11 novembre / 13 novembre

D’habitude, le mardi, je publie un billet. Tous les mardis. Cela suppose d’avoir travaillé un peu pendant la semaine, mais cette fois-ci, les évènements ne m’ont pas beaucoup donné le goût de me répandre en prose.

ciel noir

Nous voyons poindre à l’horizon des temps si sombres, ils ne sont pas propices à l’écriture de nos enthousiasmes. Il faudra bien pourtant que nous y revenions, à nos enthousiasmes. Je me rends compte, en me relisant, que c’est beaucoup à eux que ce blog est dévolu. Enthousiasme pour une pensée (Spinoza), enthousiasme pour des films (Fatima, Notre petite sœur…), enthousiasme pour un roman (Boussole), un livre de philosophie (Les irremplaçables) ou pour une pièce de théâtre (Toujours la tempête). Je n’aime parler que de ce que j’aime. Des amis m’en font le reproche : on dirait que tu aimes tout ! Je n’aime pas tout. Je ne trouve intérêt à parler que de ce que j’aime, nuance (je n’ai pas parlé du film « Dheepan », par exemple…). Bref, écrire, même sur un blog, c’est faire exploser la vie qui est en nous, ce n’est pas nourrir des haines chagrines.

La semaine écoulée a commencé, dans notre petit village de la Drôme, par la commémoration du 11 novembre. Donc déjà par un thème de guerre, mais de la façon dont elle avait été préparée par le maire actuel (doit-on dire « la » maire quand c’est une dame ?) et l’ancien maire, c’était un vrai hommage à la paix. La municipalité avait décidé de mettre une nouvelle plaque de marbre à l’angle de la mairie, portant nom de la dizaine de soldats originaires de la commune morts au cours de la pire guerre que la France ait connue. Ce n’était pas rien pour un petit village comme ça, qui, à l’époque, ne devait compter pas plus de deux cents habitants.

L’ancien maire – qui a dû quitter sa charge pour raison de santé – avait préparé un discours qui nous remuait car il nous expliquait que si ces jeunes gens avaient accepté de mourir, ce n’était pas par goût de la mort ou de la guerre, mais au contraire par une foi absolue dans le fait que ce serait la dernière et qu’après eux s’ouvrirait une définitive ère de paix. Il finissait en disant son admiration pour deux hommes : Jaurès (on pouvait s’y attendre) et Albert Jacquard (on pouvait moins s’y attendre). Du dernier il reprenait la confiance exprimée dans le rôle des utopies, que Jacquard comparait à des étoiles dans le ciel que nous n’atteindrons jamais mais qui, néanmoins, marquent une direction.

Il dut ensuite laisser la parole au député de la Drôme, que je ne vous présente pas – il est candidat à la primaire de la droite et s’est illustré par ses positions en flèche contre le mariage pour tous. C’était une autre paire de manches et déjà comme un accent prémonitoire de ce qui allait arriver plus tard dans la semaine. Car avec ce monsieur, nous étions déjà dans la guerre : « on peut souhaiter la paix – disait-il d’entrée – mais il y a des guerres nécessaires ». Reprenant, en les tronquant, des formules de l’orateur précédent – comme pour suggérer une fausse complicité – il terminait par le même thème de l’étoile en disant que si elle marquait bien une direction, il fallait la viser en restant debout comme si le précédent orateur avait marqué une préférence pour une position couchée…

Deux manières de parler d’une même histoire. Deux manières de parler de la guerre et de la paix, deux manières qui, pour un auditeur inattentif, ne se distinguent que par quelques mots subtils disséminés ici ou là.

Deux jours après, on n’était plus dans la subtilité, la boucherie effroyable des tranchées avait été transportée dans une salle de spectacle au cri de « Dieu est grand »… et le combat politique à fleurets mouchetés s’était mué en surenchère de mots et actes belliqueux. La France bombardait « en représailles » : on pouvait souhaiter que les bombes ne tombent que sur les camps d’entraînement au djihad, mais en était-on bien sûr ? En tout cas, il était faux de penser que ces bombes-là allaient NOUS mettre en sûreté. Et dans l’opposition, on réclamait des camps d’internement.

« Nous sommes en guerre », entend-on de toutes parts mais un journaliste qui, lui, l’a connue, la guerre, partout où elle existe en ce moment, faisait la distinction entre ce que nous connaissons actuellement en France et la vraie guerre comme elle se passe à l’Est de l’Ukraine ou en Syrie, lorsque chaque personne à chaque moment craint pour sa vie et que les cadavres jonchent les rues sans que personne n’ose les ramasser par peur des tireurs isolés. Nous n’en sommes pas là, même si, – et c’est légitime – nous ressentons une peur diffuse.

Prenons garde qu’à force de l’invoquer, le dieu de la guerre ne vienne à se manifester vraiment.

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4 commentaires pour 11 novembre / 13 novembre

  1. Le terme de « guerre » est employé en ces circonstances parce qu’aucun mot nouveau ne correspond à la situation actuelle. C’est une simple référence : on pourrait parler de « terrocrise » ou « apocarisme », etc.
    Ici, on compte les morts, non pas les mots.

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  2. Debra dit :

    Le mot de « guerre » déferle parce que voilà quelques générations qui n’ont pas d’expérience de la guerre, comme les vieux, ceux qui ont connu la guerre d’Algérie, ou la deuxième guerre mondiale, ont connu la guerre.
    Le mot de « guerre » en vient de plus en plus à signifier n’importe quelle situation où le locuteur se sent.. en insécurité, du fait des actions d’un Etranger (citoyen ou pas…) avec qui il ne ressent rien en commun. Bien sûr, les frontières ne font aucun barrage, et ne délimitent rien dans cette affaire.
    Se souvenir que les signifiants se corrompent, et changent de signifiés constamment. C’est pour ça que la vérité… n’est pas sur terre, à la dernière nouvelle.
    Pour la situation qui ne s’est jamais produite, il y a une trentaine d’années, je me souviens d’avoir éprouvé une relative inquiétude chaque fois que mon mari (ou moi) prenait le TGV, car les bombes n’étaient pas impensables. On y pensait. Elles étaient là, en arrière pensée dans nos têtes.
    Aujourd’hui nous ne vivons plus dans un monde qui nous permettrait de.. relativiser nos expériences, des plus anodines au plus dramatiques, d’ailleurs.

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