Paris des arts, Paris des riches

Week-end à Paris, quoi de plus joli ? Les arbres doucement jaunissent, les âmes se promènent par couples, bras dessus bras dessous et sur les Grands Boulevards passent comme des anges affrétés par Prada et la Compagnie des Rumeurs mélancoliques. Nous sommes logés à l’Hôtel Istria, les grands surréalistes y venaient se reposer de leurs fatigues intellectuelles intenses dues au dur labeur d’imaginer… Dada y déposait son magot en attendant qu’Aragon, en fuite de la Closerie des Lilas qui n’est pas loin, vienne, transi, rejoindre la belle Elsa, elle-même égarée de sa lointaine Russie. Deux portes plus loin, une plaque pimpante car astiquée chaque matin sans doute annonce la présence de la Société de Psychanalyse Freudienne… Un rêve d’inconscient pour une escapade à deux causée par une réunion de travail de C. en ce lundi qui continue d’être ensoleillé…

rue Campagne-Première

plaque sur la façade

Samedi, nous avons parcouru le Marais, qui n’est plus qu’un délire de shopping à la gloire d’Uniqlo et de Muji, magasin venu de l’Orient extrême pour nous vendre des chemises de coton (fort agréables à porter) et des robes de bure pour les dames qui cherchent avant tout le confort des vêtements amples. La rue des Hospitalières Saint-Gervais est en son cœur, je n’y avais pas fait autant attention auparavant, oui, c’est bien là, c’est bien elle qui, à la fois, débouche sur le Centre Culturel Suisse (on fera bien un petit bonjour à Maurice Chappaz ou à Corinne Bille), commence au restaurant «Chez Marianne » (un mezzé pour deux) et surtout abrite l’école dont nous avons tant parlé il y a une quinzaine de jours car en septembre 1942, deux-cent soixante enfants en avaient disparu, tous partis pour Auschwitz, à l’image de cette petite fille qui demeure en ma pensée bien que je ne l’aie évidemment jamais connue, mais qui saute à mon esprit au travers de ce jugement du maître, recopié ici : Bonne petite fille, faible mais appliquée. Affectueuse. Conduite satisfaisante. Partie en camp de déportation.

Ecole de la rue des Hospitalières Saint-Gervais

Le musée Picasso n’est pas loin. Exposition Picasso 1932. Ou 1932, année érotique. C’est qu’il en aura connu, le maître de Malaga, de femmes inspiratrices, avec leurs corps faits de formes souples et leurs visages ouverts, qui se brisent en deux, thème répété de ces portraits de Marie-Thérèse Walter, où le jour et la nuit se regardent dans une aube délicatement colorée de rose de Parme.

Le soir, au Théâtre de la Porte Saint-Martin, foule des amateurs de théâtre, fans de Michel Bouquet ou de Molière, on ne sait, pour voir cette pièce qu’on ne voit pas si souvent jouée : le Tartuffe, dont je me souviens l’avoir étudiée enfant, au lycée, jusqu’à en connaître des tirades entières. Enfants, nous riions beaucoup au dialogue de Dorine et Orgon ponctué par les seules questions de ce dernier : « et Tartuffe ? » avec le commentaire invariable : « le pauvre homme ! ». Evidemment ici, c’est délice de voir Bouquet s’illustrer dans cette savoureuse preuve de l’égarement possible d’un homme pris par son amour exclusif. Parmi les spectateurs, surprise de voir arriver au moment ultime avant la représentation… le couple présidentiel soi-même. Moment de flottement avant que tout le monde l’ait bien reconnu, applaudissements furtifs, un sifflet quand même dans le fond, vite couvert par l’extension des applaudissements qui se terminent en ovation pour un Président qui, finalement, se lève pour saluer la foule. Autant vous le dire : j’ai de la sympathie pour Macron. Après ça, si vous le souhaitez, vous pouvez me retirer de votre liste d’amis. Comme je l’ai entendu dire par Bedos il n’y a pas si longtemps ; il nous a quand même sauvés de la calamité qu’aurait représenté « l’autre », enfin vous voyez qui je veux dire… (et il nous en a peut-être débarrassé pour toujours). Je ne crois pas qu’il soit « le président des riches », mais un peu celui des utopies auxquelles on veut croire encore, comme celle de l’Europe. Je lui reprocherais seulement de s’en remettre à une fiction confortable à l’égard du monde des riches, comme si l’on pouvait croire sérieusement qu’ils vont sagement investir ce qu’on leur permet d’économiser par la suppression d’un impôt, comme si tous les « riches » devaient leur fortune à leur seul génie (ce qui est bien sûr le cas de certains, Picasso y compris, mais aussi les grands architectes, Pei, Nouvel, ou bien encore Saint-Laurent, Chanel, Bill Gates qui sais-je encore?) et comme si une bonne partie d’entre eux ne la devaient pas à de multiples turpitudes, trafics en tous genres, d’armes, de médicaments, de pétrole, de drogue, voire d’êtres humains. Mais cet aspect-là des choses, on ne l’évoque pas. Nos économistes, même de gauche, et surtout nos journalistes, préfèrent rester dans un monde rationnel garanti par les manuels alors que nous sommes le plus souvent dans l’irrationnel… Comment reprocher toutefois à un dirigeant de s’attacher encore à ce qui lui semble être la raison ? Et surtout… comment ne pas souhaiter qu’il réussisse ?

