L’être, le néant, le quantique et le sensible – 2

Retournons alors à l’exploration du sensible. La phénoménologie a beaucoup fait pour cela, mais Jocelyn Benoist la critique car elle a d’abord restreint l’univers du sensible à la perception, et ensuite, elle a principalement vu la perception comme outil de connaissance, comme s’il fallait justifier de l’étudier au moyen d’un argument relevant de l’épistémologie : qu’est-ce que je vois quand je dis que je vois un objet ? Alors que ce qu’il y a sous la perception n’a pas forcément besoin d’avoir un sens. Nous percevons, nous touchons, nous sentons. Point. Les philosophes de la perception, notamment Husserl, ont surtout cherché le moyen d’intégrer la perception dans l’espace des raisons : cela est vrai parce que je le vois bien. La perception est vue alors comme connaissance, et elle l’est parce qu’elle est présumée « donner accès aux objets ». Mais les objets doivent-ils avoir « un accès » ? Ne sommes-nous pas déjà dans les objets ?

Jocelyn Benoist – photo Radio-France – 2016

Tout se passe, dans cette conception, comme si nous étions un organisme extérieur au monde, doté de tentacules, de capteurs ou de canaux particuliers de transmission qui avance à tâtons pour parvenir à prendre connaissance d’objets dans son environnement. Une telle description peut correspondre à celle d’un robot envoyé sur la Lune ou sur Mars mais elle ne correspond pas à nous, êtres humains (et plus généralement êtres vivants, car Grummi le chat est, sur ces dimensions, semblable à nous : il ne traite pas l’information à la manière d’un robot, il ne « calcule » pas le saut qu’il doit accomplir pour atteindre le lézard ou le papillon qui passe).

Il y a assez longtemps que des spécialistes de la cognition (pensons à Francesco Varéla, trop tôt disparu) ont mis en évidence ce caractère de notre perception : la masse des impulsions ne se déplace pas de l’extérieur vers l’intérieur mais va au contraire dans l’autre sens, des zones de la perception localisées dans le cerveau vers la rétine. Que savons-nous à proprement parler de l’extérieur ? Notre cerveau a emmagasiné les représentations d’objets et de situations auxquels il s’attend et les projette sur ce qui est destiné à être perçu comme « notre monde », il ne réagit dans l’autre sens que lorsque quelque chose de nouveau, d’imprévu, dérange le processus en cours.

Cette prévision de ce que nous allons finalement voir n’est pas un « raisonnement », ce qui irait dans le sens d’une préséance de la pensée par rapport à la vision, c’est juste un processus inconscient. Les sensations ressenties viennent à l’esprit non pas en raison d’une action de choses que nous ne connaitrions jamais pleinement mais qui agiraient sur nos sens, mais juste comme manifestations internes d’interactions entre éléments du monde (au même sens que celui que nous employions concernant le phénomène d’intrication quantique), et comme le disait Bertrand Russell dans The Analysis of Mind, en 1921 : « Le matériau brut dont est fait le monde n’est pas de deux sortes, la matière et l’esprit ; il est simplement arrangé en différentes structures par ses interrelations : nous appelons certaines structures mentales, d’autres physiques ». Carlo Rovelli, dans son magnifique livre Helgoland, conclut : « L’hypothèse d’une réalité matérielle derrière les phénomènes disparaît, tout comme l’hypothèse d’un esprit qui connaît ».

Certains auteurs objectent que de telles vues relèveraient du sollipcisme1 car pour eux, les sensations n’existent qu’en première personne et que ramener la totalité du réel à une somme de sensations (ou « d’apparences », le mot étant conçu comme renvoyant à une subjectivité unique) serait faire comme si tout était dans un seul sujet, le sujet qui les expérimente. Carlo Rovelli cite ici Lénine s’en prenant à Bogdanov, et indirectement à Mach, dans Matérialisme et empiriocriticisme2. Le leader marxiste voulant se débarrasser de l’importun Bogdanov l’accusait de tous les maux de la Terre (le pire étant « idéaliste petit-bourgeois ») parce que ce dernier défendait thèses semblables (déjà!). Mais le barbichu se trompait complètement (et ce n’est pas le seul domaine où il se trompait), c’était lui l’idéaliste, puisqu’il défendait une vision de la nature comme assemblage fixe de particules de matière solide stable de toute éternité, et en avait, autrement dit, une conception totalement anhistorique. Ramener le réel aux apparences, ou aux sensations, ne consiste pas à s’enfermer dans un sujet, car la notion même de sujet se trouve balayée par cette perspective. Apparences et sensations (perceptions) sont des événements qui se produisent lors d’interactions. Et la notion de sujet n’est qu’une conséquence dérivée de telles interactions.

