Vers le Japon et la Corée

Nous avons eu la chance de pouvoir être passagers invités, nous avons eu la chance d’être reçus à notre arrivée à l’aéroport Kansai International par notre amie Kozen, grande calligraphe qui nous emmène ensuite dans son village de Koya.

Le voyage fait partie de nos vies.

Le Japon est un objectif permanent.

Je comprends que continuer à voyager, de nos jours, contribue à en maintenir l’envie, c’est en cela que nous sommes coupables et pas tant en terme d’empreinte puisque nous ne sommes que pièce rapportée dans un vol qui de toutes manières, que nous l’empruntions ou pas, aura lieu. Mais sans doute pour les générations futures, faudra-t-il que l’envie en diminue.

Aussitôt que l’on dit cela, on est conscient d’avoir dit une énormité. Ne plus voyager sera définitivement couper tout contact avec l’autre, accepter le repli sur soi, en venir à considérer que seules nos pensées ont une valeur, ignorer pour toujours qu’il est d’autres façons de voir, de sentir, de réfléchir. Etre prêt en ce cas à entrer en conflit avec l’autre, le différent, au nom du fait que nous verrions peut-être en lui un monstre, voire un non humain. Les guerres et les conflits ont existé depuis toujours au sein de l’Humanité, et pourtant le fait qu’il y ait eu des rencontres pacifiques entre les peuples a sûrement diminué la tendance à l’affrontement direct. Après la seconde guerre mondiale, des efforts louables ont été faits entre la France et l’Allemagne afin qu’en finisse cette propension à se faire la guerre, qui n’avait que trop duré, depuis 1870 (ou plutôt 71 puisque auparavant l’Allemagne n’existait pas proprement dite), on a voulu pour cela créer des relations entre les jeunesses des deux pays, et ça a marché, du moins pour ma génération.

Aujourd’hui le danger vient de la Corée du Nord, car on n’imagine pas pays plus isolé. Où la haine de l’autre soit à ce point professée à chaque instant. Notre frayeur s’étend à la Russie voisine dont la plus grande partie de la population est volontairement laissée dans la même ignorance et à qui il est facile de faire avaler que nous sommes de dangereux pervers qu’il faut combattre jusqu’au dernier.

La première chose à laquelle pensent les dictateurs c’est à restreindre voire empêcher les voyages de leurs ressortissants à l’extérieur de leur pays. Les gens qui peuvent voyager voient que les autres sont comme eux, ils essaient de vivre, ils cultivent des plantes, ils élèvent des animaux, ils font la cuisine, ils élèvent leurs enfants, et même ils les aiment. Comme eux. Ils pensent, ils lisent, ils enseignent, ils écoutent de la musique et ont une haute idée de l’art. Ils aiment se promener sous les arbres en fleurs, ils aspirent à la paix. Comme eux.

J’ai un peu perdu de vue mon amie chinoise Fan Ping, et je le regrette. Elle vit à Grenoble avec sa femme, venue on ne sait comment de Chine. Elle n’a plus vu ses parents depuis longtemps, je ne pense pas qu’elle prenne le risque de retourner les voir – une fois elle avait pris ce risque et avait bien failli ne pas pouvoir revenir en France – elle attendait beaucoup de la possibilité de leur visite qui semblait acquise il y a cinq ou six ans, mais c’était avant le durcissement du régime de Xi. Sa mère ne pouvait alors venir la voir car elle avait travaillé pour l’État (mais tout le monde travaille pour l’État) et il fallait attendre au moins cinq ans après sa cessation d’activité car sinon elle aurait pu divulguer des secrets (!). Il est probable qu’aujourd’hui le régime aura trouvé d’autres arguments. Et non, ce n’est pas pour limiter l’empreinte CO2 des citoyens chinois…

Mes premiers voyages au Japon m’ont fait aimé ce pays et sa population, je garde un souvenir si ému de cette femme rencontrée à Hiroshima, qui tenait un petit bistrot en bordure du fleuve qui traverse la ville, et qui, malgré les difficultés de langue, nous racontait comment ses parents, en vacances ce jour-là, avaient échappé à l’explosion atomique.

Du reste, notre visite à Hiroshima demeure l’un des moments les plus forts de notre vie.

Je souhaite que le plus possible de gens aient la possibilité de s’y rendre. Soixante quinze ans après l’explosion fatale, les foules continuaient à défiler devant le catafalque pour y déposer des fleurs.

