Cohn-Bendit, une conscience morale de l’Europe

C’était la première fois que j’approchais Daniel Cohn-Bendit et c’était à G. pour les premiers « Etats Généraux des Migrations », à l’initiative d’un collectif d’associations d’aide aux « migrants » (autrement dit de demandeurs d’asile et de réfugiés), samedi dernier, à la MC2.

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Qu’a-t-il dit ? Evidemment que l’accueil des réfugiés était un devoir humanitaire, cela on s’en doutait, mais outre cela, il a eu des paroles justes sur ces dits « migrants » à qui l’on ne saurait demander d’incarner une nouvelle forme de prolétariat salvateur. Le migrant pourrait être vous ou moi au sens où nous pourrions bien nous retrouver à sa place dans d’autres circonstances, mais c’est bien parce qu’il est comme nous, comme vous, comme moi, qu’il n’est ni meilleur ni pire. Il y a parmi les migrants autant de gens pervers et mal intentionnés que dans une population normale, et les incidents de l’an dernier à Cologne ou ailleurs ne se pardonnent pas, même si ce sont des migrants qui les ont commis. Le migrant parcourt des milliers de kilomètres, il risque sa vie, il est la victime des passeurs qui l’exploitent et le sur-exploitent mais si, à la fin de son périple, il tombe dans une société où les luttes sociales, qu’elles aient été menées par des ouvriers, des femmes ou des homosexuels, ont conduit au respect des droits de ces diverses parties de la population, il a, en plus des adversités qu’il a dû subir, la nécessité de se plier au respect des droits acquis dans cette société. Ce sont là des vérités élémentaires qu’il est important de rappeler.

Mais oui pourtant, le migrant parcourt des milliers de kilomètres, il risque sa vie, il est la victime des passeurs qui l’exploitent et le sur-exploitent, il ne faut jamais l’oublier. Parmi les tables rondes émaillant la journée, il y en eut notamment une où siégeait le maire de Grande-Scynthe. Il racontait à titre d’anecdote qu’ayant installé dans l’espace mis à la disposition de ceux qui cherchaient refuge en Angleterre des douches et lavabos (comme il se doit), il eut la surprise le lendemain de découvrir que douches et lavabos avaient été fermés et que les représentants des passeurs demandaient cinq euros pour y accéder ! C’est dire le marché ignoble qui s’installe en marge des migrations : demain, lorsque le flot de migrants sera bien plus dense encore, puisque s’adjoindront à ceux que nous connaissons déjà les millions de migrants climatiques, il s’agira d’une affaire juteuse. Deux mille cinq cents migrants sur un espace comme celui de Grande- Scynthe, c’est, disait Damien Carême, une somme potentielle de dix millions d’euros.

Daniel Cohn-Bendit sur la scène de la MC2

Daniel Cohn-Bendit sur la scène de la MC2

Mais notre ami Daniel ne parla pas tant de cela que de la manière louable dont Mrs Merkel a géré la situation. Elle qui a osé dire à Mr Orban, lequel ricanait et lui disait qu’elle aussi serait obligée de passer à la construction d’un mur de protection, qu’elle n’admettrait jamais de barbelés aux frontières de l’Allemagne tant qu’elle serait la chancelière a montré que l’homme ou la femme politique n’est pas la machine que l’on se plaît à croire. Merkel n’a pas, comme nombre d’intervenants de tous bords ont osé le dire en France, « ouvert les frontières de l’Allemagne pour compenser un déficit démographique et à des fins purement économiques », elle a pris sa décision en une nuit et « on ne voudrait pas que qui prétend qu’en une nuit, on puisse prendre une décision pour résoudre un problème structurel de cette taille, ait un quelconque pouvoir sur nous, car disait Daniel, celui-là serait un malade mental ».

La France est à la traîne. Daniel Cohn-Bendit le disait franchement, et si le genre de réunion que nous avions était heureusement une consolation pour tous ceux qui le regrettent (il faut insister sur le grand succès de cette initiative : les mille places de l’auditorium étaient remplies et on dut refuser beaucoup de monde), il n’en reste pas moins que nos gouvernants ont manqué de courage. Pourtant, qui qu’ils soient dans le futur, il faudra qu’ils en aient compte-tenu de ce qui s’annonce, sauf à laisser mourir à nos frontières des masses d’êtres humains.

Mais peut-être se satisferont-ils de ces morts, après tout, comme ils tolèrent – et comme, hélas, nous semblons tolérer – les bombardements sur Alep. Si les Etats-Unis, disait Cohn-Bendit, bombardaient un pays en ce moment, ce serait bien sûr des centaines de milliers de manifestants dans nos villes d’Europe. Mais que la Russie se livre à de telles massacres semble laisser de marbre nos populations et même réjouir une belle brochette de candidats à la Présidence, dont les deux qui ont le plus de chances de se retrouver au deuxième tour… (Seul Hollande avait envisagé une action en Syrie, qui ne put finalement être conduite pour faute de défaillance américaine. Quand je vous dis qu’on le regrettera… (ceci est une remarque de moi, pas de D. C-B)). Deux poids deux mesures, et la preuve que nous devrions souvent corriger nos automatismes de pensée (rappeler ainsi à ceux qui prétendent que les « vrais » terroristes sont les Occidentaux (comme je l’ai lu encore il y a peu dans un commentaire sur Facebook) que les bourreaux de la Syrie sont Assad, l’Iran, la Russie et des groupes irakiens et afghans, ce ne sont ni Paris, ni Londres, ni Washington).

Cohn-Bendit terminait son intervention par un intéressant rappel historique. En 1938, se tint à Evian une conférence à l’appel du président Roosevelt qui avait pour but de régler les problèmes posés par l’accueil des centaines de milliers de juifs allemands et autrichiens qui quittaient ces deux pays suite à l’Anschluss. Il en sortit assurément quelques promesses de répartition entre les différents pays d’accueil. Puis lorsque la nécessité se rendit bien plus pressante encore et qu’il fut question de tous les Juifs d’Europe Centrale et de l’Est, alors tout le monde répondit que l’on ne pouvait recevoir tous les Juifs du monde. On sait ce qu’il advint ensuite.

Daniel Cohn-Bendit reste l’une des grandes consciences morales en Europe. Il était particulièrement judicieux de l’avoir invité pour clôre ces Etats-Généraux. Je sais certes quelques petits malins, même parmi mes amis, qui se pincent le nez à l’énoncé de son nom, parce que, dit-on, il serait un « libéral » (voire un « néo »-libéral?) et qu’il serait prêt à donner sa voix à Macron… Pour quoi cela compte-t-il quand il s’agit de plaider pour que l’on sauve des vies humaines ?

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4 commentaires pour Cohn-Bendit, une conscience morale de l’Europe

  1. Les positions de Daniel Cohn_Bendit sur les migrants et la politique étrangère des pays devant ou pouvant les accueillir sont respectables et louables.
    Je l’ai entendu, par contre, l’autre matin sur France Inter (rappelant qu’il était « libéral-libertaire ») faire une sorte d’éloge de Macron qui laisse un son bizarre dans l’oreille. Car « le libre marché » qu’il vante avec l’ex-ministre de FH, c’est lui aussi qui produit les migrations dont il parle avec des trémolos dans la voix.

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