Journal de voyage en Bolivie: La Paz, Titicaca et manque de souffle

La Paz depuis El Alto

L’arrivée à La Paz décoiffe. Que l’avion atterrisse à plus de 4000 mètres, sur le plateau – mais c’est un petit avion (de marque « Bombardier », ce qui me fait toujours frémir, un nom aussi guerrier pour des activités somme toute très commerciales et pacifiques…) car les gros ne peuvent pas se poser ici, eux aussi, pas que les humains, souffrant du manque d’oxygène – on s’y attend, mais on n’imagine jamais ce que ça va être quand tout à coup on va basculer dans la faille et découvrir LA ville. D’abord noter que cette ville s’est scindée en deux depuis quelques années : le haut n’est plus « La Paz » mais « El Alto », le flanc des pentes, le bas, c’est cela désormais La Paz. Un million cinq cent mille habitants d’un côté, un autre million de l’autre. Les petits cubes des maisons à perte de vue (car oui, La Paz est cubiste et même, pourrait-on dire, de la période analytique), le bas de la ville qui se perd dans les confins de la brume et, depuis quelques années, ces cabines de téléphérique qui dansent accrochées à leurs fils, manière ici nouvelle de décliner la notion de métro, au lieu de descendre dans les sous-sols (ce qui serait bien impossible ici), on s’envoie en l’air au long de sept lignes actuellement en service. La Paz : une artère principale qui distribue les quartiers à son ouest et à son est, parfois appelée « Le Prado », qui débute avenue Montes, devient avenue Santa Cruz puis Arce etc. Passage obligé des voitures, taxis, micro-bus, cars, camions venant de tous horizons et producteurs de gaz qui nous enlèvent le peu d’oxygène qui nous reste. L’embouteillage est quasi permanent. Les conducteurs font preuve d’audace, se frôlent, s’énervent, les marchandes de produits miracles sur les trottoirs pestent contre eux qui parfois bousculent leur frêles étals. Heureusement quelques rues semi-piétonnes, dont la calle Llinares, aussi connue comme marché aux Sorcières qui, de fait, contient incomparablement plus de touristes et de vendeuses de pulls d’alpaga que d’authentiques sorcières. L’histoire des fœtus de lama séchés, c’est presque une légende, ils disparaissent sous les stocks de laine, ne se voient presque pas auprès des boîtes en tous genres de tisanes, y compris celles qui sont censées améliorer la virilité. Le quartier le plus fréquenté : deux rues qui se croisent, Llinares et Sagarnaga, cette dernière descendant vers la place San Francisco où se dresse la cathédrale de même nom. La calle Murillo aussi n’est pas loin, très encombrée le soir vers 17 heures, lieu pour choisir sa chambre à coucher ou son matelas (c’est la rue des marchands de meubles). Bistrot tenu par un Hollandais (Sol y Luna) qui sert des pisco sour qui ne sont pas vraiment des pisco sour tout en en étant… mais très bons, soûlant juste ce qu’il faut pour supporter la ville. Plus tard nous reviendrons à La Paz, mais j’en ai déjà parlé, c’est à la toute fin du voyage quand, prenant l’audace de traverser la rue (!) nous découvrons les musées de la calle Jaen et de la rue Sanjines (extraordinaire musée d’ethnographie) et que nous assistons à ce concert fou, époustouflant, donné par les grands maîtres de la charango, de la quena et de la guitare muyu-muyu….

