Canicule: nous y sommes

Ça y est, nous y sommes, c’est ce que je me dis ce vendredi 28 juin quand je dois traverser une grande place ensoleillée pour atteindre le cinéma, attiré même pas par le film, or pourtant il s’agit de la dernière Palme d’Or, le film coréen au scénario éblouissant d’inventivité, « Parasites », mais par l’idée d’un peu de fraîcheur délivrée par la climatisation des salles. La température s’est mise à monter très haut, le soleil en face de moi est renvoyé à ce qu’il est véritablement à savoir une bombe thermonucléaire qui explose en permanence, dans un ciel qui n’est même plus bleu mais d’un blanc brûlant. Plus de deux heures plus tard, m’étant rafraîchi pas seulement le corps mais aussi l’esprit car ce film est décidément drôle, plein de rebondissements et de scènes de bravoure énormes, me voilà de nouveau replongé dans la fournaise bien qu’en principe le soleil ait baissé sur l’horizon, il est 18h30 mais les places sans l’ombrage des arbres continuent de frôler sans doute le 50°C, je n’ai plus cette fois d’autre espoir que le restaurant chinois que je connais bien et dans lequel je vais m’engouffrer, bénéficiant à nouveau d’un peu de répit, avant le trajet final jusqu’à mon lit où je ne serai refroidi que par un ventilateur aux pales de plastique blanc qui balaie la pièce avec la régularité d’un métronome. En chemin je peste contre les possesseurs de voiture individuelle qui l’utilisent encore pour se déplacer dans cette chaleur, ajoutant le chaud des gaz de combustion à la chaleur ambiante, et contre les climatiseurs qui rejettent un souffle chaud vers l’extérieur, contribuant à encore augmenter la brûlance de l’air.

Ça y est, nous y sommes. Je pense aux scénarios catastrophes évoqués par Fred Vargas dans son livre « L’humanité en péril », un livre dont on a beaucoup entendu parler au moment de son lancement puis de moins en moins voire plus du tout quelques semaines après. Fred Vargas, on a dû la prendre pour une folle, les causes qu’elle a défendues se sont avérées parfois indéfendables, comme celle de Cesare Battisti, dont elle semble pourtant toujours convaincue de l’innocence, se disant probablement qu’on a fait des pressions sur lui pour qu’il s’avoue coupable, qui sait ce que la justice italienne lui a dit, quel accord il a accepté, elle y tient à sa thèse, Fred Vargas, et lorsqu’elle apparaît sur le plateau de La Grande Librairie, François Busnel n’arrive pas à la cadrer, à l’empêcher de dire en boucle les mêmes faits, les mêmes arguments. Or, ce qu’elle dit là, il faut l’entendre. Elle est la première à nous alarmer et à nous dire que les gens sont fous de penser qu’après tout, une hausse de température moyenne de 2 ou 3°C ce n’est pas si grave, qu’est-ce que 2 ou 3 °C ? Un peu plus chaud, une chemise un peu plus légère, un short au lieu d’un pantalon, quelques bouteilles d’eau. Mais les gens ne pensent pas qu’il s’agit d’une moyenne, qu’un ou deux degrés en moyenne, c’est localement beaucoup de degrés en plus, plus précisément, compte tenu des mers et océans qui réduisent un peu la température au-dessus d’eux, c’est sur les continents en général 5 ou 6 °C en plus, et qu’à 5 ou 6°C en plus, ce qui nous mène facilement à 48 ou 50°C, on souffre, notre organisme a du mal à vivre, il s’adapte peut-être si cela dure deux ou trois jours, malheureusement si c’est plus, des semaines voire des mois alors notre organisme n’en peut plus, il s’étiole et il meurt. Peut-être pensera-t-on que les habitants des zones « riches » de la planète se trouveront des refuges et des échappatoires, qu’ils iront en montagne vers les 3000 mètres ou bien loueront une maison en Bretagne, en Irlande que sais-je, et que ce seront les autres qui trinqueront, c’est-à-dire les pauvres, les mis à l’écart, les prolétaires nomades, les paysans indiens, les habitants des bidonvilles crasseux de l’Inde, ou de l’Indonésie, ou bien d’Afrique, mais attention, même à 3000 mètres, la chaleur nous guette. Les glaciers fondent, les roches que les glaces ne tiennent plus s’éboulent dans la vallée, les orages éclatent, la boue ruisselle, nos corps sont alors aussi fragiles que des fétus de paille.

