Des poètes au cinéma

imagesEn allant voir « Neruda », le récent film de Pablo Larrain, je m’attendais à voir un « biopic » comme un autre, l’histoire d’un poète communiste ayant combattu auprès d’Allende avant de mourir (peut-être empoisonné, comme on l’a suggéré?) peu de temps après lui. Et pourtant dès les premières images, quelque chose clochait, on était loin de l’hagiographie qui sied souvent à ce genre de récit. Notre Neruda était un piteux petit gros jouisseur et quelque peu cynique, brûlant la chandelle par les quatre bouts, vantard et sûr de son immunité. Un communiste qui se fait railler par une fille du peuple qui veut l’embrasser puis qui, face au refus du maître, se met à l’insulter et lui demande comment ce sera après la révolution, est-ce que tout le monde sera à son niveau à lui, bien sapé et sablant le Champagne ou à son niveau à elle, qui lave les chiottes de la bourgeoisie depuis qu’elle a onze ans… La question se pose en effet. Notre Neruda entre en conflit avec le président d’alors (qu’il a pourtant contribué à faire élire) et se trouve de ce fait inscrit sur les listes noires du régime avec tous les autres communistes, mais lui, c’est un peu différent, il est traqué mais pas vraiment traqué à la fois, on le laisse aller la nuit dans les bordels de Santiago s’encanailler avec des femmes et des travestis qui lisent ses poèmes avec délectation, et lui, il en rajoute avec sa voix suave pour laquelle tout le monde semble vouloir se damner. Sa femme, Delia (sa deuxième, sa x-ième?) le protège et le couve du regard alors que lui, l’ingrat, la bafoue pendant que des manifestants le dénoncent comme un « traître ». Un homme est chargé de la traque, un certain Oscar Peluchonneau, policier élégant à la fine moustache et qu’on devine sensible, descendant d’un autre Peluchonneau, qui aurait fondé la police chilienne. Et là, petit à petit, on se met à comprendre. Tout cela n’existe pas, c’est la vision qu’en a Peluchonneau, le petit salaud, et ce qui redouble notre étonnement, c’est que Peluchonneau n’existe pas non plus… puisqu’il est une invention de Pablo Neruda ! C’est la femme de Neruda d’ailleurs qui le lui apprend : oui, vous êtes un personnage de fiction… et vous alors ? … moi, non, je suis bien réelle ! Alors Neruda décide de quitter le Chili… il part pour le Sud, en Patagonie, afin de passer la frontière avec l’Argentine, dans un paysage de montagnes, de lacs et de vastes étendues de neige. Il pourrait se faire arrêter par le propriétaire d’une hacienda… mais heureusement celui-ci juge que c’est bien plus intéressant d’aider un communiste à fuir que d’aider ce salaud de président à traquer un fugitif, alors à cheval il tente de passer la frontière, mais Peluchonneau le suit, Peluchonneau se fait assommer par son compagnon, se relève, appelle… Neruda va à sa rencontre, il va tenter de sauver le personnage qu’il a inventé, l’ultime rencontre entre le créateur et son oeuvre aura lieu dans la neige et le corps du policier de fiction sera re-transporté côté chilien à dos de mulet.

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Ce film me rappelait un peu cet autre film, pour moi « culte », que j’ai vu de très nombreuses fois, « Nocturne indien », d’Alain Corneau, avec le magnifique Jean-Hughes Anglade… l’histoire (adaptée d’un roman d’Antonio Tabucchi) d’un voyageur qui part à la recherche de son double sur les routes de l’Inde, passant par Mumbai, Chennai, Gao… et ne le trouve qu’à la dernière étape, personnage de fiction, là aussi, comme si les plus belles histoires étaient celles où le narrateur se regarde en miroir…

