Evidemment, les critiques s’en sont pris à l’ accessoire, c’est-à-dire à la façon de les traiter. L’un d’eux a même porté plainte, rien moins que pour atteinte… à la liberté de la presse ! Vouloir museler une liberté (en l’occurrence celle de création) en faveur d’une autre (d’expression) voilà bien le symbole de la confusion qui règne dans le monde qui se veut libéral(1). Angelica Liddell n’en a cure, ce qu’elle veut, elle, c’est clamer les vérités qui sont dures à entendre, car il n’est pas de vraie liberté sans vérité, sans volonté de la dire avant tout. Il y a des artistes géniaux qui tentent de la dire, Angelica a pris modèle sur Ingmar Bergman, qui a délivré un testament prodigieux par lequel il fixait les règles de son enterrement. La vieillesse, la maladie, la mort sont les trois épreuves du réel auxquelles tout un chacun un jour a à faire face et il ne sert à rien de tergiverser, de finasser, de contempler ces vérités avec des manières à la façon de certains poètes un peu trop raffinés. Alors Angelica Liddell parle de la merde, de la merde et du sang, qui n’a vu un vieillard, l’un de ses parents par exemple, être entouré dans son lit de mourant.e de merde et de sang ? Autre obsession : le sexe, chez les hommes, tout donner pour un moment de bandaison, combien de fois vous masturbez-vous par jour ? demande la rebelle espagnole. Alors bien sûr, cela se traduit sur scène, mais jamais autant que l’ont dénoncé les fameux critiques, on ne voit sur scène ni accouplement ni masturbation, ou alors à peine esquissés, comme quand quatre jeunes femmes nues tour à tour présentent leur cul et leurs fesses à des vieillards en fauteuil le long de mur du Palais des papes, mur dont elle nous rappelle incidemment combien en d’autres temps il fut éclaboussé de sang, ce qui fait qu’il peut bien aujourd’hui supporter quelques crachats et gouttelettes, ainsi que le jet de l’eau qui a servi à la belle pour se nettoyer l’entre-jambes… Le spectacle de Liddell nous montre ainsi des scènes édifiantes, et par moments jouissives, comme, par exemple, quand l’un des personnages, nu et enduit de peinture rouge insulte le pape en sa tunique blanche et son fauteuil roulant, et qu’il le traite de vieux con. Ne l’a-t-il pas mérité ? La papauté depuis plus de deux mille ans règne sur nos esprits, a façonné notre pensée, stipulé les interdits auxquels se tiennent encore des milliards de sujets et qui concernent bien entendu et toujours la sexualité, les rapports homme-femme, aujourd’hui les questions de trans-identité. Le Pape comme incarnation du Fétiche-Dieu. S’en prendre aux fétiches c’est bien évidemment ce que commet comme « faute » Angelica Liddell et qui, très certainement lui sera reproché jusqu’à sa mort qui, elle aussi, viendra un jour, et là-dessus, elle ne se fait aucune illusion. « La nuit, je sens un couteau se planter dans mon ventre, avant que je ne m’endorme. Je sens que d’une certaine façon, je prends congé de la vie, et que bientôt va commencer l’épuisant travail d’extinction. Je suis terrifiée par la vieillesse, la dégradation du corps et de l’esprit, je redoute par-dessus tout la démence, les adieux, le fait d’être à la merci d’inconnus, sans coeur et maltraitants ».

(1) noter que suite, à la plainte, Angelica Liddell a supprimé le passage incriminé et l’a remplacé par un discours où elle dit que ces propos en début de spectacle ne sont là que pour être fidèle à l’oeuvre de Bergman, lui-même tourmenté par les critiques et ayant du leur répondre à maintes reprises. Dans son testament, il règle ses comptes avec eux. Liddell a voulu transposer ces réponses à son cas personnel et remplacer les noms de critiques suédois qui nous sont inconnus par ceux des critiques de la presse essentiellement parisienne qui l’ont épinglée au cours de ses précédents spectacles, ne faisant en réalité qu’exprimer leur fureur face à des paroles hors des convenances qui visent toujours les fétiches qui nous encombrent. Jamais ces critiques n’ont oeuvré de manière constructive, en « analysant » les spectacles, ils n’ont fait que projeter leur dégoût. On notera bien sûr qu’il s’agit là de constantes dans leurs « émissions d’avis », qu’il s’agisse de Télérama, de Libération ou du Figaro. Ne parlons pas des critiques du « Masque et la Plume » juste plaisants à écouter parce qu’ils jouent de joyeux numéros de comiques mais sans que jamais ils nous apprennent quelque chose de profond sur l’oeuvre évoquée, qu’il s’agisse d’un livre, d’une pièce de théâtre ou d’un film. Il s’agit avant tout de rigoler et de faire rigoler (d’ailleurs, l’émission est en public).
*
Le 7 juillet à 20h, les clameurs qui ont salué la victoire du Nouveau Front Populaire. Je ne pouvais bien sûr pas m’y soustraire : j’étais heureux, aussi, de ce bonheur irréfléchi sorti des tripes, et j’ai crié siamo tutti antifascisti ! Un regard autour de moi me révélait cette foule de gens heureux, des jeunes surtout, des étudiants, des personnes cultivées qui venaient au théâtre, qui aimaient sûrement Molière, Shakespeare ou Beckett. Si différents de ceux du camp d’en face. Evidemment, on ne reprochera à personne d’aimer Racine, Hugo, Mozart ou Beethoven. On peut pourtant être horrifié de ce gouffre qui sépare ceux qui aiment Duras de ceux qui votent Hanouna. On peut vivre dans des zones où ne vivent que les premiers ou au contraire des zones où ne vivent que les seconds. C’est l’un ou c’est l’autre. Mondes séparés. Si l’on voulait faire une loi « contre le séparatisme » c’est d’abord à cette séparation-là qu’il faudrait s’attaquer.
Capital économique, capital culturel, deux sortes de capital bien différents. Le premier souvent au détriment de ceux qui n’en ont pas, de capital. Le second en théorie ne nuisant à personne. Et pourtant… Le capital culturel compense très bien celui financier que l’on n’a pas, mais pour qui n’a pas le capital culturel, la perte est sèche. Et se traduit par un désir de vengeance sociale.
Le soir vers minuit, liesse place de l’Horloge. Un groupe de militants cégétistes et LFI s’est massé sur les marches de l’hôtel de ville. La foule scande « On lâche rien », les orateurs promettent de se battre pour que les objectifs du NFP soient atteints. Des drapeaux sont déployés. Un drapeau palestinien. Un mélange social et ethnique sympathique. Un vrai sentiment de fraternité. Pensée pourtant pour ceux qui se méfient des penchants antisémites, bien réels, de LFI. Qui s’en soucie en ces heures de joie ? N’ai-je pas été un peu léger de faire confiance au candidat LFI dans ma circonscription ?