Lénine joue aux échecs avec Bogdanov, sous le regard de Gorki, à Capri en avril 1908.

Ainsi, les robots assemblés par les humains et qui sont censés voir, analyser et comprendre le monde extérieur au moyen de capteurs, de caméras et d’algorithmes informatiques ne sont pas plus « sensibles » que ChatGPT n’est « intelligent » du point de vue de son supposé accès au langage. La performance ici n’est pas le critère adéquat. L’IA générative n’est pas intelligente, puisqu’elle traite le langage comme d’un corpus extérieur à elle dont elle extrairait des phrases, des textes, par le moyen de calculs statistiques qui n’expriment en aucune manière une « compréhension » quelconque, alors que l’humain, lui, immergé qu’il est dans le langage, n’a pas non plus, à vrai dire, de « compréhension » puisqu’il est tout entier compréhension, « compréhension » signifiant chez lui qu’il coïncide avec le langage. Il n’a pas de compréhension parce qu’il est immédiatement compréhension (sauf là aussi quand des paroles arrivent jusqu’à lui qui le surprennent, qu’il doit analyser au moyen de procédures particulières pour tenter de les faire signifier). De même, le robot n’est pas sensible parce qu’il n’a pas de monde sensible en face de lui, mais un contingent de données statistiques exploitables, il imitera le chat qui saute pour atteindre sa proie mais là où celui-ci manifeste son appartenance au monde (comme élément d’une structure globale qui fait intervenir un prédateur et une proie3), le robot calcule une fonction et montre son indifférence au monde.

Autre point : revenant aux objections faites à Sartre sur ses comportements peu éthiques, nous touchons encore au monde des interactions mais à la puissance 2 (ou 10…), ce sont cette fois les interactions au sein de la société qui sont mises en jeu, avec l’idée fondamentale que les théories, les philosophies, les constructions intellectuelles de toutes sortes proviennent elles-mêmes des nœuds d’un réseau compliqué, sorte de sous-réseau de l’univers : celui des interactions sociales, où l’on rencontre nécessairement les propriétés du réseau particulier que forme le capitalisme / patriarcat. Même Sartre ne peut pas s’en libérer, tout révolutionnaire qu’il soit puisque ce réseau là est celui qui domine la production, aussi bien celle des marchandises que celle des pensées, des idées etc. La production théorique part de l’intérieur du réseau en tentant d’inverser les rapports intérieur / extérieur, puisque toute théorie vise à dominer à son tour la réalité afin de la soumettre, de « l’expliquer » dira-t-on,, mais nul ne sait si elle y parvient et de toutes façons nous nous trouverons toujours face à des situations paradoxales : la théorie qui dit que toute théorie est sous la domination de la formation sociale où elle prend ses racines est elle-même une théorie. Cf Kurz, la substance du Capital.

Mais dira-t-on, si tout le réel se résoud en la suite de ses apparences, et si les apparences forment l’étoffe du sensible alors on comprend mal, finalement, que le sensible apparaisse si lointain à maints de nos contemporains et qu’il soit même à ce point dédaigné que lorsqu’on en parle, on en vienne presque à être taxé de sensiblerie, voire d’esprit éthéré n’ayant pas de contact direct avec le réel. C’est ce qui m’est arrivé parfois dans des discussions « politiques ». C’est là probablement l’effet d’une sorte d’impérialisme de la raison classique qui refuse d’examiner les conditions mêmes qui rendent son discours possible. Un peu comme ce qui se passe à propos de la notion de travail à l’ère du capitalisme qui ne reconnaît que le travail-valeur, celui qui s’échange comme une marchandise, et nie la réalité des tâches communes et sociales qui lui assurent sa possibilité d’être (lire ici le livre de Roswitha Scholz, Le sexe du capitalisme). Une sortie du capitalisme, un humanisme véritable supposeraient que nous nous débarrassions définitivement du travail/valeur comme du rationalisme classique afin d’embrasser la vraie substance de nos vies et rendions justice à la notion de travail impliquée par la satisfaction de nos vrais besoins.