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images-patersonUn film sur un poète n’est en réalité réussi que s’il est lui-même un poème et qu’il colle à la peau des poèmes écrits par le poète. Ça en fait, des conditions autour de toujours les mêmes mots ! Eh bien cette réussite est le cas pour le film de Jim Jarmush, « Paterson ». « Paterson » est le titre du film qui se passe à Paterson, New-Jersey et dont le héros se nomme Paterson, conducteur de bus et poète et où il est question du poète américain William Carlos Williams qui a écrit une oeuvre intitulée « Paterson ». Pas étonnant puisqu’il était né à Paterson, petite ville qui accueillit également cet autre grand poète américain, Allen Ginsberg… Cela fait beaucoup de répétitions, de la même manière d’ailleurs qu’il y a beaucoup de répétitions dans ce film, la répétition des jours, lundi, mardi, mercredi… jusqu’à dimanche, puis de nouveau lundi… Chaque matin, lever entre 6 heures et 6 heures trente. La très jolie femme du conducteur de bus, Laura (la belle Golshifteh Farahani) est encore lovée dans ses rêves. Paterson (joué par Adam Driver) l’embrasse doucement avant d’aller manger ses corn-flakes. Chaque matin, Paterson emprunte le même chemin qui passe sous des voûtes en briques à proximité de vieilles usines pour rejoindre son boulot et chaque matin, avant de démarrer, sur son siège de conducteur de bus, il écrit quelques lignes de poèmes minimalistes, du genre de « nous avons plein de boîtes d’allumettes à la maison / nous les gardons toujours à portée de main / actuellement, notre marque préférée est Ohio Blue Tip / bien qu’auparavant nous préférions les Diamond brand / mais c’était avant de découvrir les allumettes Ohio Blue Tip / Elles sont formidablement bien empaquetées ... ». Il a ainsi un carnet secret où sont tous ses poèmes et Laura voudrait qu’il les édite, en fasse un recueil pour que tout le monde puisse en profiter. Sa passion de la poésie lui vient de William Carlos Williams évidemment et le couple se passionne pour la poésie puisque Laura découvre même Pétrarque dont la muse justement s’appelait Laure… La répétition des jours bute sur des incidents, caprices du temps, caprices des émotions. Chaque soir, Paterson fait un tour avec Marvin (un boule-dogue…), il le laisse sagement à la porte d’un café où il va boire sa bière en compagnie de Doc, le patron joueur d’échecs et de Marie et Everett, le couple infernal, avec l’homme qui déclare sans arrêt sa flamme à celle qui n’en veut pas. Un jour, le bus tombe en panne. Un jour, le carnet de poèmes… mais je n’en dirai pas plus. Et Laura pendant ce temps, apprend à jouer de la guitare, fait des plum cakes qu’elle vend sur le marché, découpe et peint des robes et des rideaux en noir et blanc.

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A la fin, un poète japonais s’assoit sur un banc à côté de Paterson. ha ha… pourquoi « ha ha » ? ha ha, c’est tout. Ainsi le film rejoue-t-il la structure des poèmes qui ne sont, comme le dit Paterson lui-même, que des « mots sur l’eau ». La beauté du film est dans cette révélation que peut-être il est vrai que si l’on veut bien y prêter attention, tout est poésie, et qu’il n’est pas de vie plus belle que celle qui s’imprègne de cette idée.

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La poésie que l’on découvre dans ce film, dont l’auteur principal est un certain Ron Padgett (associé à « l’Ecole de New-York ») est populaire aux Etats-Unis, c’est une poésie du quotidien, appréciée parce que « tout le monde peut la comprendre sans efforts particuliers ». Malgré cette simplicité, elle dit quelque chose…

Mais bien sûr, on ne doit pas l’utiliser pour occulter une poésie plus difficile, qui nous obligerait à plus d’efforts de compréhension.

Le simple ne doit pas faire de l’ombre au plus complexe.

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We have plenty of matches in our house.
We keep them on hand always.
Currently our favorite brand is Ohio Blue Tip,
though we used to prefer Diamond brand.
That was before we discovered Ohio Blue Tip matches.
They are excellently packaged, sturdy
little boxes with dark and light blue and white labels
with words lettered on the shape of a megaphone,
as if to say even louder to the world,
« Here is the most beautiful match in the world,
its one and a half inch soft pine stem capped
by a grainy dark purple head, so sober and furious
and stubbornly ready to burst into flame,
lighting, perhaps, the cigarette of the woman you love,
for the first time, and it was never really the same
after that. All this will we give you. »
That is what you gave me,
I became the cigarette and you the match, or I
the match and you the cigarette, blazing
with kisses that smolder toward heaven.

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2 commentaires pour Des poètes au cinéma

  1. Pas vu le « Neruda », mais, oui, « Nocturne indien » et l’immense « Paterson » (ne pas tout raconter !)…

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  2. Vous me rappelez le superbe Nocturne indien et me donnez vraiment envie de voir Paterson et Neruda…merci !

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