Les Macron au balcon

Fin de la parenthèse. Je promets aux mélenchonistes que je n’y reviendrai plus.

Pour ce qui est du spectacle lui-même et de sa mise en scène par Michel Fau, on regrettera quand même que le grand âge de Michel Bouquet rende certains aspects de la pièce peu vraisemblables (comme le fait qu’Orgon ait une mère… S’il a, lui, 90 ans, on n’ose penser à son âge à elle!) et que le décor (plus vénitien que versaillais) soit un peu lourd à porter. Mais les acteurs sont excellents, et dans la situation créée par la présence des Macron, la tirade finale, bien troussée, et qui s’adresse au Prince, n’en avait que plus de piquant !

Le reste du week-end à Paris fut encore fait d’une visite au Musée Jacquemart-André qui héberge la belle collection danoise du musée d’Ordrupgaard, uniquement faite d’impressionnistes, qu’ils soient pré- ou post-, de Corot et Daubigny à Gauguin. Tableaux souvent suaves et reposants, pruniers en fleurs (de Pissaro dont on apprend, au détour d’un commentaire, qu’il a eu la nationalité danoise toute sa vie, étant né dans les Antilles possédées par la couronne scandinave), petite fille (Louise Lambert) joliment peinte par madame Morizot, Sisley couverts de reflets lumineux, dernier Manet : une coupe de poires que le marchand danois Hansen offrait, le dit-on, comme supplément au dessert « après la glace » et baigneuses de Cézanne, oeuvre sans doute la plus « révolutionnaire » de l’exposition, avec sa composition juxtaposant un triangle et un carré de naïades.

Pruniers en fleurs

Et d’une étrange pièce de théâtre (« Les vibrants » ) à laquelle nous allâmes sans conviction d’autant qu’elle était jouée dans un quartier que nous apprécions peu… parce que, justement, il est un peu trop habité par « les riches » (ceux qui ne donnent rien en échange, ceux qui n’investissent pas et laissent dormir leurs Lamborghinis et autres marques peu connues du commun au bas du somptueux Plaza Athénée), bref, au studio des Champs-Elysées. Il y avait là une compagnie bien restreinte (quatre comédiens) menée par une auteure d’origine iranienne (Aïda Asgharzadeh) pour donner une pièce sur le thème de la reconstruction de la personne dans un cadre historique particulièrement dramatique : 1916, la bataille fait rage dans les tranchées et le jeune Eugène se reçoit des éclats d’obus en plein visage. Transporté au service des « gueules cassées » d’un hôpital des armées, il souffre le martyr physiquement et mentalement avant que la grande Sarah Bernhart, dévouée aux poilus, ne vienne lui rendre visite, soit émue par son sort et lui propose de s’en sortir par le théâtre, et par quel théâtre : la Comédie française où il jouera Cyrano, lui qui n’a plus de nez, mais qui en reçoit pour l’occasion, un factice. Texte bien écrit, parcouru d’émotions et de drames, nous n’avons pas regretté finalement notre aventure du côté des « riches »…

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3 commentaires pour Paris des arts, Paris des riches

