Réunion

Je n’étais jamais allé à l’île de La Réunion. Il a fallu que C. accepte de partir, dans le cadre de son métier, participer à une expérience de recueil de données sur l’activité volcanique du Piton de la Fournaise, pour que, projetant de la rejoindre, je prenne un long-courrier à destination de Saint-Denis. De Saint-Denis, nord de Paris, à Saint-Denis, nord de l’île, aurais-je pu titrer.

C. avait souffert lors de la phase professionnelle de son voyage. Il avait fallu rassembler à dos d’homme (et de femme, donc) les capteurs qui avaient été déposés quinze jours avant aux endroits les plus tordus, dans l’enclos de La Fournaise, sur des coulées de lave dont certaines étaient demeurées friables, coupantes, piégeuses – on s’enfonçait facilement, pire que sur un glacier, en encore plus traître car là où le précédent ???????????????????????????????marcheur avait mis le pied, il ne fallait pas mettre le sien, le pas précédent ayant fragilisé la cendre d’apparence solide mais qui ne l’était pas ; on imagine la lente progression, tôt le matin, dans des zones interdites au marcheur ordinaire, à chuter tous les trois pas, à craindre la tombée du brouillard qui rendrait la progression plus aléatoire encore, et sans le secours du moindre hélico en cas d’accident. Face cachée d’une expérience scientifique annoncée dans la presse parisienne (cf. Le Monde du 16 juillet 2014, un article de deux pages pleines dans le cahier « Science et Médecine »).

Mais quinze jours après le départ de C., cette dure expérience, avec résidence à la Plaine des Cafres, un endroit que j’ai vu ensuite, pas des plus jolis, entre un Simply Market et le magasin de coiffure « Remy Claire », jouxtant la Laverie des Plagnes, avec son lot de chômeurs confortant les murs, attendant la fermeture des magasins pour aller se pieuter dans leurs maisonnettes de bois, était achevée. A nous les plages et les requins, les marches et les ruisseaux d’eau pure.

Saint Leu, autrefois « Boucan de Laleu », petite bourgade balnéaire où nous avions réservé – grâce à l’entremise de A. – trois nuits dans un gîte en bordure d’océan (ou plutôt en bordure de route longeant l’océan, ce qui fait une petite différence), face au « spot » des surfeurs, justement – nous l’apprîmes par la suite – un de ces spots où un pauvre type s’était fait à moitié dévorer par un squale, fut notre première halte. Agrément de la baignade dans les lagons.

amandineDeux jours plus tard, nous étions sur les chemins du cirque de Mafate, gaillard(e)s, chaussures et bâtons de marche avec nous, suivant notre vaillante petite guide qui répondait au doux nom d’Amandine, et qui nous avait adjoint une troisième participante, B., impressionnante triathlonienne dont la haute taille lui permettait d’atteindre les mangues suspendues aux branches des manguiers fraîchement apportés du continent (indien ? africain ?) car évidemment, une bonne part de la végétation de l’île est d’origine externe (« exotique », on dit par opposition à ce qui est « endémique » et vient de l’île même, comme le bois de benjoin, le manioc marron, le bois de senteur blanc ou le latanier rouge). Amandine qui, dans sa vie antérieure, avait été chercheuse en éthologie, étudiant le destin des albatros et des pétrels sur l’île Crozet, avait réponse à tout, tant sur la flore que sur la faune, sur l’histoire que sur l’anthropologie. Elle connaissait les graines, les baies – comme le goyavier et le jamblon, dont les fruits donnent de bonnes confitures que les petits enfants des écoles vendent aux touristes par petits pots de deux euros afin de nourrir la cagnotte qui leur permettra peut-être un jour de voir la Tour Eiffel – nous disait ce qu’il fallait protéger à tout prix (les endémiques) et ce qu’on pouvait arracher car c’était devenu des espèces envahissantes (comme le bambou, le choka, les chouchous), nous conduisait vers les hauteurs des îlets pour admirer depuis là les beautés du relief : piton Maïdo, piton Cabris, chaîne des Calumets, piton carré, et nous introduisait chez les loueurs et loueuses de gîtes, nous faisant faire la connaissance de cet ancien facteur de 90 ans, monsieur Ivrin Pausé, qui vend en sa boutique l’histoire de sa vie, recueillie par une biographe, et qui a couvert à pied au cours de ses tournées, quatre fois et demie le tour de la Terre, et cela pendant quarante années de bons et loyaux services, et qui rencontra sa femme, Marie-Cécile, à l’âge de trente-six ans – elle en avait dix-sept de moins – « à l’époque, dit-il, la demande en mariage se faisait par écrit auprès des parents de la jeune fille. J’ai donc écrit des mots doux à son sujet, dans une lettre très respectueuse ». Et ils eurent huit enfants (dont hélas un mort-né). A la question qu’on lui pose sur sa définition de l’amour, il répond : « pour un couple, l’amour, c’est vivre en harmonie et s’aimer le plus possible durant toute sa vie. On s’unit pour la vie en se mariant. Et on doit conserver ce lien comme un trésor ». Et, à la question : « pour vous, quel est le sens de la vie ? », il répond : « Le sens de la vie est de peupler la Terre ».

