L’odieux pouvoir des hommes

Dans mon retrait campagnard, entouré des balbutiements de vie d’un printemps qui titube, j’écoute la radio, j’entends les nouvelles du monde, ce qui intéresse les médias, ce dont on parle ou dont on doit parler dans la cité. Cela arrive comme des rafales de vent, des pluies noires un peu soudaines, l’histoire d’un député agresseur sexuel, les propos tout autour comme des halos ou je dirais plutôt des taches de gras, sa conjointe déclarant avoir tout toujours ignoré, les avocats se retranchant derrière le délai de prescription… la vilénie ordinaire, ce dont on voudrait se garder, ce qu’on voudrait toujours pouvoir ignorer, nier, faire comme si cela n’existait pas. Or cela existe et on est stupéfait d’apprendre à quel point même dans nos sociétés « développées », les femmes subissent. Cela me rappelle le temps où je partageais mon bureau à la fac avec une psycho-sociologue qui travaillait sur ce sujet : les agressions quasi constantes que subissent les femmes sur leur lieu de travail, j’étais ébahi d’apprendre ce qui résultait de ses enquêtes, la façon dont une femme ingénieure par exemple était accueillie dans un bureau d’études d’une grande entreprise automobile, cette sorte de soi-disant bizuthage qu’elle devait subir, la mise à l’épreuve permanente consistant à lui mettre sous les yeux chaque jour les images porno les plus crues, et encore cela avait lieu dans un milieu « éduqué », polissé en quelque sorte, alors qu’est-ce que cela devait ou pouvait être ailleurs… En tant qu’homme, évidemment on a honte. Comment supporter d’être assimilé à des êtres qui n’ont pour maintenir leur pouvoir que l’arme bestiale de leur sexe ? Car je crois que c’est bien d’une question de pouvoir qu’il s’agit. Peut-être on m’objectera que c’est l’espèce humaine, et à l’intérieur d’elle, la gens masculine qui est programmée ainsi, que tout cela est la trace des préhistoriques dispositions mises à l’oeuvre chez les néandertaliens ou les premiers sapiens et que sans doute cela correspondait à un avantage du point de vue de l’évolution puisque cela a perduré et que sans doute ce sont ceux qui étaient le plus dotés de ces « défenses » qui ont le mieux survécu. Oui, nous sommes encore des hommes préhistoriques, on nous l’a dit à la grotte Chauvet ; rien ne nous distingue des homos d’il y a trente-six mille ans et pas grand chose de ceux d’encore avant, on peut remonter comme ça jusqu’à deux millions d’années en arrière lors de l’apparition des premiers homo habilis. Alors que faire de toutes les proclamations faites depuis deux mille ans sur le caractère divin de l’homme (au sens générique) ? C’étaient des blagues tout ça, hein ? L’être humain plongé dans sa rêverie et spéculant sur l’existence de Dieu, avec la morale au fond de son coeur n’est-il qu’un rêve ? Un mythe agréable servant juste à nous accorder un peu de répit dans la marée de violences qui nous assaille perpétuellement. Les « réalistes », ceux qui prétendent être campés solidement sur leurs deux pieds, ceux qui ne s’encombrent pas de doutes, ceux qui pensent qu’il ne faut pas chercher à changer tant soit peu l’être humain, qui s’accommodent si facilement de cet état et même le revendiquent car ils prospèrent sur son dos, sûrs qu’ils sont que si la nature les a faits, nous a faits, ainsi, ce n’est pas pour rien, dont certains pensent peut-être que Dieu nous a créé ainsi, tous ceux-là traitent aujourd’hui de « bisounours » ceux et celles qui envisagent autre chose, un avenir plus humain, des rapports apaisés entre les sexes, les civilisations et les mondes, comme si désormais il y avait une coupure entre ceux qui se résignent à ou bien même revendiquent l’état de choses existant et ceux (et celles bien sûr) qui le déplorent. A la face des premiers, les seconds feront valoir « qu’il y eut des progrès », que l’on n’est plus autorisé aujourd’hui à esclavagiser son semblable (sans que cela empêche la chose d’exister dans les faits), et que peut-être demain, les assauts sexuels brutaux de la bête masculine seront dénoncés et réprimés avec davantage de facilité graĉe justement aux affaires qui éclatent en ce moment. Mais en sortirons-nous vraiment un jour ?