Moins consommer, moins voyager, en tout cas essayer de ne pas voyager pour le simple fun, ne plus manger de viande, ne plus acheter de voiture, ne plus rouler seul dans sa conduite intérieure, ne surtout pas installer de clim, veiller sur ce qu’on mange, s’interdire les produits exotiques qui ont fait cinq mille kilomètres pour nous arriver, refuser que l’on déforeste pour soi-disant nous nourrir, regarder les étiquettes, ne prendre que le café qui a muri à l’ombre d’autres arbres afin d’être sûr que l’on n’a pas coupé d’autres végétaux pour qu’il pousse, quelques-unes des recettes proposées par Fred, et puis d’autres aussi que je ne reprends pas (lisez le livre), organiser la décroissance comme l’a dit de manière inattendue un journaliste peu connu jusqu’ici pour ses positions écologistes (J. M. Apathie). Limiter l’usage d’Internet. Oui, aussi. Cesser de faire connaître à la terre entière via Facebook ou Twitter nos émotions primitives comme nos poussées créatives qui peuvent demeurer au moins pour un temps à l’abri de nos cerveaux et qui pourraient n’en sortir qu’après l’assurance acquise qu’elles en valent la peine. Développer une éthique du minimalisme dans l’achat, la consommation, la production (de tout, y compris donc de nos messages). Demander aux politiques qu’ils fassent de même, qu’ils montrent l’exemple, aux scientifiques et aux universitaires de ne plus profiter des avantages qui leur sont proposés en nature consistant en des voyages au bout du monde, en Chine, à Taïwan ou à Honolulu pour participer à des congrès qui sont parfois bidon. J’ai été entraîné, au cours de ma carrière, à me déplacer jusqu’au Brésil pour n’y rencontrer que les mêmes gens que j’aurais pu voir en restant à Paris. J’ai parfois eu le sentiment que je ne me déplaçais ainsi que pour enrichir mon CV, ou, plus honorablement, faire la preuve à mes autorités de tutelle qu’elles ne me payaient pas pour rien, et c’est ainsi que nombreux sont encore ceux qui se donnent pour obligation de partir vers des congrès lointains juste pour honorer un contrat, faire bonne figure, se disculper du reproche latent qu’on les finance pour pas grand-chose en résultat. Comme si les résultats se prouvaient en voyageant, comme s’ils avaient besoin d’une estrade lointaine ou du confort d’un hôtel cinq étoiles ou du ronron sonore d’un 747 au-dessus de l’Atlantique. Organiser la décroissance (et non la croissance verte, cet oxymore inventé par des cabinets qui veulent ménager la chèvre et le chou). Peut-être l’idée nous en vient-elle justement au prix de ces tourmentes et de ces canicules qui s’abattent sur nous, et cela serait un bien relatif, si nous ne savions que, dus à des phénomènes d’hystérésis bien connus des climatologues, nos assagissements soudains n’auront aucun effet perceptible de notre vivant, et que nous continuerons malgré tout à cuire, à subir, à mourir, comme le disait déjà un journal écolo des années soixante, un bon précurseur, « La gueule ouverte ».

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13 commentaires pour Canicule: nous y sommes

  1. Michèle B. dit :

    D’accord avec Fred Vargas, avec tout ce que tu dis. Mais qui peut lutter contre la bêtise, l’égoïsme et surtout, les intérêts financiers?

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    • alainlecomte dit :

      Merci Michèle, de passer par là… Comment lutter contre les intérêts financiers? Peut-être en changeant notre consommation, ce qui a toujours une influence sur l’économie. Mais lutter contre la bêtise, alors là, je suis d’accord… on ne peut pas!

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      • Michèle B. dit :

        J’ai sauté le pas!
        Changer notre consommation, d’accord. Ça va être très lent… mais pour être sûr d’arriver quelquepart, il faut bien commencer à marcher !

