Journal de voyage en Bolivie: beauté du Salar

Aquarelle de la laguna Colorada – copyright A.L.

Ensuite… eh bien ensuite, il faut remonter, remonter autant depuis le plus profond de l’attitude contemplative que depuis le plein sud de la Bolivie pour tenter de gagner une autre splendeur stupéfiante, dont il a si souvent été question dans les récits des voyageurs et des aventuriers : le fameux Salar de Uyuni. Mais avant cela, il y a d’autres beautés en route comme le désert, toujours le désert de roches rouges avec ses sculptures biscornues dues au seul vent et au seul sable abrasif (Arbol de piedra) et avec sa fréquentation assidue auprès des touristes du seul et unique renard des environs (l’autre s’étant fait tuer il y a longtemps), digne héritier de Saint-Exupéry, prêt à parler et à nous demander sur quelle planète maintenant nous souhaitons atterrir. Sur un pays d’autres lagunes sûrement. Comme les lagunas Honda, Chiarkhota, Hedionda ou Cañapa. Un pays d’où l’on voit fumer au loin le volcan en activité d’Ollaguë et où l’on parcourt un petit salar, celui de Chiguana, là où notre chauffeur nous certifie qu’un jour d’il y a cinq ou six ans, près de la voie ferrée (car on construisit autrefois des voies ferrées pour sillonner cette région minière, on y transportait le minerai d’une mine à une usine ou bien d’une mine à un port, un port chilien bien sûr, comme Antofagasta, la Bolivie n’ayant pas d’accès à la mer et c’est bien là son problème) lui avec un touriste japonais virent comme une fusée s’abattre devant eux, à quelques centaines de mètres, émettant de multiples éclairs lumineux, une météorite sans doute mais ils n’arrivèrent jamais à la trouver, morceau d’univers infini perdu à tout jamais au pied d’une colline – mais se peut-il qu’il y ait autant de météorites qui tombent dans cette région car ce n’est pas la première dont on nous parle, pourquoi une météorite tomberait-elle de préférence en plein Salar – où elle fait peut de mal – que dans le 10ème arrondissement de Paris où, c’est certain, les victimes seraient autrement plus nombreuses que les quelques viscaches ou renards qui reniflent les hautes herbes du désert ? Mais à la réflexion, bien sûr, on sait la réponse : il n’y a pas de probabilité plus forte au désert qu’en ville pour la chute d’un corps céleste… Disons peut-être seulement que nos touristes et notre chauffeur ont bénéficié d’un point d’observation meilleur que ceux que l’on peut avoir en ville.

Arbol de piedra – copyright A.L.

Puis, nous entrons dans San Juan, petit village presque en bordure du Grand Salar, pour une nuit dans un hôtel tout fait de bois de cactus. A la sortie de San Juan, s’étend la nécropole de Kausay Wasi, trace archéologique d’un peuple issu de Tiwanaku – dont je parlerai plus tard, lorsque nous y serons, à Tiwanaku – autrement dit qui devait vivre là dans les années 1200 de notre ère (époque dite des Señoros), après que la grande sécheresse ait poussé ces gens d’avant les Incas à partir et s’établir en divers lieux où les conditions climatiques peut-être étaient meilleures. A l’instar des autres peuples de même origine, ils ont laissé des traces mortuaires dans des tombes ouvertes à l’air libre, où des momies nous attendent depuis tout ce temps, jambes repliées sur la poitrine dans une position foetale qui veut tout simplement signifier qu’à la mort, les corps sont rendus à la pachamama sous la même forme qu’ils avaient dans le ventre de leur mère.

Nous sommes toujours surpris de cette présence sans détour de la mort dans les cultures latino-américaines, héritée sans doute des pratiques pré-colombiennes dont nous sommes ici les témoins. Déjà, lors d’un précédent voyage, en Argentine, nous avions été bouleversés par la vision de ces petites momies d’enfants qui furent découvertes à une date pas si ancienne (1999?) au sommet du volcan Llulliaillaco, offrandes faites aux Dieux par les Incas afin de s’assurer d’un meilleur climat pour les cultures. Si bouleversés que je m’était même demandé à l’époque s’il était bien décent de publier des photos, alors que visiblement cela ne pose pas de problème ici. On reconstitue même des tombes ouvertes avec les momies dans des musées qui n’ont a priori rien à voir, comme le musée des instruments de musique de La Paz – sur lequel je reviendrai aussi – que les enfants ont tout loisir de regarder entre une queña bolivienne et une guitare charango . Les Señoros comme les Tiwanakus avant eux et comme les Incas après eux formaient une société très hiérarchisée, on y distinguait une noblesse, à laquelle vraisemblablement était réservés les rites funéraires dont il nous reste ces tombes. Pour qu’on reconnaisse leur nature divine (attirée par le Ciel?), on déformait leur crâne à la naissance, ce qui donnait ces allongements de l’os occipital très curieux qui les fait ressembler à l’allure qu’aiment à donner aux extra-terrestres maints auteurs de bande dessinée… Ces peuples avaient découvert la quinoa, richesse alimentaire peu commune qui pousse si bien en ces coins sablonneux et secs qui entourent le Salar de Uyuni, et dont nos petits-enfants occidentaux se délectent et ce d’autant plus qu’ils n’en connaissent pas le prix, et qu’ils ignorent qu’en consommant cette légumineuse on arrive à en priver les habitants des hauts-plateaux qui en ont tellement besoin…