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Amandine connaissait aussi l’histoire de l’île, et la raison des appellations données à de petits troupeaux de maisonnettes, appelés « îlets », prononcés « ilettes », dont certaines donnent le frisson, ainsi d’Ilêt à Malheur, dont on pressent bien qu’elle est liée à de sombres évènements : en l’occurrence ici, le massacre d’esclaves marrons par les escadrons de « chasseurs de noirs » (selon le titre du livre de Daniel Vaxelaire, intéressant récit qui se déroule dans les années 1740), alors qu’Ilêt à Bourse, avec son nom plus guilleret, renvoie tout simplement au moment où lesdits chasseurs recevaient leur rétribution, en fonction du nombre de mains et d’oreilles coupées qu’ils rapportaient (d’où peut-être la vraie origine de la désignation des Européens comme « z’oreilles »). Ces ravines, dont il faut atteindre le fond – souvent d’agréables trous d’eau limpide entre des rochers ronds et glissants – pour remonter ensuite les pentes, ces terrasses aériennes qui font face aux « pitons », ces fourrés sauvages d’où ne sortiront jamais des sangliers ou des cerfs puisqu’ils n’ont jamais appartenu au mobilier de l’île et que personne ne les a introduits – sauf, pour les cerfs, de manière protégée, en des endroits bien particuliers et clôturés, ces pentes verticales que l’on ne gravit pas car elles sont d’une roche volcanique qui s’effrite, furent les repaires, les bivouacs, les cachettes de ceux des esclaves, ramenés du Mozambique ou de Madagascar, qui finissaient par fuir, formant des colonies avec leurs propres règles sociales, se nourrissant d’herbes et de racines sauf à aller dérober dans la touffeur de la nuit, une poule, une chèvre sur les marges côtières, et qui furent poursuivis par les propriétaires blancs ou malgaches jusqu’à l’abolition de l’esclavage.

Après nous être séparés d’Amandine et de notre sympathique compagne, nous partîmes trouver refuge en Cilaos, petite ville au milieu d’un autre cirque, route extrêmement sinueuse, chaque virage chassant l’autre et même quelque part formant spirale, ce qui n’était pas sans me rappeler la ligne de chemin de fer (the « toy train ») grimpant de Baghdodra à Darjeeling, qui fait elle aussi boucles et re-boucles, revenant parfois sur ses traces, et finissant par se perdre dans un nuage, toujours accroché à flanc de colline, ou passant par des tunnels si étroits que les parois du véhicule – train, car ou voiture – s’égratignent presque au contact de la roche. Puis plus tard, faisions le tour de l’île par la côte et passions à l’est au lieu-dit « le Grand Brûlé » où des tonnes de lave viennent s’échouer dans la mer, en des coulées nommées par leur année, comme autant de repères historiques servant probablement à ponctuer des vies – « tiens tu te souviens, son baptême, en l’année de la coulée 1996 »… – et où la côte est battue par les vagues, bien plus violemment que vers Saint-Leu ou Saint-Gilles, pas pour rien qu’ici, c’est la côte « au vent », mais toujours ces sempiternels rappels de la dangerosité des squales…

