Utopies d’aujourd’hui

Tant de nuages sombres s’accumulent dans notre vision de l’avenir, autant sur les perspectives climatiques que sur les prévisions économiques, si l’on en croit notamment les avis les plus autorisés, comme ceux d’Albert Jacquard, de Jean-Pierre Dupuy, ou d’Edgar Morin ou d’autres encore (comme Claude Lorius, le savant glaciologue récemment décoré d’une médaille – Blue Planet – qui disait récemment – Le Monde, 12 novembre – « Avant, j’étais alarmé, mais j’étais optimiste, actif, positiviste. Je pensais que les économistes, les politiques, les citoyens pouvaient changer les choses. J’étais confiant dans notre capacité à trouver une solution. Aujourd’hui, je ne le suis plus… sauf à espérer un sursaut inattendu de l’homme »), qu’il nous faut plus que jamais, si nous avons ne serait-ce qu’un soupçon de goût pour la vie, nous tourner vers les Utopies. Car ce n’est guère que d’elles que pourrait provenir le salut. C’est bien comme cela que l’entendait Edgar Morin lors de la séance de clôture des débats de « Libération » tenus en septembre à Grenoble, au cours de laquelle, souhaitant éviter le mot selon lui trop usé de « révolution », il en appelait à une « métamorphose » de l’Homme et de la Société.

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Utopie doit son nom à Thomas More, homme politique (ministre de Henri VIII) et essayiste du XVIème siècle. Littéralement : nulle part. Autrement dit, dès le début, c’est mal parti. Pourtant, à fureter de ci de là, on rencontre des lieux de l’utopie. Lieux de nulle part. Libertalia, Auroville, Uzupis… on en trouvera une liste sur ce blog , établie par quelqu’un qui est parti à leur recherche. Mais s’agit-il de ce que nous souhaitons vraiment ? ou bien de sociétés fermées cherchant à vivre à l’abri de la rumeur du monde ?

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vue aérienne d’Auroville (Inde, état de Pondichéry)

Utopie telle que nous l’entendons, elle est pour tous, ou bien pour personne.

Si elle s’impose, c’est pour éviter une catastrophe, pas pour suivre une Loi.

alice.1226610276.gifEn feuilletant des livres, récemment, dans une librairie de ma ville, je tombe sur un titre : « mais alors, dit Alice, si le monde n’a aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? » surmonté, en guise de nom d’auteur, par « Manifeste Utopia ». Avant-propos d’André Gorz. Utopia, je connaissais par son réseau de salles de cinéma dans quelques villes (dont Bordeaux). Là, je m’aperçois que c’est un vrai mouvement et d’ailleurs…, « ils » sont les auteurs d’une motion au sein du PS ( !)(et présents aussi paraît-il au sein des Verts). Qui a dû avoir dans les 2%. Pas si mal après tout. On ne s’attend pas à ce que des idées se présentant comme « utopiques » fassent un score bien supérieur. Car le propre de l’utopie, c’est cela : au début n’exister comme idée que dans la tête d’un nombre minuscule de gens, pour un beau jour éclore comme une évidence. La fin de l’esclavage, l’égalité des groupes ethniques, la fin des apartheids, la reconnaissance du droit au choix de l’orientation sexuelle, la parité hommes-femmes, toutes idées presque universellement reconnues, même si elles sont loin d’être partout ou intégralement réalisées, ont commencé comme des utopies, c’est-à-dire partagées par bien peu.

Utopia part donc en guerre contre trois dogmes : « la croissance, comme solution à nos maux économiques, la consommation comme seul critère d’épanouissement individuel, la valeur travail comme seule organisation de la vie sociale ». Ce que j’apprécie d’emblée, c’est la volonté affichée de sortir des schémas économistes. Car ces schémas nous enferment. On continue à faire comme si « la propriété collective des moyens de production » allait changer quelque chose à la condition des travailleurs. Comme si le travail (salarié), donc, était la panacée, « comme si, dit le texte d’Utopia, ce qui fonde notre pacte social et notre « vivre-ensemble » devait se réduire à une activité productive rémunérée ». [La gauche qui se réclame de cette conception] « revendique un héritage où le sens de l’histoire de l’homme serait d’humaniser le naturel, de le modeler, de repousser l’animalité du monde.»utopia-1.1226609545.gif

« L’animalité du monde »… comme ils y vont ! Je comprends que, hélas, cette motion n’ait pas « percuté » le cerveau des éléphants du PS !