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  2. Vaste programme.
    Internet, avec tous ses centres de données devant être refroidis en permanence, pollue autant que je ne sais combien d’irresponsables qui « fument des clopes et roulent au gazole » (dixit Benjamin Griveaux, futur maire de Paris ?).
    Bientôt sortira une loi édictant « Pas plus d’un quart d’heure d’Internet par jour et par personne » – avec coupure automatique par le FAI si la durée autorisée est dépassée.
    Pour faire un progrès « écologique », évite déjà d’écrire des articles trop longs… (et débranche illico ton ventilo à pales en plastique) ! 🙂

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    • alainlecomte dit :

      Bon, le ventilo c’est quand même le moins que je puisse faire… et puis c’est pas le texte qui coûte le plus cher, alors je continuerai à écrire long jusqu’à ce que je meure desséché sous les pâles de mon ventilateur… Quant au grivois griveaux je lui préférerais (si j’étais parisien) la brune Hidalgo.

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  3. Girard dit :

    La semaine dernière, un mercredi soir, j’ai souhaité, suffocant, me baigner dans un lac de montagne à 30 mn de Clermont Ferrand, très peu fréquenté, il y’a encore une quinzaine d’années ( je comptais éviter le lac d’Aydat à,15 mn, désormais surpeuplé même tardivement. En semaine, hors vacances, les voitures par dizaines de dizaines roulaient dés les 18 h vers ce lieu pour se garer jusque sur la route principale qui rejoint Le Mont Dore, avant de se précipiter vers cette étendue d’eau. Là j’ai pensé à des bêtes sauvages, dans la savane torride, qui se ruaient vers le dernier carré d’eau dans lequel tressautaient encore des poissons ou divers crocodiles.

    Comme tu dis nous y sommes.

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    • alainlecomte dit :

      Heureusement, au Poët, à 800 mètres d’altitude, il y a un peu de vent et les épais murs de la maison maintiennent un peu de fraîcheur. Nous nous préparons à accueillir Frégni samedi.

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    • Michèle B. dit :

      Votre commentaire, à propos du  » dernier carré d’eau  », m’est revenu en mémoire en écoutant France Culture ce 26 juillet (un peu distraite, je n’ai pas retenu le nom ni l’heure de l’émission).
      Un intervenant a attiré notre attention sur le fait que la canicule de cette semaine a provoqué une alerte rouge et des restrictions d’eau dans notre pays riche ! Et il poursuit en s’interrogeant (en nous interrogeant ?):
      Que devient le droit à l’eau, donc droit à la vie, dans un pays pauvre où sévit la canicule et où l’eau est rare ?

      Voilà un exemple de ce que les droits de l’homme ne sont pas pour tous les hommes…
      Il y a malheureusement des contingences géographiques, climatiques, politiques… différentes qui font qu’avec les mêmes droits théoriques, tous les humains ne sont pas logés à la même enseigne… Et ce n’est qu’un des nombreux droits  » universels  » qui sont bafoués.

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  4. Debra dit :

    Je vous lis en revenant de mon cher coin, qui n’est pas très loin de votre cher coin, et où je descends tous les ans depuis 10 ans et quelques pour passer toute la matinée dans le torrent au camping, tous les jours, partant faire une demi heure de voiture tous les soirs pour regarder un beau spectacle dans les alentours.
    Oui, il fait chaud, mais ce n’est pas la canicule, tout de même. Le battage médiatique incessant, dont je me suis déconnectée, contribue à exacerber les passions dans l’espace publique. Les passions.. font monter la température, voyons, même s’il faut dire qu’elle vont vivre aussi. Dur.
    La canicule, c’était en 2003, et je m’en souviens très bien comme un événement exceptionnel.