1Troublé par de telles objections, le physicien Hervé Zwirn, précurseur de l’interprétation relationnelle de la physique quantique, lui avait donné le nom de « sollipcisme convivial » !

2Le pensum que nous nous sentions obligés de lire quand nous étions marxistes, et même « marxistes-léninistes » !

3Ce genre de structure finement analysée mathématiquement par la Théorie des Catastrophes de René Thom.

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5 Responses to L’être, le néant, le quantique et le sensible – 2

  1. Avatar de Wonja Ebobissé Wonja Ebobissé dit :

    Bonjour,

    Merci pour ce billet intéressant ! Quelques points :

    (1) Je trouve toujours étrange ces débats qui déclarent que rétrospectivement, un tel philosophe était plus proche de la vérité qu’un autre. Car en réalité, les coordonnées épistémologiques de la physique quantique et de la phénoménologie (première génération) me semblent totalement hétérogènes. Quand bien même on accorderait aux phénoménologues cette vérité (putative) que l’être se réduit à la série de ses apparitions, ce n’est certainement pas basés sur des savoirs scientifiques qu’ils le disaient.

    (2)  » L’hypothèse d’une réalité matérielle derrière les phénomènes disparaît, tout comme l’hypothèse d’un esprit qui connaît « . La phrase est assez jolie, mais elle me semble bien illustrer le travers de certains scientifiques lorsqu’ils se font philosophes. Il semble bien là qu’on nage dans une absence de précision totale concernant le niveau de réalité ici décrit. La seule manière de donner sens à cette phrase à mes yeux est d’assumer le réductionnisme le plus extrême, c’est-à-dire décréter que la réalité se réduit à (ce qu’une interprétation dit de) la physique quantique. Il serait assez curieux d’aller voir un psychologue spécialiste d’épistémologie génétique et d’affirmer que « l’esprit / la conscience qui connait » est une illusion. À la bonne heure ! À ce compte-là, pas besoin de physique quantique : on peut se la jouer spinoziste et décréter qu’à bien y regarder, il n’y a qu’une substance unique dont nous participons tous.

    Le physicien G. Cohen-Tannoudji me semble plus convainquant et cohérent lorsqu’il explique que notre concept de matière (ou la « matérialité ») s’enrichit mais que la matière elle-même ne disparaît pas… Ce qui n’aurait guère de sens. Evidemment, il définit la matière non pas comme une chose tangible (ce qui serait une sous-catégorie), mais comme ce dont l’existence est constatée par un critère perceptif (incluant les outils technique comme rallongement de la perception). À ce titre, il range les objets quantiques dépourvus de masse dans la matière. C’est un positionnement matérialiste qui me paraît beaucoup plus conséquent et non arbitraire, car (mais je peux me tromper) la différence entre le boson de Higgs et Dieu, c’est que le premier peut être perçu et étudier objectivement, pas le second.

    (3) Pour Lénine, de mémoire, sa critique principale est de dire que Mach et Bogdanov font de la connaissance un mystère, puisqu’ils considèrent le sujet et l’objet comme deux domaines étanches. Je suis assez surpris par l’interprétation que vous en avez, car je n’ai pas souvenir que Lénine ait la conception d’une matière inerte ou sans mouvement – c’est même le contraire en bon « dialecticien » post-hégélien.
    Les coordonnées philosophiques que Lénine joue est l’opposition entre la philosophie de Diderot et celle de Berkeley, donc l’opposition entre matérialisme et empirisme. Je ne pense pas que ce soit très fidèle, mais il ne m’a guère semblé que l’épistémologie de Mach était réellement plus convaincante.

    (4)  » Ramener le réel aux apparences, ou aux sensations, ne consiste pas à s’enfermer dans un sujet, car la notion même de sujet se trouve balayée par cette perspective. Apparences et sensations (perceptions) sont des événements qui se produisent lors d’interactions. »

    Je n’ai aucun souvenir de Lénine refusant cela. Le problème est toujours le même : la dualité sujet-objet n’est pas ontologique mais épistémologique. Je ne comprends pas bien ceux qui prétendent se passer de la distinction entre un pôle qui connaît (le sujet) et un autre qui est connu (l’objet). Certaines interprétations quantiques croient que (en se revendiquant de la phénoménologie et en critiquant Descartes) parce que le sujet est un dérivé, que l’apparence ne se donne que dans l’interaction temporaire et située, alors la dualité serait dépassée (et remplacée par on ne sait quoi). Ce qui ne me semble n’avoir rigoureusement aucun sens du point de vue scientifique : on n’a pas attendu la physique quantique pour savoir que le sujet humain était un produit dérivé et toujours en évolution de la nature, mais que cela ne l’empêchait pas de l’analyser et de la comprendre.