Voilà qui rejoint le bel article de Michel Onfray, dans Siné-Hebdo de cette semaine (eh oui, depuis que j’ai fait mon coming out , je le cite régulièrement !), celui où il dit :

« Un test permet de départager droite et gauche : la droite aime le travail et, selon ses slogans (« le travail rend libre » à Auschwitz, version hard allemande, « travail, famille, patrie, version hard française, « travailler plus pour gagner plus », version allégée de la précédente), considère que le travail est une vertu.Pour sa part, et dès le XIXème siècle, la gauche milite pour une réduction du temps de travail […]. Dès lors, quand on entend parler de retraite à 70 ans sous prétexte (argument de crétin, vraiment) que nous vivons plus longtemps, il faut entendre dans la bouche de ces gens-là : « puisque le vieillissement de la population se confirme, que la punition qu’est le travail soit encore augmentée ! ».

(Vive les pilotes d’Air France, les premiers à se mettre en grève contre la retraite à 70 ans !)

Evidemment, Utopia est pour une réduction massive du temps de travail. (à suivre…)

PS: « le Monde » du 13 novembre annonce une bonne nouvelle: selon le Forum économique mondial, les disparités entre hommes et femmes s’atténuent (une « utopie » se réaliserait-elle donc?). On sait que cela signifie une convergence des modèles de société, à l’encontre de la trop fameuse thèse du « choc des civilisations », et on ne peut que s’en réjouir (cf. le livre de Courbage et Todd). Et « notre-beau-pays » dans tout ça? Quinzième au classement général seulement (derrière la Suisse et le Sri Lanka) et en matière d’équité salariale…. 116ème!!! Bravo, la France!

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6 commentaires pour Utopies d’aujourd’hui

  1. chroniqueba dit :

    Utopie, le seul soucis de ce beau mot, c’est qu’il a été bien trop souvent utilisé par les tenants des utopies pour justifier les pires inhumanités. Quand une utopie arrive au pouvoir, les hommes se mettent à son service et en oublient pourquoi elle est née : rendre le monde meilleur et plus juste.
    Le communisme soviétique, les massacres de prêtres au moment de la guerre d’Espagne, la terrible pression de l’extrême gauche chilienne contre le gouvernement d’Allende, le sentier lumineux etc.
    Le pire c’est qu’ensuite cela justifie les Francos, Les Pinochets, Les Fujimoros et tous les autres bourreaux de leur peuple en faveur de minorité.
    Dans l’idée je suis totalement utopiste tendance anarchiste. Dans la pratique je suis térrorisé de voir l’une d’elle arriver au pouvoir, avec ses dogmes et son « clergés ».

    Dans les mouchoirs d’utopie qui sont nées et ont fonctionné un temps, il y a les missions jésuites près d’Iguazu. Les restes sont faibles aujourd’hui, mais le Guarani est la seule langue « indigène » qui se soit imposée comme langue nationale et ce au Paraguay.

    Sinon de ce que j’en sais je suis tout à fait d’accord avec le manifeste Utopia, l’économie doit retrouver sa place dans la société à côté du marteau, celle d’outil. Pour le travail, je ne sais s’il faut le réglementer, mais il faut réduire l’exploitation. Que chacun puisse travailler dans ce qu’il aime et le travail n’existera plus (si c’est po utopiste ça!).

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  2. Alain L. dit :

    oui, Dul, c’est vrai que l’utopie peut être monstrueuse, d’ailleurs celle de More n’était-elle pas justement monstrueuse? comme s’il voulait d’emblée nous dissuader de croire en elle. Si elle s’impose de l’extérieur elle est monstrueuse (rien de pire que ceux qui veulent faire le bonheur d’autrui!), mais si une aspiration pour elle émergeait de la tête d’un nombre de plus en plus grand d’humains? C’est ce qu’il faut souhaiter à mon avis si on veut éviter de sombrer toujours plus bas. L’Utopie comme Idée régulatrice.

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  3. celeste dit :

    En parlant, très justement car il a été un penseur majeur de ces dernières années, d’André Gorz, connaissez-vous Jean Zin
    http://jeanzin.fr/

    C’est très intéressant.

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  4. Alain L. dit :

    non, je ne connaisssais pas jean Zin. Je suis allé voir l’adresse recommandée et j’ai trouvé un corpus de réflexion en effet assez extraordinaire. Merci donc de cette référence!

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  5. Fanette dit :

    Débattre de cela est très intéressant, mais le mot Utopie, lorsqu’il s’agit d’une vue de l’esprit, est formidable, permet la réflexion, libérée de certaines entraves ; mais comme Chroniques de Buenos Aires le rappelle, les utopies ont débouchés sont des horreurs. Il est terrible que les rêves se heurtent aussi violemment à la réalité… s’avèrent impuissants à la transformer… Merci pour les liens.

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  6. chroniqueba dit :

    je ne sais pas si ce sont les rêves qui se heurtent à la réalité ou que ceux qui croient en une utopie quand ils s’approchent du pouvoir deviennent trop fanatiques, intégristes et ne voient plus que la théorie qu’il faut mettre en pratique à n’importe quelle prix, même si la réalité montre que c’est impossible. Là dessus s’ajoute comme toujours la corruption du pouvoir.

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