Le dernier film que j’ai vu, avant de m’isoler, traitait de cela sous un jour vaguement de comédie, c’était le film indien « La saison des femmes » (de Leena Yadav, avec Tannishtha Chaterjee, Rhadika Apte, Surveen Chowla). Le parti-pris était gai, il s’agisssait de montrer comment trois femmes (plus une adolescente, mariée de force) d’un village du Gujarat pouvaient éventuellement songer à se sortir de la violence masculine par leur alliance, leur solidarité, en passant outre ce qui pouvait les diviser (car c’est ça aussi le pouvoir de l’homme : régner par la division, susciter les rivalités entre femmes, jouer sur les désirs et les envies pour finalement arriver à remplir les brèches du pouvoir et refaire la communauté comme clôture). Elles partent à la fin à la conquête du désert (dans la région de Kutch) à bord d’une motocyclette à trois roues éclairée par des lanternes magiques, mais où iront-elles ? La métaphore du désert et du village clos sur lui-même est suffisamment parlante. Noter que dans ce film, les hommes sont montrés tels qu’en eux-mêmes hélas ils persistent : veules, autoritaires, lâches, pétris de certitudes et dépourvus d’imagination, face à des femmes qui inventent, qui créent, se sacrifient pour leurs enfants et veulent sortir le village de sa misère. Un seul homme, instruit, marié à l’institutrice, est leur allié : il lui en coûtera cher, roué de coups, moribond, au bord d’une route déserte.

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5 commentaires pour L’odieux pouvoir des hommes

  1. La violence faite aux femmes est constante et parfois institutionnalisée dans ce monde, c’est une seconde nature. Malheureusement.
    Ceci ne sera pas réglé par quelques lois, ceci perdurera tant que les hommes continueront de penser que l’autre moitié de l’humanité est à leur disposition.
    L’idée que les deux genres sont complémentaires et nécessaires l’un à l’autre dans une liberté de choix partagés, est finalement très peu répandue et reste très théorique dans l’esprit de nombreux hommes (restés à l’âge de pierre comme vous le rappelez).
    Grand merci à vous pour vous poser cette question et pour votre tribune du jour.

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  2. Debra dit :

    Mea culpa.
    Je m’étais dit que nous allions tellement dans l’autre direction que je n’allais plus vous lire.
    Je suis étrangement faible… mais je fais partie du sexe « faible »…
    Vous vous estimez une personne éclairée, je pense.
    Comme bon nombre de vos compatriotes, vous considérez que votre intelligence vous permet de maîtriser bon nombre de vos pensées, conduites, etc.
    Une question. Pourquoi fermez-vous obstinément les yeux sur la démultiplication de dénonciations de la brutalité masculine ?
    Croyez-vous que l’ampleur de cette dénonciation est innocente ?
    Comment rendez-vous compte du fait que, du matin au soir, je ne peux pas ouvrir mon poste de radio de service publique sans entendre une dénonciation de ce type ?
    Croyez-vous vraiment que « leshommes » sont devenus plus brutaux ?
    Pourrait-il y avoir… d’autres raisons qui permettraient de rendre compte de l’amplitude de la… publicité journalistique autour de cette question ?
    Vous êtes-vous posé cette question ?
    Quelles sont vos conclusions ?

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  3. @ alainlecomte: si nous étions (tous ? attention aux généralisations !) encore des « hommes préhistoriques », on ne pourrait lire ce genre de réflexions sensées sur un blog !
    Ton allusion au film indien m’a fait penser à celui, égyptien, Les Femmes du bus 678, qui met bien en évidence les traditions ou habitudes machos de certains dans des pays qui ne nous sont pas si éloignés…
    Quant à l’affaire Baupin, elle n’est sûrement que la partie émergée de l’iceberg d’un grand nombre de structures étatiques ou d’entreprises privées : il est bien qu’elle ouvre enfin « l’omerta » qui y règne, semble-t-il, jusqu’à présent !

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    • alainlecomte dit :

      Le « nous » ici signifie l’espèce. Notre espèce ne s’est pas modifiée depuis le début de homo sapiens sapiens, nous sommes donc semblables à nos ancêtres préhistoriques. il ne fait pas de doute que nous avons commis depuis de multiples inventions, avons appris à lire etc. mais le soubassement (génétique, biologique) demeure, avec toutes les propriétés qui ont fait que cette espèce ait survécu, avec hélas cette propension à l’avidité, à la volonté de pouvoir des hommes sur les femmes etc. comme nous le voyons en effet chaque jour autant dans les entreprises que dans la politique. Cela ne signifie pas que nous devions nous résigner: nous pouvons aussi croire en l’amélioration de notre humanité (notamment grâce à l’éducation).

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  4. alainlecomte dit :

    Mise au point: oui, je me permets (très rarement) de supprimer des commentaires. je ne prétends pas que c’est parce qu’ils seraient « insultants », mais je me réserve le droit de les considérer comme déplacés, hors de propos. La question ici, celle de la violence faite aux femmes, me paraît suffisamment importante et grave pour qu’on ne se laisse pas dériver vers des considérations annexes (pourquoi parle-t-on autant de ces affaires masculines etc. en cette époque précise… la réponse est évidente, qu’une prise de conscience commence à avoir lieu, simplement), je n’accepte pas non plus de me faire traiter de haut parce que je refuse d’entrer dans ces considérations, en tout cas pas de me faire qualifier « d’extrémiste », de prétendre que « je me radicalise » (??!). cela n’a aucun sens. Si l’interlocutrice que j’ai ainsi censurée me lit, elle saura que cela m’est complètement égal qu’elle ne me lise plus, et que je continuerai d’exercer mon droit de suppression de commentaires.

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