    J’en profite pour vous signaler (si vous êtes passé à côté de l’information) le petit livre du grand logicien Krivine, Les décompilateurs. Il soutient une thèse assez osée et pile dans le débat épistémologique sur le rapport de la conscience animale et humaine au monde qui l’entoure.

    Bien à vous,

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    • Avatar de alainlecomte alainlecomte dit :

      Merci pour vos commentaires et objections, je vais tenter d’y répondre, avec mes modestes compétences (comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas une formation universitaire de philosophe). Je souscris au fait que les affirmations d’un philosophe, par exemple un phénoménologue, ne se situent pas sur le même terrain que celle d’un scientifique, on peut alors parler d’hétérogénéité, et pourtant comment faire autrement que s’étonner que parfois, surtout avec l’apparition de nouvelles réflexions scientifiques (ici Rovelli), les énoncés tombent en superposition les uns avec les autres ? Un philosophe me reprochera peut-être d’identifier sans preuve des notions comme celles de sensations ou d’apparences, de toutes les subsumer sous le concept d’interaction. Il est vrai que chaque fois, le mot choisi renvoie à un courant différent, les sensations, c’est de Mach qu’il s’agit, les apparences de Benoist, les interactions de la physique quantique, en apparence sans doute ces courants sont distincts, ne parlent pas entre eux, et pourtant, le lecteur que je suis se permet d’oser des rapprochements. Je ne sais pas si j’ai tort ou raison. Ce qu’ils ont de commun c’est de permettre de s’éloigner d’une doxa trop facile qui, on le sait, mène à des apories. Avec la physique quantique, c’est manifeste : les interprétations données jusqu’ici ont toujours été boiteuses (par exemple, la croyance aux univers parallèles…), l’interprétation relationnelle l’est beaucoup moins même si elle nous emmène vers une pensée où nous ne devrions plus croire en un réel en soi, nous ne serions que confrontés à des événements et nous ne prendrions part qu’à une infime partie d’entre eux (ceux qui notamment sont perçus comme mentaux).

      L’attitude spinoziste me convient assez, je dois dire (!)

      La division matière / esprit m’a toujours paru suspecte, je me sens moniste. Difficile de ranger les éléments qui appartiennent au monde tantôt du côté matière, tantôt du côté esprit, et toujours la même question : comment se fait la jointure ? Dire que la matière est « ce dont l’existence est constatée par un critère perceptif (incluant les outils technique comme rallongement de la perception) » ne résoud pas tellement le problème, l’existence de ma moindre impression, voire d’une hallucination, peut être constatée par un critère perceptif dès qu’on admet qu’on inclut les outils techniques comme tous ceux qui servent à l’exploration du cerveau.

      Pour Lénine, j’ai peut-être simplifié, j’ai fait confiance à Rovelli, il faudrait que je retourne y voir !

      Je suis d’accord que l’opposition sujet – objet est surtout épistémologique : c’est une construction qui nous permet de rendre compte de ce que nous appelons « connaitre », parce que notre conception du connaître s’appuie sur celle d’une relation entre un connaissant et un connu, là c’est un peu comme si notre langage lui-même nous guidait dans nos conceptions philosophiques. Alors que le phénomène de la connaissance peut se ramener, toujours comme en physique quantique (!), à une interaction entre deux systèmes dont l’un est baptisé l’observateur et l’autre l’observé (mais cela est arbitraire). L’épistémologie génétique (Piaget) a voulu expliquer la construction du sujet connaissant sur des bases biologiques, c’est bien sûr intéressant, et pas si éloigné de notre point de vue (en tout cas mieux qu’un sujet transcendantal), néanmoins, il a raté le contenu social (je crois qu’il en était conscient – NB : j’ai connu Piaget, il était assez tourmenté par ces questions – ), c’est pourquoi je pense aujourd’hui qu’il est intéressant d’étudier les propositions qui se font jour autour de la construction du sujet au travers de la formation sociale, cf. en particulier Alfred Sohn-Rethel, dont je parlerai bientôt sur ce blog.

