De la crétinerie et de la vérité au cinéma

J’ai vu deux films en très peu de temps. Le premier, ce dimanche, se nomme « Mammouth ». on y voit Gérard Depardieu, déguisé en Obélix à la recherche de feuilles de paye pour sa retraite. Le film se veut loufoque, cocasse et « poétique ». Avouons que certaines séquences feront date : celle, notamment, où le bon gros géant s’évertue à faire passer un caddie de super-marché entre deux voitures en stationnement, alors que manifestement il n’y a pas la place… ou bien celle de la salle de restaurant où dînent des hommes solitaires qui éclatent en sanglots à l’écoute de la conversation téléphonique de l’un d’eux avec son enfant. Drôle, bien sûr, drôle. En même temps, éloge de la crétinerie, c’est ce qui gêne un peu. Le dénommé Serge Pilardosse part avec sa moto (une « Munch ») sur les routes de Charente : on nous présente ça comme un road movie à la Easy Rider.

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On apprend vite que la moto lui a coûté cher dans la vie : celle dont il était amoureux, jeune, est morte après qu’ils aient culbuté dans le talus, elle, lui et la moto. Son fantôme à elle réapparaît une fois, deux fois… dix fois dans le film, c’est trop. Le visage ensanglanté de la belle Adjani, (oui, rien que ça), est d’un kitsch épouvantable. Tout ça pour avoir sur la même pellicule deux monstres du cinéma français (quand je dis « monstres », je ne veux pas dire nécessairement « sacrés » et je ne veux pas nécessairement être gentil). Drôle au début, le film sombre dans un sentimentalo-rococo d’un mortel ennui. Je sais que des critiques se sont émerveillé des grâces de Depardieu prenant son bain dans une rivière… Admettons. Evidemment il y a un petit côté Groland, Siné (qui d’ailleurs me semble-t-il joue dans le film) etc. mais la branlette de deux vieillards, chacun dans son plume, moi, ça me gave. Et ça me gave grave. Quand cessera-t-on de confondre poésie avec vulgarité + nunucherie. Comme s’il suffisait qu’un colosse se saisisse d’une pâquerette pour qu’on se pâme d’émoi. Ou qu’il se masturbe en regardant les étoiles.

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L’autre film vu, « 8 fois debout » vaut nettement plus la peine. D’aucuns prétendront que c’est parce que je suis plus sensible au charme de Julie Gayet qu’à celui de Depardieu… Il doit y avoir de ça. Mais surtout voilà un film qui, en comparaison du précédent, parle vrai. L’héroïne est une paumée, elle aussi, elle devient même SDF, c’est une « looseuse », mais tellement plus crédible que le gros plein de soupe susnommé, et le cinéaste (Xabi Molia) la respecte, comme il donne le sentiment de respecter les êtres fragiles qui sont dans la situation de cette femme. On pense en regardant ce film à Florence Aubenas et à son quai de Ouistreham, bien entendu. Le réalisateur ne nous épargne pas : il ne cherche pas à nous faire prendre des situations dramatiques pour des bluettes « poétiques-z-et-sentimentales ». La pauvre nana russe qui tombe de son échafaudage alors qu’elle travaille au noir et que son employeur ne voudrait surtout pas avoir d’ennui, ce n’est pas « du cinéma ». Quand le personnage de Julie Gayet s’affronte au propriétaire de son studio, ou à son ex-mari, plein de pitié à deux balles, qui la menace sans arrêt de ne plus voir son gosse, et qu’elle tremble comme une feuille pendant les entretiens d’embauche qu’elle rate tous, on est sincèrement ému. Quand elle manifeste des désirs mortifères à l’égard de son propre fils, à cause de son désespoir, on y croit. Et le réalisateur n’essaie pas de terminer « sur une note d’espoir » (même s’il y a  de la musique), parce que dans la réalité, de l’espoir, il y en a peu à avoir.

Bref, ce qu’on demande aux cinéastes ce n’est pas forcément qu’ils soient géniaux (tout le monde n’est pas Godard), mais au moins, au moins, qu’ils nous donnent des personnages et des situations VRAIS. La « poésie » viendra après. N’oublions pas que, comme le disait Eluard, « la poésie doit (d’abord) avoir pour but la vérité pratique ». Et les niaiseries à la Depardieu peuvent repasser…

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9 commentaires pour De la crétinerie et de la vérité au cinéma

  1. carole dit :

    d’accord d’accord tout à fait d’accord ! je ne sais pas comment définir cette vérité là, cette vérité de cinéma qui fait qu’en voyant un film on rencontre vraiment la vie : c’est un mystère, mais on la sent tout de suite. j’essaierai de voir ce film. Merci.

