Jours d’hiver

???????????????????????????????Durant trois jours, nous sommes en altitude, à deux, C. et moi, à 1700 mètres. Le chalet n’est pas accessible par la route. A un point déterminé, le lieudit « le Clou », le déneigement s’arrête et il vous faut continuer à pieds jusqu’au hameau, encore est-ce une piste tracée, juste bordée de piquets pour moitié badigeonnés de rouge afin d’indiquer le chemin en cas de forte neige, mais après le hameau, il faut encore monter la colline raide, la pente jusqu’au chalet de pierres qui domine la vallée. Le jour de notre arrivée, un soleil pâle faisait luire la neige poudreuse encore assez haute par endroits, suffisamment haute pour que l’on s’enfonce jusqu’aux cuisses. Puis dans la soirée, le foehn s’est levé. Vent redoutable qui soulève la blancheur et la plaque parfois sur les roches de granit, dégarnit les mélèzes de leur fourrure, laisse à nue les fruits des sorbiers, derniers restes de l’automne et seule touche de rouge dans un paysage plutôt blanc, plutôt gris, plutôt noir et blanc, bien que de plus en plus par endroits se dégagent des touffes d’herbe sèche, des plaques brunes de terre. La montagne se strie de traînées marron, coulées d’herbes où l’on s’attendrait à voir paraître des bêtes descendues de haut pour cueillir un peu de nourriture. Ces temps de grand vent, de bourrasques, apportent une atmosphère dont on ne saurait dire si elle est triste, si elle est gaie. Il fait grand froid, signe que le foehn tourne en réalité au vent glacial. Je me demande souvent ce que les gens en général viennent chercher en montagne l’hiver, dans la neige et le froid. On me dit que c’est la grandeur du paysage. Moi je sais ce que je cherche si haut : c’est la chaleur du feu, quand, après trois heures de grelottement, la température enfin passe de 0°C à 15°C, voire au-delà. Alors on peut s’assoupir sur un fauteuil d’osier. Boire un verre de blanc. Je sais aussi que le soir sous les édredons, on va blottir nos corps l’un contre l’autre. La nuit sera agitée de volets qui claquent, de rafales qui hurlent et à plus d’un instant sourdra en nous la soif qui naît des atmosphères trop sèches.

Au matin, la bise souffle encore. Durant la nuit, une fenêtre du bas s’est ouverte. Sans doute l’avais-je mal fermée. La neige s’est engouffrée dans la pièce. Il faut balayer, déneiger sous la table. On voit au loin par la vitre passer des silhouettes qui accèdent à leur chalet malgré la tempête. Ils ont le corps brisé en avant. Quand une rafale les attaque de face, ils se protègent de leur avant-bras ou bien tournent carrément la tête tout en continuant de progresser. Ils disparaissent derrière un mélèze. Plus tard, à notre tour, nous décidons de nous armer de courage et de prendre le chemin jusqu’à la station de ski qui est à deux kilomètres. Ces deux kilomètres séparent deux univers : en haut, le hameau, la solitude, de rares vacanciers en villégiature, comme nous, qui viennent chercher l’isolement, en bas, la foule, les voitures, beaucoup de 4×4, rangées tout le long de la petite route, le télésiège insatiable qui fourgue les silhouettes encapuchonnées en haut des pistes, dans des bruits métalliques de perches qui se heurtent. Deux mondes. En atteignant le deuxième, nous avons au moins la conviction de trouver une soupe chaude au bistrot du bas des pistes. On y fait de la bonne nourriture, à la différence de maints restaurants d’altitude en ces périodes de vacances hivernales. Le fendant coule à flot, les enfants entrent dans la salle avec encore leurs chaussures de ski aux pieds, ils demandent à ce que leur mère leur ôte leur casque. Ils ont les joues rouges. Les grands-parents regardent les jeunes et les moins jeunes dévaler la pente. Ce bistrot ressemble à une marmite qui bout dans la neige. Quand nous remontons, à nous de briser notre corps en avant, de nous barrer la bouche d’une solide écharpe, capuchon du K-way rabattu sur les yeux. Comme le vent a beaucoup balayé la neige, on peut marcher sans risquer de trop s’enfoncer, mais arrivés au sommet de la pente, face au chalet, le zéphyr redouble, nous nous hissons jusqu’au replat dans des tourbillons de vapeur blanche.

PS: Meilleurs voeux à toi, lecteur ou lectrice, pour 2014!

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5 commentaires pour Jours d’hiver

  1. Vœux les plus… chaleureux à toi !

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  2. lignesbleues dit :

    Grand merci à vous. L’année commence bien avec ce beau texte
    Et bonne année à vous Alain , à C et à tous vos lecteurs

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  3. Dom A. dit :

    Tout pareil ! (et un coup de fendant pour la glisse)
    Bonne année Alain

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  4. Bonne année de vent et de fendant au chaud.

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  5. Girard albert dit :

    tu dois lire cette BD très belle de Cosey  » A la recherche de péter pan » vol 1 et 2 qui parle d’ une très belle histoire qui se passe dans la nature blanche du Valais (chez glénat à grenoble, tu trouveras ou en médiathèque sinon je te les prêterai)

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