      Merci pour la référence à Krivine, je n’ai pas lu ce livre, mais je connais un peu ses travaux d’il ya une trentaine d’années sur le sujet… il voyait une couche de lambda-calcul dans le cerveau… je n’étais pas vraiment convaincu !

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  2. Avatar de Wonja Ebobissé Wonja Ebobissé dit :

    Merci pour votre réponse !

    Je me considère aussi moniste du point de vue ontologique, dualiste du point de vue épistémologique. Je ne sais pas trop comment faire autrement : la connaissance distingue entre ce qui est connu et ce qui connaît. C’est quasiment tautologique, mais je ne vois pas trop comment faire autrement à moins de sortir du registre scientifique pour explorer des formes de mysticismes. J’adore cela en art, mais dès que le discours a une prétention à la rationalité, j’y suis allergique…

    Je conviens que le critère perceptif n’est pas toujours facilement opérable. Disons que ce qui vient limiter l’arbitraire de la sensation individuelle est le caractère inter-subjectif de l’expérimentation. Sinon, on abolit toute frontière et on fait entrer dans notre ontologie dès choses qui sont déraisonnables. Il y a bien une différence entre entendre un être humain et entendre « Dieu » ou une licorne. Dans le cas de l’hallucination, il me semble (mais je peux me tromper) qu’il ne serait pas très difficile de montrer que les causes de l’hallucination sont davantage relatives au sujet qui les éprouve. C’est sans doute parfois un peu boiteux, mais il me semble qu’on fait bien la différence, tant du point de vue du sens commun que scientifique, entre une sensation de brulure et une brulure réelle.

    Le problème de la jointure sujet-objet me semble être un problème mal posé. Le philosophe Lucien Sève avait une formule que je trouvais assez jolie : personne ne considère l’activité respiratoire ou la faculté visuelle de l’être humain comme un mystère. Alors qu’on pourrait ! Mais comment se fait-il que notre vision soit adaptée au monde qui nous entoure ? Pourquoi respirons-nous ?
    L. Sève suggérait que le « problème de la connaissance » n’était pas fondamentalement différent du point de vue matérialiste. C’est le dualisme – ontologique cette fois – de l’idéalisme qui en fait un mystère.

    Et c’est là que je vous rejoins sur Piaget. Je pense également pour ma part qu’il était très conscient de cela. Il avait même reçu une lettre de Bourdieu qui lui adressait cette critique, et il avait répondu qu’elle était tout à fait fondée. Je pense qu’il n’avait simplement pas le temps de tout mener de front, et qu’il a décidé de poursuivre sa recherche en attendant que d’autres chercheurs fassent la jointure avec les sciences sociales.

    Je ne connaissais pas cette petite anecdote sur Krivine, c’est assez amusant !

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  3. Avatar de Debra Debra dit :

    Pour voir le message d’erreur…

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  4. Avatar de Debra Debra dit :

    Merci pour ce dialogue entre vous. Je regarde tout cela de très loin, n’ayant pas les compétences, ni le désir d’avoir les compétences qu’il faudrait avoir pour intervenir à votre hauteur, mais j’ajoute mon petit grain :

    Quelque part dans ses écrits, « Résultats, idées, problèmes », je crois, Freud parle d’une femme hystérique qui avait une activité de conversion considérable au moment des anniversaires, et cela, tout à son insu, bien entendu. Cette activité considérable (paralysies hystériques, oublis, états seconds,etc) supposait une capacité de « calcul », (pour employer un mot lourdement chargé et connoté dans notre langue) avait quelque chose de… machinal, non ? Cela supposait également ce que Freud percevait comme une division du « sujet », avec pour conséquences cette activité de calcul se déroulant sur un plan inaccessible à la conscience de la patiente elle-même.

    Deuxième point : mea summa culpa d’avoir la flemme de revenir dans mon Beneveniste, à l’endroit où il dégage l’apparition de la philosophie en Grèce des caractéristiques de la langue grecque elle-même, dans un article qui s’appelle « Catégories de langue, catégories de pensée ». La latin, et le grec disposaient de verbes déponents pour introduire une triangularité dans le rapport entre sujet et objet, car en l’absence d’une triangulation, on a affaire à une.. polarité entre mode actif, mode passif. Cela me semble très important pour la perception ET la connaissance qui peut découler de ce qui est polarisé, ou plutôt DUEL dans nos langues qui ont hérité du grec et du latin.

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