???????????????????????????????Puis nous partîmes de l’île, ayant appris beaucoup sur ses animaux et sa flore, saluant au passage la détermination mise à maintenir tant de richesses naturelles – il faut que, dans deux ans, la Réunion pérennise son appartenance au « patrimoine de l’Humanité » – à soigner les dernières tortues marines au Centre Kelonia en interdisant leur capture, elles qui dans les temps anciens avaient donné une chair savoureuse pour les repas d’agapes et une matière première – la corne – qui permettait la confection d’objets ciselés, peignes, lunettes, bijoux, pour laquelle il existe toujours quelques artisans (quatre, nous dit-on) qui se partagent le stock restant, qu’ils travailleront une dizaine d’années encore ; à préserver les derniers pieds de bois d’origine, ainsi que les quelques oiseaux comme le paille-en-queue, le tec-tec et le « zoizo-la-vierge » qui volaient déjà dans l’île lorsque les premiers colons vinrent s’y implanter, en 1663, eux qui arrivaient en compagnie de quelques malgaches sur une terre ayant l’avantage d’être calme, inhabitée, où l’on pouvait commencer en toute quiétude de cultiver la terre et d’importer des cultures qui devaient s’épanouir comme celle du coton ou du café, voire même celle de la vanille, pour laquelle il fallut tout de même la sagacité d’un jeune esclave de 12 ans, qui fut, plus tard, au moment de l’affranchissement, nommé « Albius » par les maîtres (comme s’il n’y avait meilleur honneur pour récompenser un esclave noir que lui donner un nom qui signifié « blanc »), afin de trouver la voie de la production, qui passait par la fécondation, rendue impossible tout à coup parce que l’on avait transporté la plante sans avoir pris avec soi la petite abeille qui avait coutume de faire se conjoindre parties mâle et femelle… Il est drôle que justement, ce lundi 25 aout, à l’émission « On ne parle pas la bouche pleine » sur France-Culture, sur le coup de midi, on évoquait cette histoire, par la bouche de Sophie Cherer, auteure de romans pour la jeunesse, qui nous rappelait même que Proust y faisait allusion, page 500 de « Du côté de Guermantes », quand Mr de Bréauté, s’entretenant avec la duchesse de Guermantes, lui dit : « Le parfum de vanille qu’il y avait dans l’excellente glace que vous nous avez servie tout à l’heure, duchesse, vient d’une plante qui s’appelle le vanillier. Celle-là produit bien des fleurs à la fois masculines et féminines, mais une sorte de paroi dure, placée entre elles, empêche toute communication. Aussi ne pouvait-on jamais avoir de fruits jusqu’au jour où un jeune nègre natif de la Réunion et nommé Albius, ce qui, entre parenthèses, est assez comique pour un noir puisque cela veut dire blanc, eut l’idée, à l’aide d’une petite pointe, de mettre en rapport les organes séparés ». Quel benêt, ce monsieur de Béautré… à moins que la responsabilité de cette naïveté soit à trouver dans les connaissances imparfaites de Proust lui-même.

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2 commentaires pour Réunion

  1. Belle excursion avec croquis sur le vif et rappels historiques…
    Mais, quand même, il manque un « selfie » avec le Président !!!

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  2. alainlecomte dit :

    argh, et en plus, comme il est venu trop près de moi, je n’ai pas eu le temps de faire la mise au point et la photo est complètement floue… aïe, je sens que ça va être interprété comme un symbole, « quand y a du flou »…

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