Je souhaite que le plus grand nombre possible de gens s’inspirent des pensées de quelques militants anti-nucléaires japonais, comme le grand écrivain Ôé Kenzaburô (mort récemment), qui s’est tellement opposé à l’arme nucléaire partout dans le monde (il avait renoncé à un voyage en France, lui, le francophile passionné, après l’obtention de son prix Nobel, afin de dénoncer la décision du président Chirac de relancer les essais nucléaires dans le Pacifique).

Ôé Kenzabûrô

Nous allons voir Koya. Kyoto. Nara. Osaka. Puis Naoshima, et le port de Fukuoka. De là nous prendrons le bâteau pour Busan, en Corée du Sud, et finirons notre voyage par quelques jours passés à Séoul.

Avant de partir, il me faut me replonger dans mes livres qui décrivent l’histoire et la culture japonaises. Notamment ceux sur l’Antiquité japonaise, cette période qui s’étend sur peu de siècles (du 6ème au 8ème à peu près) et qui est tellement fondamentale pour la suite et qui voit l’installation des premières capitales, Heijô-kyô (Nara) puis Heian-kyô (Kyôtô).

Je vais dans un pays parce que je le connais d’avant, soit par la littérature ou le cinéma soit pour y être allé déjà à l’occasion d’une rencontre (la plupart du temps scientifique comme ce fut le cas pour moi en 1999 et en 2014, pour C. en 2017). il faut que ce pays soit déjà entré en moi, je n’irais pas quelque part sans avoir acquis de solides connaissances sur le lieu où je vais. Surtout sur l’histoire, et sur les gens, autrement dit sur la culture. La géomorphologie joue aussi un rôle, mais je me rends compte qu’il est un peu secondaire.

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3 Responses to Vers le Japon et la Corée

  1. Avatar de Debra Debra dit :

    J’aimerais avoir vos certitudes sur le monde dans lequel nous vivons, Alain, pour bien délimiter les « eux », et « nous », d’une certaine manière, mais je ne les ai plus.

    Hier, je suis allée à la poste en France pour faire un envoi banal, normal, et au guichet on m’a demandé mon nom, et mon mail ou un numéro de téléphone. On m’a demandé si je voulais faire.. SUIVRE mon courrier (avec l’aide de la machine, bien entendu). Faire suivre… pister… suivre à la trace…Je vois maintenant que l’enjeu de la Machine (l’ordinatueur) est de pouvoir nous suivre, et individuellement, à la trace. C’est un enjeu de contrôle, comme dans l’expression « contrôler l’identité ». Que rien n’échappe à ce.. contrôle. Il me semble souhaitable, mais aussi juste de faire remarquer que cette visée est une visée d’essence totalitaire, car totalisante. Il s’agit de vouloir/pouvoir nous contrôler… tous. On pourrait s’interroger pour savoir d’où émane cette visée, et c’est une question très importante, dans la mesure où presque personne, individuellement, prendrait pour soi d’assumer cette visée, là.

    Cela a explosé dans ma tête, cette affaire. Depuis quand devons-nous donner nos noms pour envoyer un banal courrier ?…Selon quelle nécessité ?

    Hier soir, au dîner avec un ami qui ne partage pas mes… craintes pour l’avenir, ce dernier m’a dit qu’il n’y voyait rien d’alarmant, en somme, c’est normal, « circulez, il n’y a rien à voir ». Moi, qu’on tapote régulièrement sur la tête avec un sourire, en estimant que je suis.. naïve et enfantine, je vois que je ne partage pas la même vision de la « réalité » que bien des gens autour de nous, et des gens qui, la plupart du temps, n’ont pas de problèmes pour considérer que eux, ils sont intelligents et pas dupes…

    Le problème avec le monde, et la réalité, c’est qu’il peut changer très vite, et même.. basculer. La plupart du temps, on s’imagine qu’il bascule du jour au lendemain, mais TOUJOURS, dans l’après coup, quand on se met à regarder les indices, on voit que ça ne s’est pas passé du jour au lendemain, mais que c’est venu petit à petit, et avec des.. détails dans le style de devoir donner son nom au guichet pour faire un envoi banal.

