le président Sissi, toute de marbre mais vide d’humanité, nous attendons sur le quai 5 le monstre antédiluvien qui lentement s’amarre. Les parois sont grises de sable incrusté et fissurées, les premiers wagons sont remplis de policiers en armes. Les compartiments sont vétustes, table rouillée, lavabo dont le couvercle ne tient pas relevé, les toilettes paraissent sales mais sont plutôt usées, écaillées, le blanc de l’émail en est parti depuis longtemps. Un aimable stewart nous fait néanmoins l’éloge du train 86. Il fait nos couches superposées dans lesquelles, finalement, nous dormirons jusqu’au matin. Tout va bien.




voyage en train
19 novembre : Au matin, le paysage défile au travers des persiennes, c’est le désert, les palmiers, quelques oasis, des mosquées avec des minarets. Arrivée à Assouan. Un second guide nous attend, il s’appelle Ahmad, est de haute stature et roule des yeux brillants, parle un français dont nous ne comprenons pas tous les mots. Nous emmène d’abord visiter le temple de Philaé. Sur une île du lac créé par le premier barrage datant de 1908, construit par les Britanniques, et que l’on atteint en barque conduite par un jeune nubien vendeur de colifichets. Ile Aguilkia sur laquelle le temple fut déplacé en raison à la fois des dégâts causés par le premier barrage puis du risque d’engloutissement total résultant du second, celui de 1970, ordonné par Gamal Abd El Nasser. Le temple de Philae est consacré à Isis, car depuis les pharaons du VIème siècle que nous avions laissés en route, il s’en est passé des choses dans le ciel d’Egypte : le culte d’Isis et d’Osiris est apparu, ils sont devenus les parents d’Horus qui, jusqu’ici, régnait en maître. Osiris avait pour frère Seth, l’horrible, le jaloux, celui dont on dit que le nom de Satan dérive. Celui qui a tué Osiris, lequel fut ressuscité par sa femme vertueuse Isis, jusqu’à ce qu’il récidive, le tronçonnant cette fois en quatorze morceaux, mais Isis, obstinée, les retrouva presque tous (sauf un, le phallus, tiens comme c’est bizarre) et le treizième justement, dit la légende, était à l’emplacement où l’on a construit Philaé. La treizième revient, c’est encorla première et c’est toujours la seule, ou c’est le seul moment, écrivit Gérard de Nerval. Evidemment, on a un peu trichè depuis puisque Philaé n’est plus Philaé, mais quand même. Quant au pénis, on dit qu’il fut avalé par un silure du Nil. Raison pour que ce poisson ne figure jamais sur une table égyptienne. Dans l’entrée du grand temple, sur la gauche, figure un jeu de sept colonnes palmiformes qui soutient le bâtiment appelé « mammisi » autrement dit la maison des naissances, celle où l’on peut voir se dérouler le mystère de la naissance divine du Roi, du moins depuis la période ptolémaïque de laquelle date Philae. D’ailleurs, sur le grand mur de façade, c’est Ptolémée qui s’adresse à Isis, Osiris et Hathor. A l’intérieur du sanctuaire, bas-reliefs en grès et l’on devine au loin la présence d’une église, raison d’exister de toutes ces croix de Malte que nous percevons depuis l’entrée : des Chrétiens sont venus ici se réfugier, comme nous le verrons dans de nombreux endroits par la suite. L’armée napoléonienne aussi est venue ici en 1798, les soldats y ont laissé des graffittis