  1. Emmanuel Macron, qui se la joue « culture » le soir, n’a parlé ni de ce domaine ni encore moins d’écologie lors de son interview dimanche soir sur TF1 et LCI.
    Sa tartufferie « en marche » n’avait donc pas de meilleur lieu que le théâtre de la porte Saint-Martin pour s’étaler « sous vos applaudissements ». Les pas « riches » admireront de loin ses occupations nocturnes.
    Il ne paiera désormais plus l’ISF : la « solidarité » contenue dans ce sigle devait lui donner des pustules. Il va évidemment acheter des actions par paquets.
    Mais le Paris des surréalistes possède encore heureusement quelques traces d’une poésie ni financière ni rentable (les deux mamelles du Président « croquignolesque »), que tu as bien repérées. Plus terre à terre, les « premiers de cordée » n’ont qu’à enfiler leurs combinaisons matelassées pour affronter l’escalade du CAC 40.

    (jolies photos mais le trouble de Macron est peut-être un signe avant-coureur concernant la clarté de sa politique ?)

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    • alainlecomte dit :

      Il ne faudra pas juger de sa politique envers la culture et l’écologie d’après ce qu’il en dit ou n’en dit pas au cours d’une interview convenue où les journalistes sont beaucoup plus intéressés à savoir s’il redirait « bordel » (quelle horreur!) qu’à connaître ses projets, mais au travers de l’action qu’il aura ou des discours « engagés » qu’il tient ou tiendra (ses discours d’Athènes ou de la Sorbonne mettent quand même la culture assez haut dans son champ de vision) d’ici la fin du quinquennat. Quant à la métaphore de la « cordée », je conviens qu’elle est stupide… Je conviens aussi que la photo du président… reste trouble!

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  2. Debra dit :

    Dommage que vous n’ayez pas vu, apparemment, la mise en scène de Jean-Vincent Brisa du « Tartuffe » sur Grenoble. Jean-Vincent est un intime de Molière depuis un bail, et je vais voir ses mises en scène les yeux fermés, tellement il est complice avec l’auteur qui a le mieux délimité… l’égocentrisme du moi français, qui se déploie… toujours à l’intérieur (contraste avec mon cher William, où le cosmos est convoqué, et où les personnages sortent de la galerie des glaces par moments pour nous permettre… de respirer, et pas nous étouffer dans des boudoirs…).
    Je ne cracherai pas sur Bouquet en Orgon, quand même, puisque j’ai l’énorme privilège de faire Juliet (de Roméo and Juliet) et Eurydice dans la poésie de mon mari, dans une mise en espace de poèmes d’amour.
    Dommage que le cinéma ait si profondément atteint nos capacités d’imaginer, en nous rétrécissant pour que seule une actrice de 14 ans nous convienne pour jouer Juliet. (Avouez tout de même que ce n’est pas un progrès… « progrès » du « réalisme », certes, mais progrès ??) L’illusion théâtrale va mal dans nos contrées, je trouve…
    Deux lectures à recommander :
    « Diamant Brut, 1938-1950 », d’Yvette Szczupak-Thomas, artiste née française dans un milieu paysan qui a émigré en Israël, et s’est convertie au judaïsme. Le livre, autobiographique, raconte la jeunesse d’Yvette en tant qu’enfant de l’Assistance Publique, en milieu paysan, et ensuite son dépaysement dans les milieux artistiques parisiens… Il est très très édifiant, ce livre, pour ponctionner un certain nombre d’idées reçues, et il est diablement bien écrit par quelqu’un qui sait manier le pinceau… du Verbe. Et puis.. il est un document sans prix.
    « La révolte des élites et la trahison de la démocratie » de Christopher Lasch, dont je vous ai déjà parlé ici. Ecrit autour de 1990/6, il est le testament de Lasch pour comprendre… que c’est nous les élites, et commencer à réaliser l’ampleur de NOTRE trahison…
    Ça fait belle lurette que j’ai réalisé que les vraies changements de coeur (et pas de veste…) sont extrêmement douloureux, et que…si ce n’est pas douloureux, et bien… ça ne vaut rien, et ce n’est pas un changement de coeur…J’ai aussi réalisé avec Sigmund à quel point nous sommes doués pour déployer toutes les ficelles d’une imagination… sans borne pour nous donner… les bonnes raisons pour justifier… nos trahisons aussi…

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