cactus sur la route du salar

Autour de San Juan, règne un paysage typiquement tropical, avec ses cactées géantes, parfois en fleurs, qui longent notre route en descente jusqu’au Salar, au port de Colcha K. Ensuite, c’est encore une autre planète. Le sel durci, sous nos pas, fait des hexagones. Si l’on découpait le sol on trouverait dix à douze couches de sel séparées par de l’eau. L’horizon disparaît, en certains endroits, il n’est plus de bords, forme ouverte qui se contient elle-même et nous fait avoir peur de perdre notre équilibre. Un relais sur la route de sel : la petite île d’Incahuasi, lieu touristique. Du sommet, on ne voit rien d’autre, à 360°, que cet infini blanc cristallin, de temps en temps rayé d’une marque de 4×4, ou ponctué, près du bord de l’île, de parasols carrés qui abritent du soleil quelques touristes en mal de désert ayant décidé de s’installer là pour déjeuner… Un car passe. Nul ne sait vers quel havre il va, enfermant dans ses flancs non des touristes mais des paysans ou des ouvriers qui vont peut-être exploiter les premières mines de lithium.

île Incahuasi

On sort du Salar au port de Coquesa, que domine le volcan Tunupa et on va dormir dans une petite auberge de Jihiha où l’on ne s’attend à trouver personne… à moins que quelque fou ne soit déjà là, de ces aventuriers mystiques qui se sentent attirés par ces lieux extrêmes car ils croient possible d’y rencontrer une forme de surnaturel. Cet oiseau rare, je crois l’avoir trouvé en la personne d’un étrange irlandais dont nous découvrons le curieux attelage dans la cour de l’auberge. Au début je le prends pour un cycliste tirant derrière lui son lourd chargement : à vélo sur le Salar d’Uyuni, ce serait une performance devant laquelle on s’inclinerait. Le gaillard est volubile mais s’exprime en un irlandais rapide qui laisse peu de place à la compréhension… De quoi s’agit-il au juste que cette « baftab » dont il nous parle à tout bout de champ ? Quand soudain, je crois comprendre, c’est de « bathtub » qu’il s’agit… autrement dit cet illuminé s’est fixé l’enjeu de parcourir le monde avec… une baignoire ! Il est déjà allé au sommet du Kilimandjaro avec sa baignoire, il a descendu aussi le fleuve Amazone à son bord, avant de se la faire piquer, d’attendre au moins vingt-cinq ans pour pouvoir repartir, et cette fois, le pari est de faire 11000 kms autour du salar en tirant la baignoire sise sur de grandes roues de cycle, ce pourquoi je l’avais pris pour un cycliste. Je n’ai pas très bien compris les motivations. Il avait eu paraît-il autrefois ce rêve, de se déplacer en baignoire… Il avait été ému en cours de route par la mort d’un enfant dans un hopital d’Amazonie, je crus un moment que ceci expliquait cela, je pensai au cinéaste Werner Herzog qui avait fait le voeu de venir à pied jusqu’à Paris en venant de son Allemagne natale afin de sauver de la mort sa meilleure amie, mais ce n’était même pas cela. Il fallait bien se rendre à l’évidence : Rob Dowling cherchait son quart d’heure de célébrité… et ne cherchait que cela.

Rob Dowling et sa baignoire
Volcan Tunupa, vu depuis le premier belvédère

L’ascension, même partielle, du volcan Tunupa (5321 mètres) fut pour moi le premier indice que décidément j’aurais du mal, par la suite, à atteindre mes objectifs de trekkeur. Au premier belvédère, mon souffle avait expiré, il ne restait plus qu’à redescendre, heureux d’avoir vu de près la couleur du soufre et celle des roches noires basaltiques, mais épuisé. Au pied du volcan, dans la petite commune de Coquesa, église coloniale pauvre et petit musée où nous retrouvons trace de nos Senores des années mille sous la forme là encore de crânes déformés et de momies à moitié pétrifiées. Le retour se fait en sortant à Colchani puis en prenant la route d’Uyuni, cette petite ville aux allures de village du Far-West avec sa petite place et son Big Ben d’imitation, son église coloniale et son monument à la gloire du Dakar de 2016 qui partit de là et qui, heureusement, n’y reviendra plus. Ensuite, c’est l’avion, la transition du sud vers le nord, des déserts salins ou volcaniques vers le lac Titicaca et les sommets de la Cordillère.

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4 commentaires pour Journal de voyage en Bolivie: beauté du Salar

  1. l'effronté dit :

    Tes aquarelles sont magnifiques !

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  2. Debra dit :

    Décidément, l’Homme est un bien étrange animal… entre l’Irlandais illuminé, et les peuplades lointain dans le temps qui faisait payer leur aristocratie à prix fort de mutilation corporelle, l’Homme est un étrange animal.
    Le blanc en bas dans la photo de L’île Incahuasi, c’est bien du sel ?
    Merci, et oui, les aquarelles sont belles…

    Aimé par 1 personne

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