Philae
Plus proche de l’époque romaine, le « kiosque » de Trajan, aéré et aérien, offre une figure digne des plus beaux temples romains. Ainsi qu’un temple consacré à Hadrien. On trouve aussi un temple dédié à Hathor qui serait la déesse de l’amour, ainsi donc Philaé serait tout entier dédié à l’amour. Belle idée. Mais si l’on parle de Philae aujourd’hui on pensera plutôt à l’atterrisseur expédié par la sonde Rosetta sur la comète 67P en 2014. Ahmad dit que Christiane Desroches-Noblecourt fut la principale artisane du sauvetage des temples, celle-ci écrit sur son site : Au milieu des eaux du Nil s’élève le plus fameux des sanctuaires d’Isis. Femme, épouse, mère, magicienne, salvatrice, la déesse se trouve au centre du grand mystère de la vie et de la mort qui aboutit à la résurrection. Pour reformer le corps de son époux assassiné, qu’elle entoura de bandelettes, elle confectionna la première momie. Le culte qu’on vouait à cette déesse-mère était associé au retour de la crue fertilisante qui faisait revivre la terre d’Égypte…
Ayant payé notre tribut à Isis, nous pouvons partir, prendre le véhicule qui nous attend pour nous conduire plus loin ecore : à Abou Simbel, le temple consacré à Ramsès II et à son épouse Nefertari. Route droite que notre chauffeur dévale parfois à 160 à l’heure, où l’on ne s’arrête qu’une fois, pour marquer un temps de pause, boire un café. « Coffee shop » animé, de toutes les couleurs, évoquant les maisons nubiennes. Pour les WC ? « Men to the left because women are always right ! », figures d’Anubis et de Bastet (le chat). Arrivée au crépuscule au bord du lac Nasser, hôtel-maison nubienne, chambres vastes. Nous nous couchons tôt afin d’être prêts à partir le lendemain vers 5h.


Coffee Shop en bord de route entre Assouan et Abou-Simbel
20 novembre : Un seul impératif : ne pas rater le lever du soleil. Râ doit venir éclairer le temple juste au moment où nous y arriverons. On ne sait pas, à Abou Simbel, ce que l’on doit le plus admirer : la construction antique à l’époque de Ramses II (XIXème dynastie, vers 1260 avant J.C.) ou son transport pour échapper à l’engloutissement causé par le grand barrage, accompli dans les années soixante de notre ère (inauguration en 1968). Il a fallu tout faire grimper sur la colline, 65 mètres plus haut et pour cela, tout découper en blocs de grès de 20 à 30 tonnes. A l’origine, les temples étaient creusés dans la colline, on ne la transporta pas mais on la simula au moyen de grands arcs d’acier, dissimulés ensuite par les façades. Aujourd’hui, les quatre répliques de Ramsès sont face au ciel et au lac, face donc au soleil quand il se lève. En une minute, la lumière vire du beige au rouge.



Lever de soleil sur le temple d’Abou-Simbel
C’est ici que Ramses a installé son temple afin d’être loin de Thèbes et des prêtres qui prenaient de plus en plus de pouvoir. L’occasion en fut fournie par la commémoration de la bataille de Qadesh contre les Hittites. Mère de toutes les batailles ? Ou bien simplement lutte indécise à l’issue de laquelle les deux souverains convinrent de signer un traiter de paix. Premier traité de paix de l’histoire dit-on. Heureux temps où l’on savait conclure une guerre avant qu’elle ne fît trop de dégâts…. Changement de régime politique aussi : Ramses a voulu que, désormais, le pharaon fût divinisé. Il n’était donc plus sous la dépendance d’un dieu (Horus ou Amon) puisqu’il était lui-même son propre dieu. Son épouse Nefertari dut suivre le même chemin, elle fut identifiée à Hathor, la déesse aux couettes, qui ressemble un peu à Sheila, à moins que ce fût Sheila qui ait voulu, dans les années soixante ressembler à Nefertari. Evidemment, en ce lieu, la foule se presse, même dès six heures, c’est la cohue pour pénétrer dans le sanctuaire du Grand Temple, au sein duquel trônent dans le mutisme le plus total, Amon, Rê, Ptah et Ramses. Sur les parois, magnifiques scènes de la fameuse bataille. Tout autant de monde dans le Petit Temple avec ses six statues en façade. Les gardiens tiennent presque tous à la main des répliques de la clé de vie, autrement dit la clé d’Ankh, celle que porte aussi Ramses pour mieux affirmer sa nature divine, de maître en quelque sorte de toute vie. Après la visite, retour sur Assouan, magasin d’épices où l’on goûte aux curries et au safran, où l’on respire le musc, la menthe et le café nubien. Et à 13 heures, embarquement sur « notre » felouque.






Intérieur des temples d’Abou-Simbel avec la déesse Hathor, Ramsès II et des scènes de la bataille de Qadesh
Magnifique, ça me rappelle de très beaux souvenirs !
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