    Quand j’ai commencé à fréquenter le Off à Avignon, il n’y avait quasiment aucune salle qui était climatisée, et maintenant elles le sont toutes. Pire encore, les spectateurs n’iront pas voir un chef d’oeuvre dans une salle qui n’est pas climatisée…
    Avouez que nous devenons de plus en plus douillets, tout de même. Certes, nous vieillissons, et nous nous sentons plus fragiles, à juste titre, ou pas. (Pour ma part, fidèle à moi-même, j’ai décidé de prendre la contre partie de ce climat généralisé, et j’essaie de m’endurcir, sans trop durcir le coeur, ce qui est un gros risque quand on s’endurcit…)
    On peut constater à quel point le climat actuel (et je ne parle pas météo, là), (nous) tire vers le bas. Les prix… de plus en plus bas, les consommations vers le bas, la qualité du travail vers le bas, MOINS DE, MOINS DE, crié à chaque coin de rue.
    Tant de militantisme/activisme (pour le « moins ») titille les neurones de ceux dont je me flatte de faire partie, les quelques uns qui essaient de continuer à penser dans la tourmente.
    A toutes les époques, il a toujours été difficile de penser, je crois.
    La nôtre ne fait pas exception.
    Mais le climat… sécuritaire qui s’accroît au fur et à mesure que nous vieillissons, et nous sentons plus fragiles, et bien, ça m’inquiète beaucoup. On peut faire de vraies folies collectives par besoin sécuritaire. Cela ne me rassure pas du tout. La ruée… n’est pas beau à voir, et elle a toujours des effets néfastes, pas seulement sur nous, mais sur ce que nous sommes censés protéger.
    Difficile, difficile.
    Ce que je critique par dessus tout, c’est notre hubris que je ne vois pas s’affaiblir pour deux sous. Toujours pas. Nous ruons dans les brancards, nous faisons des déclarations vertueuses, mais l’hubris reste intact.
    Mais je ne vais pas renoncer à ma voiture individuelle, malgré le fait que les constructeurs voudraient de plus en plus me gâcher mon plaisir à CONDUIRE la voiture, et ne pas être conduite automatiquement par elle…
    Nous verrons si le conflit « gilets jaunes » se focalise sur le crêpage de chignon entre les citadins se déplaçant vertueusement en transports en commun (ce que je fais, en passant…) et les autres, qui tiennent à l’indépendance que leur voiture leur fournit…
    L’Homme est un animal têtu, quand même…

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  5. BREUNING Liliane dit :

    Il faut quand même que je prenne le temps de vous répondre et surtout de vous remercier. Quand j’ai lu votre page de « Rumeur d’espace », je venais de subir la canicule et je l’avais vraiment mal vécue. Je vis dans un petit immeuble en ville et la canicule engendrant la promiscuité forcée (fenêtres ouvertes), c’était devenu proprement intenable; il faut dire que je viens de fêter mes 70 ans. J’avais tellement de mal à continuer de vivre que je me suis affolée et j’ai demandé à mon fils qui vit en Bretagne à 2 kms de l’océan s’il ne pouvait pas m’accueillir pendant quelques jours, je payerai le trajet et la nourriture. Il est contrôleur aérien à Brest et vit seul avec sa petite amie. J’étais un peu (beaucoup) gênée de faire appel à lui, en somme je culpabilisais de ne plus pouvoir me débrouiller toute seule. Jusqu’à ce que je tombe par hasard sur votre petite chronique. Et là, tout s’est éclairé, je me suis rendue compte grâce à vous que ce n’était pas juste moi, mais toute la planète qui souffrait. J’ai vu les choses tout autrement. Sur ces entrefaites, mon fils me répond en pur style de contrôleur aérien « Pour ta demande, c’est non. » Mais toujours grâce à vous, je lui ai envoyé votre article et je lui ai dit « Tu veux laisser crever ta mère. » En somme, je me suis enhardie parce qu’il ne s’agit plus juste de moi mais de la planète entière. Malheureusement, il m’est apparu durant cette canicule que au lieu de nous entraider les uns les autres, nous allions plutôt tous nous murer dans nos petites fortifications familiales et autres comme nous le faisons toujours mais tout va gagner en intensité comme la montée inéluctable de la température. Encore merci Monsieur, je n’ai pas l’aisance de votre style mais je tenais à vous écrire. Liliane Breuning

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  6. Michèle B. dit :

    Je reviens avec les références:
    La grande table d’été. 12h 45 – 13h
    Richard Mosse: La caméra comme arme

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