    Je dirais… à bon entendeur, salut, mais je ne sais pas si nous serons sauvés, à vrai dire… je n’en sais rien. S’il y a quelque chose qui me semble indispensable de garder en tête, c’est que le monde… n’est pas prévisible, ni avec les augures, ni avec les oracles, ou les experts scientifiques. Mais le problème de toute prévision, c’est qu’elle tend à infléchir subtilement la suite, par ses prétentions à dire Vrai. Credo. Le monde est tellement ahurissant que je sais que les gens peuvent être amenés à réaliser une prédiction à leur insu ? afin de pouvoir y croire. Subtil, hein ?

    Pour les voyages… je n’ai pas besoin de voyager maintenant, tellement il y a d’étrange, d’étranger tout près de chez moi. Pour se dépayser, il suffit d’aller dehors, et même soi, on peut être un étranger pour soi, pour le meilleur, et le pire, d’ailleurs. Donc, pour m’éviter les désagréments des aéroports, des gares, mon prochain qui est souvent.. si hostile, quand il n’est pas simplement indifférent, je reste… sur place.

    Cordialement.

    P.S. en passant pour tous ceux qui pourraient penser que je suis un « troll » pour employer le vocabulaire branché qui a cours, je ne le crois pas, car il m’arrive d’être d’accord avec Alain sur bien des points, et de m’intéresser à ses écrits souvent difficiles pour ma petite tête qui essaie de comprendre. Non, mais j’aime… la discussion, et c’est plus intéressant quand on n’est pas d’accord.

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    • Avatar de alainlecomte alainlecomte dit :

      Bonjour Debra. Je ne vois pas bien pourquoi vous dites que dans ce billet, je témoigne de « certitudes ». Je fais plutôt appel au voyage pour me destabiliser, détruire des certitudes si toutefois j’en ai. je suis d’accord avec vous sur le contrôle permanent de nos faits et gestes, auquel nous n’échappons pas. Vous pensez peut-être y échapper mais le fait même que vous vous manifestiez avec tellement d’ardeur sur les blogs divers vous fait repérer. je ne dirai jamais que vous êtes un troll, d’abord parce que je sais que vous existez vraiment (des personnes dignes de foi me l’ont dit) et ensuite parce que vos interventions sont quand même plus subtiles que celles d’un troll. mais je dirai quand même que vos interventions témoignent de beaucoup de certitudes… religieuses en tout cas.

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      • Avatar de Debra Debra dit :

        Merci pour votre réponse, Alain.

        J’aime dire maintenant que j’ai des…. interrogations, mettons. De toute façon, au moment où j’ai plongé dans les ténèbres il y a quelques années, j’en suis péniblement sortie en m’accrochant au… maxime que « tous les avantages ont des inconvénients, et vice versa. » Des fois on m’a traitée de relativiste absolu pour cette position, et les personnes qui ont tiré ce mot de leur chapeau étaient souvent ? des lecteurs assidus du… « Monde », j’ai constaté, ce que je ne suis pas, et ce que je n’ai jamais ambitionnée d’être, en plus. (Les journaux m’ont toujours ennuyée.)

        Pour ce qui concerne les certitudes… religieuses, j’aimerais bien les avoir ; cela fait partie de mes grands regrets de ne pas en avoir, et il y a longtemps j’ai constaté que les musulmans intégristes et les personnes se disant « laïques » avec un zèle qui me mystifie, partagent l’incapacité d’imaginer qu’il pourrait y avoir des personnes défendant la RELIGION chrétienne, ou juive, d’ailleurs, qui ne font pas ou plus partie d’une communauté de croyants. Notre monde est très compliqué en ce moment. Mais les intégristes ne veulent pas voir les complexités de notre monde, d’où leur intégrisme.

        Je ne sais pas comment vous vous situez sur ce dossier, Alain. Pour ma part, je me contente de dire qu’il y a plein de bonnes raisons pour taper sur la Grande Romaine, pourquoi donc s’emparer des… mauvaises ? pour le faire ? Je ne supporte pas qu’on attaque la Grande Romaine d’une position d’ignorance confite, (et fière de l’être), ce qui me semble être.. la règle en France en ce moment dans beaucoup de milieux où les gens sont fiers de s’appeler des « intellectuels ». (Et je n’ai rien contre les intellectuels non plus…) Et enfant, adolescente, et adulte, j’ai trouvé, et continue de trouver beaucoup de sagesse, de beauté, de poésie dans la Bible qui dépasse allègrement le savoir de nos sociologues en ce moment. Même de nos scientifiques…

        Cordialement.

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