Femmes d’El Alto
Quartier Libertad survolé par le téléphérique

La Paz fut d’abord implantée (1548) en un lieu qui, aujourd’hui, s’appelle Laja, nettement à l’ouest de la ville actuelle, au milieu du chemin vers Tiwanacu… transition pour amener à cette dernière. Alfred Métraux, le grand spécialistes des Incas, l’écrivait « Tiahuanaco ». On a voulu en faire la capitale d’un état aussi puissant que celui des Incas, imaginant un empereur qui aurait gouverné d’ici tout un territoire s’étendant sur le lac Titicaca tout proche et peut-être jusqu’à l’actuel Pérou. Il semble qu’il n’en soit rien. Juste une constellation de petits roitelets locaux, mais qui se seraient entendus pour reconnaître en ce lieu un pôle religieux intensément actif, avec ses temples et ses grands prêtres. Le site a fait fantasmer : on découvre en arrivant une immense plateforme surélevée avec en son centre un bassin qui fut rempli d’eau et dont les murs semblent bâtis pour l’éternité. Très vite, on a pensé « extra-terrestres », civilisation venue d’ailleurs, et puis les archéologues se sont résignés : il s’agissait bien d’un temple, simplement un temple, construit principalement pour honorer le soleil et incidemment, la lune et les étoiles (le bassin ayant pour mission de les refléter). C’est que ces gens avaient de belles notions d’astronomie et ne pouvaient construire qu’en s’alignant sur elles. Ainsi, lorsque nous sommes au pied de la muraille et que nous regardons son point de fuite, nous voyons qu’il converge vers un point de la montagne, à une vingtaine de kilomètres de là, marqué par un amoncellement de quartz, celui-ci avait été pris comme point de repère par les bâtisseurs pour que le mur demeure aligné avec la Croix du Sud. Cette « pyramide » dite d’Akapana est complétée par d’autres temples et édifices tous plus étonnants les uns que les autres, soit qu’ils présentent des réseaux d’irrigation sophistiqués pour parvenir à faire jaillir l’eau en haut des pyramides, soit qu’ils s’ornent de masques énigmatiques (dans le cas du temple « semi-souterrain ») auxquels là encore on a voulu donner des origines extra-terrestres, les têtes se distinguant souvent par des yeux globuleux que l’on aurait bien vus comme des lunettes portées par des cosmonautes (!). Mais la réalité est sans doute plus prosaïque bien que tout le mystère ne soit pas éclairci, ces têtes étaient-elles les images de dignitaires ensevelis ici ou bien celles de divinités en grand nombre et demeurées inconnues ? Entre Akanapa et le « semisubterraneo », se dresse encore le temple Kalasasaya, et à deux pas de là la fameuse « Porte du Soleil » dont on se demande si elle n’a pas été déplacée ou bien au contraire si on a eu le temps de la mettre au bon emplacement : elle raterait, comme elle est mise, sa fonction au plan astronomique. Et les statues monolithiques aussi… comme elles sont étranges, et belles. Des archéologues ont trouvé une similitude avec les statues Moaï de l’ïle de Pâques au point d’imaginer que c’était les mêmes, cela n’est pas impossible étant donnée la démonstration faite autrefois par Thor Heyerdahl et son Kon Tiki de l’aisance avec laquelle on pouvait rejoindre cette île au départ des côtes du Pacifique au moyen de l’un de ces radeaux que l’on construisait sur les rives du lac Titicaca. Le plus haut de ces monolithes avait été dressé dans les années trente, après sa découverte par Bennett, sur une place de La Paz, mais il en a été enlevé pour être exposé au musée de Tiwanacu, question de lui éviter une altération trop rapide due à la pollution de la ville et… aux éclats des balles lors des révolutions de palais ! Un peu à côté du Temple du Soleil, s’étale un autre site, celui de Pumapunku (« la porte du puma »), admirable ensemble de pierres encastrées les unes dans les autres (grès ou andésite) avec un rebord qui laisse à penser qu’il s’agissait peut-être là d’un port, du temps où le lac venait jusqu’ici.

On dit que Tiwanaku a connu cinq périodes (étiquetées TWI, TWII etc.) que la première commence mille ans avant J-C. Et la dernière s’achève vers 1200 de notre ère. Pourquoi cette fin ? Cette chute brutale ? Il ne semble pas qu’il y ait eu violence ou destruction volontaire mais seulement les variations climatiques, en l’espèce l’effet du phénomène El Niño qui aurait provoqué une sécheresse ayant duré deux cents ans… Les tiwanacus plièrent alors bagage et partirent s’installer ailleurs, sur une île du Titicaca, vraiment pas loin ou bien jusqu’aux rives du Salar, puis, plus tard vers le Pérou, où une nouvelle civilisation devait apparaître, bien évidemment celle des Incas.

Quand on poursuit la route au-delà de Tiwanaku, on arrive bien sûr en bordure du lac, d’abord le mineur puis le majeur les deux étant séparés par le détroit de Tiquina, à franchir au moyen d’un bac. Au bord du mineur, un lieu qui tend à disparaître du regard mais qui est pourtant doué d’un grand rayonnement historique : c’est là qu’était établie la famille Esteban, celle dont le père, Paolino, avait construit les radeaux cités plus haut, pour le compte d’Heyerdahl et de sa troupe norvégienne d’explorateurs. Mon enfance a été bercée des exploits du Kon Tiki (le mot vient du nom du Dieu créateur Kon Tiki Viracocha) et j’aimerais les relire aujourd’hui. Trouver cet emplacement donne un coup au coeur mais, hélas, Paolino est mort il y a quelques années et ses descendants s’embrouillent entre eux, si bien qu’il ne reste qu’un lieu de vente de souvenirs avec deux ou trois maisons dont les habitants se haïssent… juste un bateau d’osier, grandeur nature, qui attend des jours meilleurs mais devra vraisemblablement les attendre longtemps… Le détroit franchi, on atteint vite Copacabana, encore un haut lieu des précurseurs des Incas, et de Copacabana (dont les Brésiliens s’inspirèrent pour nommer une des plus belles plages de Rio!) on rejoint en bateau l’île du Soleil, lieu paradisiaque si ce n’était (ne pas l’oublier) l’altitude…

Titicaca et Cordillère Royale
Temple des Vierges

Nous retrouvons nos descendants de Tiwanaku, d’abord au Temple des Vierges puis à celui du Soleil. Le premier était l’endroit où l’on gardait les jeunes filles vierges (de famille noble) en vue des sacrifices. Elles n’étaient guère plus de dix à la fois, gardées par quatre duègnes qui leur apprenaient à devenir les servantes du Dieu Soleil, elles n’en souffraient – paraît-il ! – pas puisque c’était dans l’ordre des choses et qu’on les persuadait qu’elles allaient à la rencontre d’un avenir radieux… Ce n’est pas là qu’elles étaient suppliciées mais plus loin, au Temple du Soleil justement, où l’on voit encore la roche échancrée où elles mettaient leur tête (tout à fait comme chez le coiffeur quand on se fait laver les cheveux, la tête rejetée en arrière et les doigts de fée de la coiffeuse caressant doucement notre cuir chevelu) afin de se faire trancher le cou.