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  2. Vu la bande-annonce du film avec Depardieu et sa présence un soir sur plateau de télé, où il avait l’air de se foutre totalement des questions posées par le présentateur propret de France 2.

    Depardieu est tombé bien bas (je ne courrai pas voir ce film, même pour la moto) : quand je pense que Dennis Hopper a déjà eu droit à son éloge funèbre dans « Libé », il y a quelques jours, et que je repense à « Easy Rider », ce film éblouissant, il n’y a pas photo, ni panoramique.

    Depardieu est devenu une outre de suffisance et d’insuffisance. Puisqu’il est question, semble-t-il, de retraite dans ce film, il serait temps qu’il la prenne et nous lâche enfin les baskets et les lunettes !

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  3. En tout cas, merci. Ni temps perdu, ni argent gaspillé. On n’ira pas voir les monstres sacrés.

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  4. William dit :

    Je suis allé voir Huit Fois Debout 3 fois (dont une durant le festival 1er Plan à Angers) et à chaque fois je respire cet air frais d’un « bon film » poètique et touchant. Certes ce n’est pas de la masturbation intelletuel tel un Godard, mais au moins le respect des gens et de la vérité est rechercher, tout simplement, bref une très bonne surprise que je recommande !

    J’avoue ne pas être allé voir Mammouth mais en même temps cela m’a l’air de tomber bien bas par niveau. L’humour Groland était bien à une époque, maintenant c’est limite devenu commercial, et pourtant les fans ne s’en rendent pas compte. J’irai surement le voir en DVD par curiosité, mais Depardieu m’irrite aussi, il est tombé bien bas en se donnant un genre.

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  5. Chr. Borhen dit :

    Bonjour Alain.

    Je vous rejoins tout à fait dans les grandes lignes de ce que vous voulez bien signifier, même si je n’ai vu ni l’autre des films évoqués.
    Au fond, ce qui m’est détestable dans le cinéma c’est quand les cinéastes et les acteurs font du cinéma, quand ils ne sont pas dans le vrai.

    Cordialement.

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  6. jmph dit :

    Eh bien, moi, j’ai bien aimé « Mammuth » ! Cela n’a rien de génial, mais parler de la retraite de façon décalée, cela fait du bien.
    Et quant aux monstres, sacrés ou non, pour une fois, ils s’assument totalement en tant que tels.

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  7. Chr. Borhen dit :

    « ni l’un ni l’autre » (Pardon.)

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  8. michèle dit :

    >Alain L. ben moi, je n’ai vu ni l’un ni l’autre. Me reste bcp + de tendresse que vous, ceci pour les deux. Depardieu, à mon sens, depuis qu’il a perdu son fils a perdu bcp. Je dirai même, tout. Adjani, elle, je lui conserve de manière indéfectible ma violente admiration lorsqu’elle avait 17 ans, était sociétaire de la Comédie française et jouait Ondine. Ma mémoire d’elle est intacte.
    Ils vieillissent, ils souffrent, as everyone.
    La « petite » Julie Gayet à côté, je ne juge pas. Mais les nanas qui élèvent seules leurs mômes sans l’avoir choisi, je sature.
    Mon dernier film fut Robin des bois qui a fait l’ouverture du festival de Cannes. Nous avons aimé : 50 ont applaudi. L’évènement était la projection dans une ancienne salle de films X reconvertie en salle classée art et essai : cela me donne raison car j’ai toujours une confiance indéfectible en l’avenir : les gosses étaient dans une salle de 350 places pour eux tous seuls, un matin.
    Moi, j’ai aimé le furieux romantisme retenu de Robin qui dit à Marianne « plus gentiment ». Il lui redit. Et encore. Elle peine à comprendre. Son chevalier était mort à la guerre avant qu’elle n’ait eu le temps de s’y faire. Quand il lui parle ( et peu) c’est que comme ça ; il réclame de la gentillesse. Elle est rude. Et donc le rudoie.
    Et en sortant, j’me suis dit in petto, que la guerre ça allait bien aux mecs mais que finalement, pour moi, c’est bien plus chouette quand ils la font au cinoche que IRL.
    C’était une épopée, avec grands tralalas. Mon truc, quoi.

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  9. Alain L dit :

    Promis, j’irai voir Robin des Bois. Le romantisme n’est pas pour me déplaire.

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