C’est en montant au sommet de l’île du Soleil que j’ai perçu ce que risquait d’être mon propre supplice, tant j’avais du mal à souffler pour ne pas perdre le contact avec mes escorteuses (C. et la guide), arrivé à l’hôtel j’étais épuisé, d’une fatigue dont j’ai eu peu d’exemples au cours de ma vie, sauf si, peut-être, une fois dans la vallée du Khumbu… mais c’est toujours affaire d’altitude et de manque de souffle.

Alors le lendemain, jour où était prévue une randonnée sur l’île, du Nord au Sud, je me méfiais, bien sûr. Mais la randonnée fut modifiée : les habitants du Nord de l’île se barricadaient et refusaient les touristes. Certains prétendirent que c’était parce qu’ils n’avaient pas pu s’entendre avec ceux du Sud pour la répartition de la manne financière, d’autres que, tout simplement, ils refusaient qu’on vienne piétiner leurs plate-bandes en les empêchant de vivre tels que leurs mœurs et leurs coutumes leur avaient enseigné de le faire depuis si longtemps. De vrais Incas en quelque sorte, et qui auraient compris les leçons du passé. Nous nous rabattîmes sur la côté, côté Copacabana, où l’on pouvait démarrer dans un tout petit village, Yampupata, et finir une dizaine de kilomètres plus loin en un lieu dénommé « grotte de Lourdes », non sans avoir encore atteint un col à 4600 mètres. Mais cette fois, j’avais été échaudé moi aussi… Dans la vie comme dans la marche, tout est affaire de rythme, et je pris le mien, bien sûr bien plus lent que celui de ces dames, mais à ce rythme, j’y parvins et, après tout en ne mettant pas beaucoup plus de temps qu’escompté. La fin du chemin, la descente, était un peu ennuyeuse car je n’avais pas mis mes meilleures chaussures… c’était un de ces chemins pré-colombiens avec des pierres énormes, et on arrivait à la fameuse « grotte »… une horreur : un missionnaire d’autrefois avait cru bon d’implanter là une réplique de la Vierge de Lourdes pour la commuer en objet de culte – une sorte de pachamama exotique – auprès de qui des populations venues de toute l’Amérique latine venaient commettre un rite étrange : ils « empruntaient » à la déesse sous forme de kilogrammes de roches – qu’ils faisaient sauter s’il le fallait avec de la dynamite ! – en pensant que ces amas de pierres se transformeraient un jour en fortune, auquel cas, ils reviendraient plus tard rendre à la statue ce qu’ils lui devaient sous la forme d’offrandes du genre babioles ou billets de banque…

Ces rites, ces superstitions émaillèrent à vrai dire notre voyage. Ainsi à Copacabana, rejointe en bateau après cette marche, la rue de devant la cathédrale servait-elle de lieu de baptême pour… les automobiles, et l’on voyait sortir le prêtre, sur le coup de cinq heures, homme gras en soutane, avec un seau comme on en use pour laver les carrelages, mais empli d’eau bénite s’il vous plaît, et un instrument genre balais de chiottes dont il se servait pour arroser les véhicules à l’arrêt devant des familles reconnaissantes qui n’oubliaient pas le pourboire et terminaient elles-mêmes la cérémonie en éclaboussant leur proserpine d’un mauvais Champagne – qui n’était vendu que pour cet usage, le goût devant en être probablement infect.

Basilique de Copacabana

La religion catholique et hispanique était devenue toute puissante et avait écrasé les rites d’autrefois, rendus au Dieu Soleil ou à la pachamama, ces derniers n’ayant réussi à subsister souvent que par la ruse des peuples qui feignaient de croire que c’était la même religion, alors que les évêques amenés par les conquistadors n’avaient pour eux que mépris et cruauté. Ainsi obligea-t-on toute sa vie le neveu de l’Inca Tupac Yupanqui, Francisco Yupanqui, bon sculpteur, à fabriquer des vierges pour sauver sa propre liberté.

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2 commentaires pour Journal de voyage en Bolivie: La Paz, Titicaca et manque de souffle

  1. l'effronté dit :

    Voyage riche d’enseignements et de sensations… Le corps et l’esprit y sont comblés !

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  2. Merci pour le « lift » et cette avalanche de photos plus belles les unes que les autres… 🙂

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